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Discordances fondamentales entre les éducations juridiques institutionnelles – Un problème d’interaction culturelle et professionnelle

Cahiers N°24 - RRJ - 2010-5, LA FORMATION DES JURISTES ET L'ORGANISATION DES PROFESSIONS DU DROIT.ENTRE DIVERGENCES CULTURELLES ET TENDANCES INTERNATIONALES

Angelo DONDI

Professeur à l’Université de Gênes

I. Approche spécifique versus approche professionnelle orientée

Il est tout à fait rare que la recherche juridique comparée s’occupe ex professo de problèmes tels que ceux de l’éducation et notamment de l’éducation juridique. Même moins fréquemment on vise à souligner la permanence au niveau mondial de différences décidément importantes dans ce domaine. Et encore moins fréquente est l’idée selon laquelle cela peut être considéré comme un véritable facteur multiforme qui affecte les performances de chaque ordonnancement procédural singulièrement considéré1Hazard, Dondi, Legal Ethics – A Comparative Study, Stanford 2004, p. 54-62..
Bien fondée – comme le soussigné aurait tendance à penser – ou non, cette idée illustre la thèse qui informera les pages suivantes. Dans celles-ci en effet on essayera de souligner et de développer les nombreuses implications du facteur. Cela spécialement par rapport aux influences, supposément très profondes, d’une certaine idée – voir certaines idées – d’éducation juridique sur le bon fonctionnement dans la pratique d’un système procédural ou, au contraire, sur ses relatives marques (ou influences) tant en termes de pannes fonctionnelles que d’inadéquations générales. Une perspective ultérieure pourrait concerner, pour ainsi dire, une attitude culturelle très diffuse comme caractéristique particulière de la recherche juridique comparée. Une caractéristique qui pourrait être décrite comme une tendance à l’oubli par rapport à ce sujet. Et en particulier une tendance à oublier certains liens inévitables à ce propos. C’est-à-dire qui sont ceux qui… vont réaliser certaines activités juridiquement techniques en faisant des choix très complexes dans -pour ainsi dire- les tranchées de la pratique légale et notamment judiciaire. Autrement dit, parler d’éducation juridique institutionnelle ne peut qu’amener plus ou moins directement à aborder le problème -tout à fait fondamental, du moins à notre avis- des sujets directement impliqués (en tant qu’avocats et juges) dans la pratique professionnelle, puisque c’est justement à cette pratique que l’éducation en question devrait conduire2Hazard, Dondi, Legal Ethics, supra, notes 1-9 ; Denti, L’insegnamento del diritto processuale nei dipartimenti, Riv. dir. proc. 1972, esp. p. 77..
En général, sur la base de l’idée que tous les juges et les avocats du monde se trouvent impliqués quotidiennement dans des activités similaires, il faudrait ajouter que cette tendance ne semble pas partageable du tout. Et cela fondamentalement pour des raisons aussi bien culturelles que de technique juridique comparée. Cela, et avant tout, pour ne pas se leurrer sur l’importance du facteur humain dans le fonctionnement des systèmes judiciaires dans le monde, notamment à l’égard de competent users aussi qualifiés que les avocats (ou, en tout cas, les membres du barreau)3Hyam, Advocacy Skills, 1999 passim..
Et justement, dans une perspective comparée, lorsque l’on prend en considération les membres de la profession légale face à la pratique qui les concerne, un problème tout à fait central va se poser en terme de véritable et plus profonde compréhension. En définitive donc, un problème qui concerne l’évaluation, non pas seulement de l’éducation juridique institutionnelle, mais aussi celle de la fonctionnalité même des réformes de la justice. Et pourtant, un problème qu’on pourrait définir synthétiquement comme caractérisé par une inégalité de fond quant à l’éducation « institutionnelle » des avocats dans le monde, une inégalité d’un autre côté manifeste aussi – évidemment avec de nombreuses nuances – dans ce qu’on pourrait appeler leur training professionnel.
