La formation des juristes à la justice prédictive est-elle une nécessité ?
Frédéric ROUVIÈRE
Professeur, Laboratoire de Théorie du Droit, Aix-Marseille Université
Résumé
La justice prédictive et l’introduction de l’intelligence artificielle dans le domaine du droit conduisent à rénover nos croyances sur des thèmes classiques comme celui de la formation des juristes. Cependant, l’équation spontanée « à outil nouveau, formation nouvelle » n’est pas nécessairement pertinente. C’est plutôt le retour aux fondamentaux méthodologiques qui sera décisif.
Mots-clés
Justice prédictive – intelligence artificielle – méthodes d’enseignement du droit
Abstract
Predictive justice and the introduction of artificial intelligence in the field of law lead to a renewal of our beliefs on classical themes such as the education of lawyers. However, the spontaneous equation « new tools, new education » is not necessarily relevant. Rather, it is the return to the methodological fundamentals that will be decisive.
Keywords
Predictive justice – artificial intelligence – law teaching methods
I. À instrument nouveau, formation nouvelle ?
Répondre à la question de la formation des juristes à la justice prédictive suppose de se demander aujourd’hui ce qu’est une formation juridique de qualité, un thème en définitive assez peu investi dans la recherche académique en France.
En effet, les réflexions sont souvent absorbées par des analyses techniques (comme la détermination des plans de formation), par les questions de pédagogie innovante, voire par la didactique, mais très peu par les questions de méthode. Or ce sont les questions de méthode qui déterminent en définitive tout le reste à savoir, l’objet de la transmission qui, à son tour, détermine les modalités didactiques.
Au-delà de cette difficulté première, il existe un tel flou et un tel débat sur ce qu’est la justice prédictive qu’il est difficile d’identifier si la nécessité d’une nouvelle formation est pertinente. De quel instrument parle-t-on exactement ? En outre, il faut faire attention aux effets de mode et à la tentation d’un discours rhétorique vantant nécessairement la révolution dans la formation et le mode de pensée des juristes1F. Rouvière, « Dix problèmes épistémologiques sur la justice prédictive », D. 2021, p. 587..
Le concept de justice prédictive est une sous-catégorie de l’application de l’intelligence artificielle au droit. Sa terminologie elle-même implique l’idée que la machine va déterminer la solution du litige sans intervention humaine.
L’immense majorité des communications sur ce point agitent l’étendard de la peur et voient la justice prédictive comme une menace2F. Rouvière « La justice prédictive version moderne de la boule de la boule de cristal ? » RTD civ. 2017, p. 527.. Elles se font l’écho d’inquiétants romans d’anticipation comme Minority Report de Philippe K. Dick où il est possible de prévoir les crimes qui seront commis. La justice prédictive paraît ainsi accomplir la critique que le réalisme juridique adresse à la pensée juridique classique. Il faudrait se saisir de la signification sociologique du droit et du droit « dans les faits » par opposition à un droit « dans les livres ». Oliver Wendell Holmes, célèbre juge à la Cour suprême des États-Unis a donné une définition du droit qui colle en tous points à cette idée : « ce que les juges décideront, et rien de plus extraordinaire, voilà ce que j’appelle le droit »3O. Wendell Holmes, Jr., « The Path of the Law », Harvard Law Review, 10, 1897, p. 457 (notre traduction)..
Pourtant, si la machine est appelée à remplacer le juriste, la formation à mener sera plus un accompagnement psychologique pour aider le juriste à abandonner son métier qu’une réelle compétence nouvelle !
C’est bien pourquoi, cette version « dure »4F. Rouvière, « La justice prédictive : peut-on réduire le droit en algorithmes ? », Pouvoirs 2021, p. 97. de la justice prédictive doit être mise en regard avec d’autres outils issus de l’intelligence artificielle et tournés vers l’exploration de données (data mining). Ici, la machine assiste la recherche documentaire. Elle est donc au service d’une tâche des plus classiques : déterminer le problème juridique et les arguments qui permettent de le résoudre. La prédiction, si elle existe, est une anticipation des arguments possibles, bref, une élaboration d’une stratégie argumentative et dialectique.
