Sélectionner une page

La formation des professionnels du droit (avocats, magistrats)

2. LE DÉFI DE LA PROFESSIONNALISATION, Cahiers N° 35 - RRJ - 2021-3

Jean-Philippe TRICOIRE

Maître de conférences HDR, Aix-Marseille Université, Codirecteur de la Mention droit immobilier, Directeur adjoint du GREDIAUC (UR 3786)

Résumé

La formation des professionnels du droit diffère de la formation initiale des étudiants en droit en ce qu’il s’agit de contribuer à la formation de « juristes déjà faits ». Malgré de nombreux points de convergence tenant à une certaine unité du savoir juridique, les particularités de la formation professionnelle des juristes en activité méritent d’être soulignées. De l’identification des problématiques pratiques susceptibles d’intéresser l’auditoire à l’élaboration d’un dossier documentaire complet et ergonomique, en passant par la méthode casuistique mise en œuvre avec les participants le jour de la formation, on recense certaines spécificités de fond comme de forme qui constituent l’essence même de la formation continue des professionnels du droit – ce qui n’empêche pas leur transposition au sein des murs de l’Université au service de nos étudiants.

Mots-clés

Formation des professionnels du droit – avocats – magistrats – méthode – casuistique

Abstract

Despite obvious points of convergence relating to a certain unity of legal knowledge as a set of proven techniques and elements of reasoning, the education of legal professionals differs from the education of students at the University in that it is a question of contributing to the continuous training of « lawyers who are already established » and not to the initial education of future lawyers.

Keywords

Professional education – lawyers – judges – educational methodology – teaching methodology

Introduction

Spécificité de la commande. La communication qui m’a été demandée pour ce colloque consacré à la formation des juristes consiste en un simple retour d’expérience très concret sur les activités de formation auxquelles j’ai l’honneur d’être associé en dehors de l’Université1Notamment en qualité de Directeur scientifique du pôle immobilier du réseau ALTAJURIS INTERNATIONAL, de formateur puis directeur de sessions de formation à l’École Nationale de la Magistrature et de formateur auprès de divers organismes professionnels ou institutionnels..
Former des « juristes déjà faits ». Malgré des points de convergence évidents tenant à une certaine unité du savoir juridique en tant qu’ensemble de techniques éprouvées et d’éléments de raisonnement2Ch. Atias, Devenir juriste. Le sens du droit, Lexisnexis, 2e éd., 2014., la formation des professionnels du droit diffère de la formation des étudiants à l’Université en ce qu’il s’agit de contribuer à la formation continue de « juristes déjà faits » et non à la formation initiale de juristes en devenir, en vue de leur éclosion à venir. En cela, la formation des professionnels du droit est profondément ancrée dans le présent, tant du point de vue de son contenu que de son efficacité. Les objectifs ne sont donc pas exactement identiques et les attentes ne sauraient évidemment être les mêmes, ce qui implique des spécificités non seulement de fond mais parfois aussi de méthode.
Objectifs poursuivis. S’il n’existe pas de modèle unique, du point de vue du formateur le but poursuivi dans le cadre des formations dispensées aux juristes en activité dépasse le plus souvent la simple information sur l’actualité de tel ou tel domaine ou le rappel exhaustif du régime juridique applicable à une question pratique donnée. Évidemment, l’objectif premier recherché par les auditeurs est souvent là. Toutefois, l’intérêt d’une formation professionnelle est aussi de replacer, une décision, une solution, une problématique ou directement une notion juridique dans l’ensemble plus vaste au sein duquel elle s’insère. En cela, ce sont évidemment les rapports entre les différentes catégories juridiques, ainsi que les « cas frontières » qui sont à la fois les plus intéressants et les plus utiles au travail du formateur3J.-L. Bergel, Méthodologie juridique, Paris PUF, Thémis, 3e éd. 2018, p. 98.. De ce point de vue, les développements de l’intervenant peuvent porter sur les contours des concepts juridiques abordés et sur les points de convergence, pour ne pas dire de chevauchement, des champs d’application respectifs des différents régimes juridiques étudiés4Ibidem. et leurs conséquences. En d’autres termes, l’idée est de cartographier les éléments du système juridique et de replacer opportunément la problématique posée dans un ensemble plus vaste. Par exemple, les rapports du droit spécial et du droit commun ou les situations de concours entre diverses qualifications juridiques sont fréquemment l’objet de développements particulièrement prisés des auditeurs.