Le sens de ce que l’on veut exprimer dans ces pages se trouve dans l’idée que l’éducation légale est – et continue à être- fondamentalement caractérisée par des différentiations culturelles et structurelles vraiment profondes ; il s’agit d’une caractéristique – comme on disait auparavant – qui semble toujours influencer le fonctionnement des systèmes juridiques, et en particulier des mécanismes de justice civile. Et, en plus, d’un élément touchant – et, pourquoi pas, parfois même d’une façon négative- aux interrelations professionnelles des avocats dans un contexte transnational.
Ce qu’il faudrait d’abord considérer à ce propos est sans doute le côté institutionnel de l’éducation, justement du point de vue institutionnel, il pourrait représenter en soi même un sujet de très grand intérêt pour la recherche comparée. Et cela surtout à cause de son… objectivité, aussi bien qu’à cause de sa testabilité.
C’est spécialement sur cette base qu’on peut exposer l’idée fondamentale qui suit, c’est-à-dire qu’une différentiation mutuelle continue à représenter la caractéristique principale de l’éducation juridique dans le monde. En d’autres mots, malgré l’argument courant de la globalisation ou bien de ce qu’on a aussi défini comme « horizontalization » socio économique au niveau global, le contexte que l’on considère ici semble pourtant jusqu’à aujourd’hui sérieusement influencé par ce que l’on pourrait en général appeler une « localization » pénétrante, aussi bien de traditions que d’options culturelles4Friedman, Horizontal Society, London, New Haven 1999, passim ; Id., American Law in the 20th Century, New Haven 2002, p. 457-487..
Conformément à cela, il faudrait considérer attentivement, à cet égard, ce genre d’options culturelles. En effet, l’enracinement au niveau national des philosophies relatives semble, du moins, abondamment démontré par les gaps manifestes dans les cultures et le mode d’organisation des systèmes institutionnels d’éducation légale en vigueur en ce moment dans le monde. De manière que la notion même d’éducation juridique semble impliquer -et accepter- aussi celle d’une variété d’approches.
Parmi les autres, un élément semble manifester en particulier les caractères de base de la susdite différenciation. Notamment, on pourrait synthétiser ce qui en effet semble très clair à propos de ces approches dans leur séparation drastique (ou bien, dualisation) entre une approche spécifique – à signifier, clairement orienté vers le côté professionnel – et une approche aspécifique. Avec très peu de nuances, ces deux approches semblent en effet représenter aussi les deux philosophies fondamentales (ou policies of reference) à cet égard, à partir du moment où-justement à cet égard – le noyau respectif de chacune d’elles semble correspondre à deux visions et deux buts tout à fait disjoints.
D’un côté, le fondement théorique et fonctionnel de la première approche est, en effet, représenté par l’idée que la fonction d’une éducation juridique institutionnelle consiste dans la réalisation d’une éducation quelle qu’elle soit, ayant justement la fonction principale d’une sorte de viaticum pour n’importe quelle socialisation adulte au niveau de would-be upper class et, si jamais, pourquoi pas (en tout cas pas nécessairement), aussi à fin d’exercer la profession légale5Hazard, Dondi, supra, p. 45, 54 ; Scarpelli, L’educazione del giurista, Riv. dir. proc. 1968, p. 17-31.. Tout à fait différent est le fondement de la deuxième approche, qui envisage l’éducation juridique essentiellement comme l’acquisition institutionnalisée de connaissances pratiques (ou practical skills) fonctionnant – quelques raffinements qu’on puisse prévoir dans l’organisation des courses – principalement comme des moyens pour parvenir à un niveau efficace de préparation pour des futurs avocats ou des juges6Marchesi, Litiganti, avvocati e magistrati – Diritto ed economia del processo civile, 2003 passim..