A cet égard, le raisonnement juridique est proche du raisonnement médical5G. Samuel, « Qu’est-ce que le raisonnement juridique ? », Mélanges en l’honneur de Jean-Louis Bergel, Bruylant, 2013, p. 449.. Il s’agit chaque fois d’un raisonnement à partir de cas et une étude de situations singulières à partir de catégories générales. Il ne s’agit toutefois pas de raisonner « au cas par cas »6Sur cette distinction : F. Rouvière, « Apologie de la casuistique juridique », D. 2017, p. 118 s. mais bien d’adapter des données générales à la particularité de chaque dossier. Dans le domaine médical, le développement de la technologie n’a pas réduit le rôle du médecin, au contraire, elle a souligné le rôle majeur de son expertise pour interpréter les données et plus encore pour poser le bon diagnostic.
Il y a donc au moins deux logiques à l’œuvre : la justice du radar automatique où tout est déjà réglé par la machine et la justice du débat contradictoire qui est le modèle intellectuel en vigueur depuis Rome7A. Schiavone, IUS. L’invention du droit en occident, Belin, 2005, p. 13-24. et qui est encore le nôtre.
En somme l’opposition se résume entre un modèle sociologique et un modèle dialectique : le modèle des faits sociaux s’oppose à celui de l’argumentation8F. Rouvière, « Le droit est-il une science si ses résultats ne sont pas reproductibles ? », RTD civ. 2021, p. 787 s.. Cependant, explorer les données n’est pas raisonner. L’information seule ne dit rien. Il faut savoir ce qu’il faut chercher.
II. Que cherche un juriste ?
Un juriste ne cherche pas une solution : elle est donnée d’avance, par le client à son avocat9C.-S. Pinat, Le discours de l’avocat devant la Cour de cassation. Pour une théorie réaliste de la cohérence jurisprudentielle, LGDJ, Institut universitaire Varenne, 2017, passim. et au juge par les prétentions des parties10J. Carbonnier, Introduction au droit, PUF, Thémis, 26e éd., 1999, p. 33.. Le juriste cherche des arguments. Une formation à l’intelligence artificielle passe ainsi sans paradoxe par une formation préalable au raisonnement juridique.
En effet, l’argumentation juridique ne peut se construire qu’avec les données du droit positif et en contemplation d’un cas. Le modèle sociologique de justice prédictive à base d’analyses statistiques quantitatives ne pourra jamais évincer le caractère central du raisonnement juridique. Il ne faut pas confondre les instruments de gestion d’un risque ou les anticipations de dommages-intérêts avec de la justice prédictive. Quel intérêt de connaître l’indemnité moyenne en matière de licenciement illicite si nous ne sommes pas sûr qu’il s’agit d’un bien d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ? Le modèle prédictif « dur » tient souvent pour acquis ce qui est le cœur du débat en droit. En outre, faire de statistiques suppose un grand nombre de données recueillies et analysées sans biais. Le licenciement d’un joueur de football porté au contentieux peut fausser à la fois les moyennes et les médianes dans le calcul des indemnités.
En revanche, le modèle de la recherche documentaire et de l’exploration de données remet au cœur de l’analyse la détermination du problème juridique et son importance. En somme l’intelligence artificielle ne fait que décharger le juriste de certaines tâches fastidieuses : hier la consultation des arrêts publiés au bulletin et des recueils de jurisprudence, aujourd’hui la collecte en ligne des arrêts qui appuient ou réfutent la solution défendue11B. Dondero, « Pour un droit plus systématique : la fin des notes de jurisprudence », D. 2020, p. 292.. Ce mouvement est semblable à celui qu’a connu les thèses de doctorat au cours du XXe siècle. En l’absence de bases de données, toute thèse faisant une synthèse des sources disponibles était en soi une recherche d’intérêt.
La compilation des sources à grande échelle par les codes annotés et les encyclopédies a rendu vaine cette tâche et obligé les chercheurs à travailler leur concepts et à approfondi. De la même façon, l’accès simple et rapide à l’information juridique que promettent la plupart des solutions d’intelligence artificielle va contraindre orienter la plus-value des juristes dans l’intervention qualitative du raisonnement.
Ces brèves remarques mettent l’accent sur un point crucial : les algorithmes ne sont pas neutres : ils répondent à un modèle implicite du raisonnement juridique qu’ils tentent de traduire. Plus que jamais, la justice prédictive nous contraint à définir ce qu’est le raisonnement juridique, seul véritable objet de la formation des juristes.
