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Frédéric ROUVIÈRE

Professeur à l’Université d’Aix-Marseille, Laboratoire de Théorie du Droit

Texte

La parution de l’ouvrage de Paul Amselek1Cheminements philosophiques dans le monde du droit et des règles en général, Armand Colin, 2012 a donné l’occasion au Laboratoire de Théorie du Droit d’organiser une rencontre au cours de laquelle plusieurs aspects de cette contribution substantielle ont pu être évoqués, analysés et critiqués. Réunis autour de la personne et de l’œuvre de Paul Amselek les contributions dévoilent chacune un aspect de sa pensée. En effet, il ne faut pas avoir peur des mots : il s’agit bien ici d’une pensée c’est-à-dire un ensemble d’idées intégrées dans une totalité harmonieuse et cohérente. À cet égard, l’ouvrage de Paul Amselek livre une clé d’interprétation rétrospective de sa recherche en théorie du droit. C’est dire que cet ouvrage est loin de se borner à synthétiser et résumer ses écrits antérieurs. Bien au contraire, l’ouvrage les transcende en faisant apparaître les lignes-forces d’une pensée arrivée à sa pleine maturité et dont la structure se dévoile et s’offre enfin au regard théorique.
L’occasion était donc donnée d’explorer et de mettre en lumière l’apport de l’auteur aux grandes questions de théorie du droit. Certaines thèses fondamentales suscitent par elles-mêmes le débat et l’interrogation. Parmi celles-ci, il y a d’abord celle selon laquelle le droit est un ensemble de règles définies comme des outils mentaux à vocation instrumentale. Les règles ne sont pas vues comme de simples prescriptions mais comme des étalons et des instruments de mesure du réel. Par ailleurs, cette ontologie du droit permet à Paul Amselek de refuser vigoureusement toute réduction ou assimilation du droit aux sciences de la nature et de séparer nettement l’éthique, la science et le droit. Une autre thèse concerne ensuite les relations étroites entre le droit et le langage. Ces relations permettent d’expliquer la façon de créer des règles par un acte dit « performatif » selon la théorie de John Austin. L’aspect téléologique du droit (il faut régler des conduites) est alors souligné. Une dernière thèse porte sur l’herméneutique (ou art d’interpréter). Paul Amselek refuse l’intenable alternative de l’interprétation-volonté ou de l’interprétation-connaissance. L’interprétation est selon lui enserrée dans un réseau de contraintes au rang desquelles se trouve en premier lieu la communauté des juristes.
De telles positions ne laissent pas indifférent. La définition du droit est à la pensée juridique ce que l’infini est aux mathématiques : insondable, incernable mais omniprésente et suscitant toujours le débat. Le caractère obsédant de la définition explique que les contributions y consacrent une large part de leurs efforts. Mais l’articulation entre le droit et son interprétation oblige aussi à penser les modalités de sa connaissance, notamment à travers les concepts juridiques. Ainsi, on découvre qu’il n’y a pas de pensée simple et que toute analyse suppose un déploiement et une reconstruction permanente des potentialités des positions théoriques soutenues.
C’est dire que les contributions présentées ici ne sont que des points de vue forcément partiels qui tentent de dévoiler ce que la pensée de Paul Amselek peut avoir d’original mais surtout d’inspirant. Car nous croyons que la valeur d’une oeuvre ne se mesure pas au consensus qu’elle peut provoquer mais aux questions qu’elle peut imprimer à son lecteur et aux directions qu’elles suscitent. Sur ce point, nous ne pouvons que remercier Paul Amselek de nous livrer des analyses claires et équilibrées sur tous les aspects de la théorie du droit. Le titre de l’ouvrage invite à cheminer et nous pensons que le regard du voyageur s’arrête forcément sur les fleurs qui se trouvent le long du chemin ce qui en rehausse l’agrément si ce n’est la beauté. Paul Amselek nous invite à nous émerveiller dans le domaine de la pensée juridique. S’émerveiller, c’est questionner et contempler le vaste champ que nous offre le droit pour découvrir que sous son apparente banalité se cache (selon le mot de l’auteur) une véritable « étrangeté ».

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