Cela dit, il faut bien ajouter qu’il semble assez facile de placer ces deux approches en les « rangeant » parmi les systèmes juridiques traditionnellement connus. De façon que, pour simplifier au maximum, l’approche qu’on a définie « aspécifique » pourrait être attribuée aux systèmes juridiques (ou aux modèles procéduraux) de l’Europe continentale et, parmi eux, spécialement aux modèles latins. Cela, évidemment, dans une proportion en même temps très variée et comprenant de nombreuses nuances. Et pareillement, quant à l’approche « spécifique » ou profession-oriented, il semble presque naturel d’en repérer le contexte dans des modèles procéduraux comme ceux de common law, en particulier l’anglais et – encore mieux, dans ce domaine – celui des États-Unis7Stevens, Law School : Legal Education in America from the 1850s to the 1980s, 1983 p. 51, 75 ; Parsons, Platt, The American University, 1973, p. 252..
En effet, juste à ce propos, il faudrait tout d’abord souligner que spécialement la law school américaine semble représenter parfaitement la réalisation concrète des principes fondamentaux -si bien que de la même notion historique- du common law, et cela à un niveau d’élaboration institutionnelle incroyablement raffiné. Une circonstance probablement dérivée ou en tout cas associée à l’absence de contraintes sociales si typiques à la mère patrie et, en même temps, à l’absolue nécessité d’une institution particulièrement bien fonctionnant dans le but de la création et du contrôle de très fiables standards professionnels. Ce qui semble fondamental dans une nation « gouvernée par les avocats », qui après tout, en représentent notoirement la « véritable aristocratie »8Toqueville, De la démocratie en Amérique, 1961, I, p. 50, 274..

II. Discordance dans le corps étudiant

Sans doute, à cause de cette approche soi-disant profession-oriented, la law school américaine va occuper un rôle tout à fait spécial dans le contexte des institutions d’éducation juridique institutionnelle. Et on pourrait bien ajouter que cette institution semble un modèle en même temps profondément enraciné et absolument sans analogies ailleurs.
En raison de sa perspective manifestement professionnelle et des puissants aspects d’organisation évidemment impliqués, la considération du caractère essentiellement fonctionnel de cette institution et de son effectivité relative apparaît presque self-explaining ou simplement factuelle. Et l’on dit cela pour ne pas oublier ou sous-estimer le lien très étroit entre le but fonctionnel de base de la law school américaine et sa structure organisationnelle nécessairement très complexe ; un aspect qui représente en soi une spécialité unique de cette institution.
Du reste – et même au-delà de ces raisons – ce que la law school américaine a expérimenté avec le temps ne paraît comparable à aucune autre institution de ce genre en termes d’exposition lato sensu médiatique. Cela sans doute puisqu’elle est, en effet, considérée dans le monde entier comme la véritable exemplification, si non de l’American way of life, du moins de l’approche américaine au droit9Konefsky, Schlegel, Mirror, Mirror on the Wall : Histories of American Law Schools, 95 Harv. L. Rev. 1981, p. 833..
En tout cas, la façon d’être de cette institution sur le sujet que l’on considère ici semble se manifester surtout en termes d’influence sur un aspect fondamental de la culture nationale américaine ; c’est-à-dire l’acceptation de l’idée du taking chances dans un système diffusé de sélection manifeste. Un moyen pour parvenir à réaliser effectivement, dans un état démocratique, une forme de meritocratic elitism. Cela semble justement être bien représenté par la law school américaine ; une donnée déjà présente avant la soi-disant Langdell’s refoundation mais sans doute incontestable après ce moment, spécialement à partir de la seconde moitié du XXe siècle10Pour ne faire que des exemples, Gilmore, The Ages of American Law 42 (1977) ; La Piana, Logic and Experience : The Origins of Modern American Legal Education (1994) ; id., Honor Langdell, 20 Law & Soc. Inquiry 761 (1995) ; Kimball, The Inception of Modern Professional Education : C.C. Langdell, 1826-1906 69, 71, 193 (2009) ; id., The Langdell Problem : Historicizing the Century of Historiography, 1906-2000s, 22 Law & Hist. Rev. 277 (2004)..