III. Qu’est-ce qu’une bonne formation au raisonnement juridique ?
Christian Atias qui a consacré une grande partie de sa recherche à l’épistémologie juridique a montré dans de nombreux écrits emblématiques que l’art du raisonnement juridique est l’art de poser les bonnes questions12Ch. Atias, Questions et réponses en droit, PUF, 2015, passim.. Elles permettent alors de développer une argumentation pertinente. Il est clair que les formations juridiques actuelles sont encore adossées à une représentation du savoir juridique de type expertal et quantitatif. En somme, la plupart des facultés de droit forment encore les juristes comme si les bases de données, parfois même les codes annotés, n’existaient pas. On attend du juriste censément « bien formé » qu’il connaisse des informations et soit capable de les restituer selon un ordre qui va du général au particulier qui correspond grosso modo au plan d’un cours ou d’un manuel. Les juristes sortis fraichement formés des facultés de droit expriment une tendance au savoir encyclopédique spécialisé. Comme la grenouille sous la noix de coco, ils pensent connaître le monde du droit parce qu’ils se sont imposés des limites terriblement étroites.
En dépit des critiques dont elle a été l’objet, il faut reconnaître à l’école de droit de science-po une inspiration salvatrice : former les étudiants à la culture juridique et à une certaine façon de penser en juriste13Chr. Jamin, La cuisine du droit. L’École de droit de Sciences Po : une expérimentation française, Paris, Lextenso, 2012.. L’intelligence artificielle conduit à consommer totalement ce processus. Elle permettra sans doute d’avoir un accès rapide aux données, de bien les classer et les discriminer. Bref, il sera possible d’explorer plus rapidement l’intégralité des dimensions d’un cas : ses problèmes, ses solutions possibles, ses impasses et le nombre d’arrêts qui peuvent être mobilisés pour argumenter.
Pour former les étudiants à l’usage de ces données, il faut avant tout les former à questionner et argumenter et justement à ne pas accumuler des données. L’étudiant devrait être aussi à l’aise en droit administratif qu’en droit civil ou en droit de la santé. L’expertise ne serait plus une fin en soi mais un effet de la fréquentation assidue de certains domaines.
On l’a compris, il paraît peu crédible de former les juristes à l’intelligence artificielle sans les former d’abord à l’intelligence juridique. Un diplôme sur la justice prédictive ou une formation de quelques heures peuvent présenter le fonctionnement d’un outil précis. Jamais de telles formations n’entreront dans le cœur du problème qui réside dans la représentation verticale et dogmatique du corpus de la connaissance juridique14C’est le modèle de définition du genre prochain et de la différence spécifique : Aristote, Topiques, VI, 4, 141b, 25..
Les technologies du numérique ont déjà transformé le rapport au livre et à l’information. Ce que la formation à l’intelligence artificielle implique est bien un profond renouvellement à terme du modèle du cours magistral. La plupart du temps totalement descriptif, ce type de cours ne met absolument pas en valeur le raisonnement juridique. Au contraire, il se réduit souvent à délivrer des informations.
La tâche consistant à lire un ouvrage ou à s’informer peut aisément être remplacée par des cours en ligne comme l’université numérique juridique francophone (UNJF) a commencé à le faire. Le cours magistral devrait se centrer sur les problèmes, les cas limites, les aspérités du raisonnement, les stratégies argumentatives.
Il devrait ressembler au déroulement idéal d’une séance de travaux dirigés. A la rigueur, les actuels chargés de travaux dirigés pourraient faire les cours magistraux : un doctorant est parfaitement capable de guider les étudiants dans la compréhension des concepts de base accompagnés de leurs illustrations. Il est moins certain qu’il domine toute une matière et ses subtilités et soit parfaitement rompu au raisonnement juridique. Une formation de qualité implique ainsi que l’enseignant maîtrise à la fois un savoir expert (sur le fond) et un savoir constitué de méthodes de raisonnement. En d’autres termes, la formation des juristes doit porter sur ce qu’une machine est incapable de faire.
