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CHÉROT Jean-Yves

Professeur à l’Université d’Aix-Marseille, Laboratoire de théorie du droit

 

Les termes de « normes privées internationales » sont employés de façon officielle par des organisations internationales pour désigner des normes techniques et professionnelles relatives à la qualité des produits et des services, à la tenue de comptes financiers des entreprises faisant appel public à l’épargne, des normes de travail et environnementales à destination des fournisseurs de grands groupes gérant des marques mondiales. Il suffit d’indiquer quelques exemples de telles normes pour mesurer leur importance dans la structuration des marchés et des activités : normes techniques dans le domaine du commerce électronique, normes financières et d’audit, normes sociales au travail dans les chartes des entreprises dominantes, normes qualité des produits des grandes entreprises mondiales de distribution.
Elles sont l’expression de la compétition des entreprises dans la globalisation et, en même temps, elles peuvent être regardées comme une partie de la réponse à la nécessaire régulation des marchés globaux en complément des règles publiques ou parfois à leur place en cas de défaillance de règles publiques internationales.
Elles possèdent une dimension stratégique essentielle pour les entreprises ; mais en tant que substituts aux normes publiques, elles sont aussi le champ de stratégies de la part des organisations non gouvernementales qui recherchent sur quels acteurs privés puissants ou stratégiques faire porter, dans la globalisation, en l’absence de mécanismes publics efficaces, la responsabilité de la sauvegarde d’intérêts généraux en matière de travail, d’environnement, de protection des droits de propriété intellectuelle ou de protection des données personnelles, ou encore de qualité des produits.
Ces normativités se construisent assez étroitement en relation avec certains champs majeurs du droit des États. Il ne peut en être autrement tant ces normes privées peuvent interférer avec les intérêts d’ordre public protégés par le droit de la concurrence, le droit du commerce international, le droit des brevets ou encore les droits de l’homme. Ces divers domaines du droit contribuent ainsi à moduler les conditions de production de ces normes ou leurs caractéristiques. Ce qui implique aussi en retour que les intérêts des entreprises et des organisations non gouvernementales interfèrent avec les doctrines faisant vivre tous ces domaines du droit. La doctrine juridique doit en tout cas adapter son agenda pour s’intéresser à ces normes et à leur prise en compte.

La philosophie du droit est elle-même sollicitée. Car, au-delà des rencontres formelles qui ne manquent pas entre les normes privées internationales et les règles du droit étatique dans les champs que l’on vient de mentionner, la question se pose également de savoir si l’autorité, l’effectivité, la justice, les sources des normes privées, les conditions de leur émergence, leurs relations avec les normes publiques, les institutions et les règles qui servent à les produire, ne doivent pas être l’objet de la science du droit et susciter ainsi l’extension de la province du droit.
C’est à ces questions que sont consacrées les contributions des Cahiers de Méthodologie Juridique pour 2011. Elles reprennent les travaux d’un workshop organisé à la Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille le 10 juin 2011 par le Centre de droit économique, le Laboratoire de théorie du droit et l’Institut de droit des affaires dans le cadre du programme de recherche « droit global/ global law » financé par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.

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