À cette époque, parmi bien d’autres événements qui ont changé l’histoire du siècle passé, on peut affirmer que la law school a été au centre du procès de sélection de la classe dirigeante des États-Unis. Presque incontestable, cette circonstance semble devoir être attribuée essentiellement à un facteur comme celui de la prééminence attribuée à la qualité intellectuelle des étudiants, en tant -bien sûr- qu’élément essentiel de leur sélection dans et en dehors de la law school (c’est-à-dire, à son intérieur et après, dans la vie professionnelle). Une sélection très variée, comme on dira, et qui incorpore en soi les caractères principaux de cette institution, si bien que les principales raisons de sa diversité par rapport aux autres institutions d’éducation juridique dans le monde. Sur cela, il faut ajouter que ce quality factor résulte tout à fait correspondre aujourd’hui aussi bien aux buts qu’à l’image globale de la law school américaine11Parsons, American Society – A Theory of the Societal Community, 2007, p. 211, 291; Hazard, Dondi, supra, p. 132 ; Abel, American Lawyers, 1989, p. 69 ; Rhode, Symposium : The Future of Legal Profession, Institutionalizing Ethics, 44 Case Western L. Rev. 1994, p. 690..
Ce qui semble particulièrement vrai puisque, contrairement à d’autres institutions semblables (comme, pour simplifier, celles correspondant – on le dira après – au système des facultés de droit), en ce moment la seule law school américaine semble  être structurée pour accomplir ce genre de fonction sélective ; d’une façon plus clairement affirmée et plus encore – malgré les nombreux changements politiques et sociaux ayant marqué les États-Unis au cours de la deuxième partie du XXe siècle – jamais sérieusement contesté quant à son essence profonde12Granfield, Making Elite Lawyers, supra ; Rodell, Legal Realists, Legal Fundamentalists, Lawyer Schools, and Policy Science – Or How Not to Teach Law, 1 Vand. L. Rev. 1947, p. 5..
Pour ce qui est de notre question, en tout cas la conséquence probablement la plus remarquable de tout cela semble être l’aspect de la qualité des étudiants ; puisque, en effet, le quality factor s’est assez rapidement transformé dans la law school américaine en un student factor. Un facteur qui aujourd’hui concerne aussi la soi-disante productivité de ce genre d’institutions sur des plans différents et dans de nombreuses manières. Ce facteur est surtout important du point de vue de la concurrence entre law schools, en effet principalement jouée sur les différences concernant la qualité des corps d’étudiants respectifs.
Tout cela est, du reste, très bien synthétisé par équations comme celle de best students, best law school, et plus encore par quelques unes de leurs implications. La principale desquelles certes concerne une tension à l’excellence particulièrement diffuse et pénétrante, dans un contexte de compétition tout à fait inusuelle ailleurs. Par conséquence, à l’intérieur du système de la law school américaine, le fait que l’inégalité soit très diffusée ne doit pas étonner et doit aussi être acceptée comme une espèce de blessing, quoique bien rarement représentant en même temps un slace13Kennedy, Legal Education and the Reproduction of Hierarchy, 32 J. Legal Educ. 1982, p. 591, aussi dans Dondi (editor), Avvocatura e giustizia negli Stati Uniti, 1993, p. 129..
D’un autre coté, c’est la multiformité le véritable caractère de fond tant de l’essence que de la fonctionnalité de ce quality-excellence-inequality element. Et cela implique – comme on a dit peu avant – que la notion de sélection fonctionne comme un mécanisme efficace si bien qu’une puissante philosophie et vision bien fondée d’un point de vue culturel. Un contexte – celui de la law school – dans lequel l’application des susdits standards de sélection doit se dérouler d’une manière assidue, pour ce qui concerne l’accès à l’institution des étudiants et leur évaluation continue ; mais pas seulement. En effet, la sélection – en tant que standard qualifiant chaque law school – concerne d’une manière similaire aussi les professeurs ; de manière qu’une définition plus propre du système d’éducation juridique représenté par la law school américaine puisse être vraisemblablement conçue : best students together with best professors, best law school.