IV. Qu’est-ce qu’une machine ne sait pas faire ?
Les idéologies scientistes promettent que les machines progresseront toujours de façon à imiter parfaitement toutes les tâches humaines. Cependant, les applications actuelles de l’intelligence artificielle sont encore bien modestes15S. Dehaene, Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines, Odile Jacob, 2018, p. 67.. Et on est encore loin de la création de cyborgs totalement autonomes ; même les voitures qui portent ce nom ne fonctionnement pas correctement. En attendant une hypothétique ère du « tout cybernétique » (qui n’est pas pour demain) il paraît essentiel de former les juristes à réaliser tout ce qu’une intelligence artificielle ne sait pas faire et en premier lieu imaginer et créer, ce que l’analogie suppose.
V. Raisonner par analogie
Imaginer et créer c’est déterminer de façon adéquate un problème pour assurer la qualité d’une argumentation. Une machine ne sait pas pour l’heure comprendre des relations complexes comme celles des analogies de proportionnalité où A est à B ce que C est à D. Impossible pour elle de dire que les restitutions sont à l’annulation des obligations ce que la destruction des ouvrages sont au droit réel transgressé ou bien que le caractère intuitu personae est à l’obligation ce que la non-fongibilité est aux biens. De telles analogies ouvrent des voies d’argumentation en rapprochant des domaines qui suggèrent de transposer des jurisprudences d’un champ vers un autre.
Il est assez évident pour une intelligence humaine qu’une conduite en état d’ivresse puisse être assimilée à une conduite sous l’emprise de cannabis ou de cocaïne simplement parce qu’il s’agit dans tous les cas de stupéfiants. L’analogie résulte ici de l’appartenance à une même catégorie. De la même façon, il serait concevable de faire apprendre à une IA que les dommages-intérêts sont aussi une indemnité, que les vols sont des délits mais les viols des crimes et ainsi de suite. Bref, ici les formes d’analogies sont en réalité des façons de catégoriser le réel en le généralisant. Une technique comme le word embedding (littéralement le « plongement lexical ») qui consiste à considérer comme proches des mots qui n’ont pourtant pas la même structure pourrait aider à obtenir ce type de résultats.
Le technique permettrait de programmer la machine pour qu’elle reconnaisse certaines proximités comme étant signifiantes pour une intelligence humaine. Cela peut conduire à donner l’impression que la machine raisonne par analogie mais ce ne sera pourtant pas le cas. Pourquoi ? Si en droit, une IA pourra comprendre que les termes « vol » et « soustraction » forment une paire statistiquement signifiante, il ne s’agit pas d’une analogie mais du rapprochement d’un terme et d’un élément de sa définition, ce qui est bien différent. De même, il est encore certaines opérations mentales qui semblent tout à fait hors de portée pour une intelligence artificielle notamment celle qui consisterait à effectuer de véritables analogies au sens propre du terme (analogon) c’est-à-dire établir des rapports de proportionnalité. Depuis Aristote16J. Lonfat, « Archéologie de la notion d’analogie d’Aristote à Saint Thomas d’Aquin », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge 2004/1, p. 42 s., le modèle de l’analogie est le rapport mathématique qui existe entre des fractions : A est à B ce que C est à D. Autrement dit, 1/3=2/6 : la raison commune est l’identité de rapport. Si ce type d’analogie mathématique peut parfaitement être calculée, le même type de rapport dans le langage naturel devient quasiment indécelable pour une machine. Il paraît hasardeux qu’une IA puisse établir un rapport du type : le vol est à la soustraction des choses ce que l’abus de confiance est à leur détournement. Pourtant, ce rapport est précisément à la fois la source de la différence des deux infractions et ce qui fait leur communauté d’inspiration. Le vol comme l’abus de confiance privent de façon illicite le propriétaire de l’usage de son bien. La différence majeure est que dans le cas de l’abus de confiance le propriétaire a consenti la remise préalable de la chose à celui qui la détourne (par ex. chose prêtée ou laissée en dépôt) alors que dans le vol la soustraction se fait en principe à son insu ou du moins contre sa volonté.
Les limites évidentes de l’IA pour l’analogie de proportionnalité, voire pour de simples comparaisons, amènent à garder une certaine humilité dans la prétention à remplacer l’homme par la machine. Une machine ne peut que reproduire des données, elle ne peut réviser le corpus de connaissance à partir de lui-même. C’est pourtant cet aspect essentiel de révision qui occupe les juristes, les juges comme les avocats. Ceux-ci ne cessent d’amender le droit et d’introduire des distinctions en les justifiant à partir des données existantes. que la structure de l’atome peut être regardé semblable au système solaire : le noyau de l’atome se comporte comme le soleil, il entretient les mêmes rapports avec les éléments qui s’organisent autour de lui.