III. Les standards de qualité en tant que problème

Il faut admettre que, au moins d’un côté opératif et dans le complexe, ce système s’est révélé très efficace comme mécanisme d’éducation et de professional training. Et il faudrait même ajouter que ce genre de performance n’a aucun type d’homologue ; évidemment, compte tenu des différentes philosophies qui caractérisent – comme on essayera de dire – les autres systèmes d’éducation légale institutionnelle. C’est en tout cas un fait incontestable que dans l’espace temporel relativement court de trois ans les law schools américaines (malgré leurs différences mutuelles assez remarquables quant à la qualité de la préparation ; différences qui représentent après tout un aspect inévitable de la vision susmentionnée, et davantage réfléchissant la vaste dispersion géographique et culturelle répandue dans ce grand pays, y compris les différences ethniques et de classes sociales) parviennent vraiment à transformer leurs étudiants en avocats. Bien sûr, des avocats de qualités très différentes, des alias rangés à différent niveaux qualitatifs à peu près correspondant au niveau ou ranking de leur law school d’origine, mais en tout cas des étudiants-avocats tout à fait prêts à aborder l’expérience de la vie professionnelle14Edwards, The Growing Disjunction between Legal Education and the Legal Profession, 91 Mich. L. Rev. 1992, p. 34 ; Yuda, Is Law School still Worth it ?, 32 Pennsylvania Lawyer 2010, p. 18 ; Craig Robertson, Update on Law School and Careers : Where Will All These Graduates Work, 45 Tenn. B.J. 2009, p. 29..
Ce qu’on a appelé jusqu’ici le student factor revient avec beaucoup d’importance sous un autre point de vue, quoique rarement considéré, qui concerne la comparaison de modèles éducatifs comme ceux qui nous concernent. Il s’agit de la différence, en effet profonde, entre les étudiants américains et les autres étudiants de droit dans le monde pour ce qui concerne leurs expériences formatives précédentes. Une différence de fait choquante si l’on considère la simple circonstance du niveau post-graduate des law school students face au niveau undergraduate des autres étudiants de droit15Caponi, La formazione postlaurea nelle professioni legali : situazione attuale e prospettive, Foro It. 2006, V, 369.. Un relevé tout à fait banalement factuel qui néanmoins ne peut pas être méconnu dans le contexte d’une évaluation combinée des performances de l’institution law school et d’autres institutions similaires.
Les raisons pour lesquelles les professeurs de droit américains se trouvent à « faire face » à des audiences d’étudiants structurellement différents peuvent se réduire aux deux suivantes : au fait qu’ils sont relativement plus âgés et, par conséquent, plus motivés professionnellement. La littérature nous dit des choses à ce propos, puisque de nombreux livres ont décrit l’atmosphère de pression – d’ordre culturel, social et, plus brutalement, aussi de survivance – présente notamment dans la plupart des law schools américaines16Turow, One L, 1977, passim.. Une fois de plus une atmosphère – à vrai dire, qui s’entame déjà au moment du choix de la law school – absolument inconnue ailleurs.
Et, en effet, il n’y a pas de chances ailleurs de trouver et prouver -pas certainement autant que dans une law school américaine- quelque chose de similaire à la sensation dérivante de l’allure d’un contexte tout à fait spécial ; pour ainsi dire… where the action is. Ce qui semble vrai dans une double acception : celle de la création d’une classe dirigeante et celle de la promotion sérieuse et continuelle d’un changement social pour ce qui concerne une profession si cruciale que la profession légale17MacCrate, Yesterday, Today and Tomorrow : Building the Continuum of Legal Education and Professional Development, 10 Clinical L. Rev. 2004, p. 805 ; Crump, Ten Necessary Myths of Law School, 10 J.L. Soc’y 2009, p. 33..
En effet, un aspect semblable du système de la law school américaine se traduit dans une qualité très élevée d’un teaching-learning process fondé notoirement sur le soi-disant paper chase et le Socratic teaching. Un model combiné d’enseignement et d’étude contenant, de plus, une approche à la fois théorique et pratique aux complexités du droit moderne et post-moderne. Ce qui a réussi à former une sorte de κoινή capable de relier la culture académique à l’expérience quotidienne d’une legal practice qu’on a déjà souligné être décidément diversifié. C’est pourquoi on pourrait dire qu’aux États-Unis cette liaison fonctionne comme une forme d’interaction continuelle (comme il est aussi démontré, par exemple, par la pratique des interviews organisées par les cabinets d’avocats dans les structures mêmes des law schools), évidemment à cause d’une fonction propre très bien connue des law schools de « produire des avocats » ; très bien préparées du point de vue scientifique, mais, après tout, surtout et essentiellement … avocats18Sterling, Reichman, So, You Want to Be a Lawyer ? The Quest for Professional Status in a Changing Legal World, 78 Fordham Law Review 2010, p. 2289.

IV. Conséquences sociales envisageables et redoutables

Après ce qu’on a dit, on peut donc facilement comprendre qu’un pareil échange constant et multiforme résulte pourtant presque impossible à trouver dans les autres expériences similaires d’éducation juridique ou légale. Et, en effet, parler à ce propos de similarité semble en soi même probablement excessif, si l’on considère le noyau – et notamment les caractéristiques de fond – du vaste contexte occupé par le soi-disant « système des facultés de droit ».
Compte tenu de son ampleur aussi bien géographique que culturelle, on peut bien affirmer que ce système va couvrir le reste du monde, de manière à représenter à cet égard un compendium très propre de la notion d’altérité. Et bien que drastique, une pareille définition semblable semble bien restituer la distance de fond entre ces deux systèmes d’éducation juridique. Une circonstance impliquant des différences de fond entre law scool et faculté de droit, en tant que systèmes ; ce qu’on essayera de synthétiser dans ce qui suit.
On a déjà indiqué auparavant le niveau undergraduate des institutions-facultés de droit comme un facteur différentiant profondément ces deux systèmes. Il s’agit, en effet, d’un facteur qui influence sans doute dans l’ensemble la structure, et même la qualité de cette institution (aussi au niveau de ses valeurs de fond).
C’est même à cause de cela que les facultés de droit se sont révélées particulièrement perméables aux effets de l’évolution sociale, culturelle et politique qui s’est déroulée spécialement au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. C’est en effet dans cette période en particulier que les facultés de droit ont peu à peu perdu leur fonction originale d’instrument de sélection – aussi bien de conservation que de maintien – des classes dirigeantes européennes ; fonction évidemment partagée avec celle – bien plus institutionnelle – d’instruction légale ou juridique de base formellement nécessaire pour l’exercice de la profession de juge ou d’avocat19Tarzia, La preparazione universitaria alla professione forense, Riv. dir. proc. 1981, p. 131..
Différemment de ce qui se passait seulement d’une façon exceptionnelle jusqu’ à à peu près la moitié du siècle passé, l’accès aux facultés de droit est ensuite devenu possible pour tout le monde, quelle que soit la classe sociale de provenance. Un événement qui a été à la base d’une mutation profonde, autant du point de vue culturel que fonctionnel. Notoirement sollicité par les instances politiques du ’68 et par la tendance à concevoir les systèmes universitaires en Europe comme trop durs et excluant les étudiants ne provenant pas de la bourgeoisie, cette mutation a conduit à une facilitation diffusée des cours et notamment de ceux des facultés de droit. Ce qui s’est révélé particulièrement vrai quant au standards d’évaluation et de sélection adoptée ensuite -évidemment avec de nombreuses variations de cas à cas- dans ce genre d’institutions.