VI. Raisonner par concepts
L’aspect créatif du juriste se manifeste encore par la maîtrise des concepts juridiques17G. Sartor, « The Nature of Legal Concepts : Inferential Nodes or Ontological Catgeories ? », European University Institute, Working Paper, 2007, p. 7.. Les chercheurs ne cessent de discuter des liens qu’ils entretiennent avec les autres. Relier la possession au concept de vol permet d’éclairer l’idée de soustraction18P.-Y. Gautier, « Emile Garçon et le droit civil », Mélanges André Decocq. Une certaine idée du droit, Litec, 2004, p. 270-273. ; construire une responsabilité contractuelle par symétrie avec la responsabilité civile suppose également une certaine créativité19Ph. Rémy, « La responsabilité contractuelle : histoire d’un faux concept », RTD civ. 1997, p. 323 et s.. Toutes ces façons de conceptualiser le droit ont ensuite une influence sur la façon d’argumenter les solutions. Les concepts et les théories n’ont pas le rôle informatif auquel nous les avons trop souvent cantonnés20F. Schauer, « Legal positivism as Legal Information », Cornell Law Review, 1997, p. 1080 s., ils ont aussi un rôle dynamique d’interprétation des données, de synthèse ainsi qu’un rôle décisif dans la façon de poser les questions. On ne raisonne pas de la même façon selon que la soustraction est reliée à la possession ou bien que l’on croit que la responsabilité contractuelle est un concept pertinent. Les concepts ne sont pas de simples notions analytiques mais des systématisations cohérentes21Ch. Eisenmann, « Quelques problèmes de méthodologie des définitions et des classifications en science juridique » Arch. Ph. Dr 1966, p. 25-43., parfois de grande ampleur. L’enjeu en matière de justice prédictive est que les concepts fixent les idées et les mots à chercher, les faits pertinents et les jurisprudences à mobiliser. Bref, connaître le droit applicable n’est pas la fin, c’est le début de l’argumentation.
La justice prédictive et l’intelligence artificielle obligent à se recentrer sur l’essentiel de l’apport humain. Un algorithme exécute, il ne crée pas de concepts, pas de questions et n’a pas une vision stratégique de l’argumentation. Fouiller dans les données n’est pas raisonner.
Conclusion : quelle formation ?
Même si les propositions qui suivent ne seront pas populaires, nous préconisons l’abandon du commentaire d’arrêt tel qu’il est trop souvent pratiqué dans les facultés de droit22F. Rouvière, « La fin du commentaire d’arrêt », RTD civ. 2020, p. 489 s. (une espèce de fiche mal digérée) tout comme pour les cas pratique qui n’ont de pratique que le nom.
Le sens du questionnement et de l’argumentation tout comme la maîtrise des concepts s’acquièrent par l’étude des problèmes posés par des cas réels ou imaginés. Les compétences du juriste de demain seront celles qu’il devrait déjà avoir aujourd’hui : accéder rapidement à une information pertinente (maîtrise des outils de recherches, y compris documentaires), raisonner de façon transversale (avoir une vue d’ensemble implique de décloisonner les spécialités), poser les bons problèmes juridiques et évaluer le poids des arguments en présence (percevoir la pertinence des analyses).
A ce titre, les exercices qui répondent à ces capacités sont la note de synthèse (dont l’exercice arrive tard en faculté, souvent après la 5e année pour la préparation aux concours) et bien entendu la consultation ou l’argumentation juridique, la première étant mise à l’honneur pour l’accès au Centre Régional de Formation Professionnelle des Avocats. Le fait de se centrer sur de tels exercices suppose d’abandonner en partie l’exposé du cours magistral ou bien de le renouveler en le mettant sous d’autres formes comme des vidéos. En définitive, c’est le temps de présence de l’étudiant qui doit être optimisé pour être mobilisé dans une perspective de réflexion et non d’accumulation d’informations, ce que l’intelligence artificielle appliquée au droit saura toujours mieux faire que lui !