Aujourd’hui, c’est-à-dire quelques dizaines d’années après, on pourrait dire qu’en général l’atmosphère dans les facultés de droit européennes semble être assez easygoing. Ce qui révèle des graves carences mais surtout l’échec de ce système d’éducation (c’est-à-dire, celui des facultés de droit) face aux défis profondément démocratiques représentés par les instances de 68, tant de leur coté égalitariste que du côté du changement social effectif20Slotkin, Rabenmutter and the Glass Ceiling : An Analysis of Role Conflict Experienced by Womwn Lawyers in Germany Compared with Women Lawyers in the United States, 38 Cal. W. Int’l L.J. 20089, p. 287.. Dans plusieurs systèmes juridiques européens tout cela s’est vérifié spécialement du point de vue de la sollicitation -ou mieux, d’une véritable faillite ou échec à cet effet- de véritables formes de changement social dans la profession légale.
L’expérience italienne représente un exemple tout à fait particulier à cet égard, malgré – ou bien, juste à cause – de l’affolement notoire des désormais trop nombreuses facultés de droit. Dans le contexte italien, à un système d’accès et de curricula décidément facile correspondent des chances réellement minimales d’entamer une véritable – et décemment rémunéré – pratique dans un cabinet bien organisé ; cela bien sûr à moins d’être placé parmi les well connected ones. Et de plus, cela dans un pays dans lequel, du reste, le nombre excessif d’avocats –Troppi avvocati !, d’après le livre de Calamadrei – remonte sans réelle solution au moins à la fin du XIXe, début XXe siècle21Calamandrei, Troppi avvocati !, dans Calamandrei, Opere Giuridiche, 1966, p. 65, (1ère col. 1921)..
Tout bien considéré, l’exemple italien montre aussi d’autres aspects du grand intérêt de la comparaison du law school system avec celui de la faculté de droit. Particulièrement intéressant paraît un effet de cette « approche italien », au niveau du soi-disant quality factor ; c’est-à-dire en relation à la qualité des étudiants, des professeurs et, en général, pour ce qui concerne un effet de déqualification diffusée et représentant en définitive le caractère-index principal de cette approche22Davico Bonino, Tiro libero, 2009, p. 143. Cela s’est traduit en pratique en un manque imprégnant de sélection, qui en ce moment caractérise en particulier la faculté de droit italienne malgré quelques exceptions singulières et, de plus, tout à fait partielles. Mais encore majeur -et évidemment encore plus grave- est l’effet que tout cela provoque pour ce qui concerne la perception de la part des étudiants d’un contexte sans problèmes, dans la faculté aussi bien que dans leurs futures expériences professionnelles. De sorte que la faculté de droit à l’italienne peut en effet ressembler à une sorte de viaticum, tout court (et, parfois, à rien d’autre)23Pascuzzi, Giuristi si diventa – Come riconoscere e apprendere le abilità proprie delle professioni legali, 2008, p. 9..
Tout cela a eu avec le temps – et, bien sûr, avec de nombreuses de différences aussi bien que de nuances – un effet franchement ravageant sur les professeurs ; leur approche à l’enseignement et leurs relatives performances.
Notoirement, l’approche italienne à l’enseignement universitaire – d’ailleurs comme dans toute Europe – est fondée sur le modèle de la class conference. En soi, il s’agit d’un modèle décidément très différentié à son intérieur ; cela en raison de différences de base éthique-religieuse et aussi anthropologique qu’on ne peut évidemment pas considérer ici24Hazard, Dondi, supra, p. 124.. Cela dit en fonction de caveat, quelques indications semblent quand même possibles en rapport spécial au modèle italien, et en particulier quant à la perception diffusée de l’image des professeurs de droit à l’intérieur de ce contexte25Irti, Un professore insegnante, Riv. trim. dir. proc. 2009, p. 1419 ; Supiot, Grandeur et petitesse des professeurs de droit, Les Cahiers de Droit, 2001, p. 595.. Et en Italie il faut signaler en particulier la tendance à envisager comme encore tout à fait typique de l’image du professeur de droit essentiellement celle d’une personne se partageant, dans un side job parfois presque épuisant (mais, par contre, généralement très bien rémunéré « justement » en raison de l’allure académique), entre université et pratique professionnelle. Une perception qui, tradition permanente à part, se caractérise aussi par de très sérieuses conséquences, quant à deux côtés en particulier.
D’un côté, en effet, ce genre d’overlapping entre profession légale et travail académique mène à une conséquence de fond, c’est-à-dire qu’en Italie, un distinguished professor n’est pas toujours et en même temps aussi un learned professor. Du reste, on comprend aisément la presque totale impossibilité de mêler une sérieuse activité de recherche scientifique avec la difficulté et l’engagement parfois vraiment acharnant d’une activité professionnelle aussi dure que la pratique légale. Et, en réalité, ce qui arrive très souvent et pas par hasard est que, tout à fait différemment par rapport au contexte des carrières professionnelles des law professors américains, ce sont surtout les jeunes professeurs « en carrière » (vraisemblablement avant de plonger dans l’activité professionnelle) qui écrivent les travaux les plus novateurs et les plus intéressants, en somme représentatifs de ce qu’on pourrait définir novel legal science.
D’un autre côté, d’un certain intérêt paraît aussi l’approche des travaux des professeurs de droit qui se trouvent à être pour ainsi dire full time. Probablement même à cause d’une tendance à se différencier de leurs – admettons le – bien plus… riches collègues part time (les salaires dans les universités italiennes ne sont pas vraiment invitants si l’on considère qu’un professeur à la fin de sa carrière est payé moins de moitié qu’un juge d’à peu près le même âge), fréquemment on adopte une approche culturelle si bien abstract qu’affecté, si non tout à fait prétentieux.
Par rapport à ce type d’éducation légale, la combinaison de ces éléments – en omettant beaucoup d’autres considérations surtout valables d’un côté sociologique – semble être en soi très significative, tant du point de vue de sa philosophie que de sa performance fonctionnelle. Et cela avec un « résultat » qu’on pourrait synthétiser dans les termes suivants : a) au moins à son…pire le système des facultés de droit ne paraît pas du tout à la hauteur de fonctionner comme instrument ou moyen de sélection et training de futures et très fiables avocats ; b) il ne semble même pas à la hauteur de créer ou maintenir une pareillement fiable et respectable hiérarchie à l’intérieur d’elle-même, à peu près comparable à celle par contre généralement et diffusément reconnue aux États-Unis26Lamacchia, L’avvocatura in bilico tra crisi irreversibile e rinnovamento culturale, Questione Giustizia 2008, p. 29 ; Ferrarese, Potere e competenza nelle professioni giuridiche, Sociologia del diritto 1992, p. 43..
Cet état des choses n’est pas sans nombreuses et désagréables conséquences quant à la fiabilité d’ensemble de ce système et, en plus, quant à son practical outcome. Du point de vue structurel, il semble que la très basse importance attribuée à l’enseignement et à ses résultats du côté professionnel (bien entendu, comme professionnalisation des étudiants en tant que futurs avocats) soit très significative, comme démontre le fait que le placement des matières procédurales -civiles et criminelles -, soient en effet relégués traditionnellement à la fin des curricula.
Ce n’est pas un hasard, à mon avis, si dans les vingt dernières années, spécialement en Italie, la perte de confiance concernant l’effectivité des facultés de droit a représenté un très puissant indice de méfiance quant aux chances effectives de changement et de fluidité sociales au niveau national.

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