Une autre facette essentielle de la formation des professionnels du droit tient à la réflexion commune qui peut naître entre les auditeurs et le formateur en vue de tenter de dégager ensemble des pistes de réflexion ou des voies d’argumentation possibles dans une vision prospective. Cette réflexion commune conduit parfois à mieux identifier les conséquences juridiques indirectes – à la fois théoriques et pratiques – d’une solution jurisprudentielle ou d’une évolution législative. Par exemple la réception par lots, que la Cour de cassation semble admettre dans son principe depuis 2017, emporte un certain nombre de conséquences pratiques indirectes en matière d’assurance construction. Ces conséquences méritent d’être clairement exposées aux participants à une formation professionnelle consacrée au droit de la construction.
Enfin, le formateur peut parfois aussi chercher à emporter la conviction de son auditoire sur un sujet donné, qui fait l’objet de controverses doctrinales ou d’hésitations jurisprudentielles. Le désaccord qui oppose la première et la troisième Chambres civiles de la Cour de cassation sur la nature du double délai d’encadrement de l’action en garantie des vices cachés du droit commun de la vente en constitue un exemple pertinent et d’actualité. Si la neutralité d’opinion ne s’impose pas nécessairement au formateur, il doit en revanche toujours préciser sans ambiguïté ce qui relève de son opinion propre et ce qui est de droit positif. Dans le même sens, il doit impérativement laisser la place à la discussion et à l’expression des points de vue divergents. Une telle démarche de conviction ne peut s’envisager qu’au travers d’une rhétorique appropriée5Ch. Perelman, L’empire rhétorique, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2012, p. 23 et s..
Adaptation du discours. Le discours doit nécessairement être adapté6Ibidem., tant dans son contenu que dans sa forme, pour répondre efficacement à ces différents objectifs. Autrement dit, une fois le thème de la formation arrêté, le choix du matériau brut qui sera travaillé lors de la formation est guidé par la qualité des auditeurs, leurs attentes et leur degré de compétence dans la matière traitée. La méthode retenue pour travailler ce matériau brut le jour de la formation dépend de multiples paramètres comme le nombre d’auditeurs, leur spécialité, la récurrence des formations avec le même formateur ou encore la technicité de la matière ou du programme envisagé.
Plan. Envisager le processus de formation des professionnels du droit, qu’il s’agisse d’avocats, de magistrats ou de notaires, conduit ainsi à distinguer deux phases successives d’égale importance : d’abord, la préparation de la formation (I) et, ensuite, sa dispensation (II).

I. La préparation de la formation

Phase essentielle. La préparation est une phase absolument essentielle dans le processus de formation des professionnels du droit. La détermination des thématiques pertinentes et l’identification des problématiques susceptibles de sous-tendre la formation (A) précèdent généralement l’élaboration d’un dossier documentaire (B), qui est aujourd’hui au moins aussi attendu que l’échange oral lui-même.

   A.   La détermination des thématiques et problématiques pertinentes

Distinction. La nature du travail de préparation de la formation diffère assez largement selon que l’on est directeur scientifique ou directeur de session (1) ou uniquement formateur (2). Néanmoins, dans les deux cas, un important travail de sélection et de définition du contenu de la formation doit être effectué.

1. Direction de la formation

Direction scientifique. Le directeur de la formation doit déterminer les grandes thématiques, les « sujets » généraux qui seront abordés dans la formation ou dans le cycle de formation considéré. On peut parler de direction scientifique lorsque le rôle du directeur s’inscrit dans un cadre global sur une ou plusieurs années. C’est alors la carte ou le programme de formation qui doit être élaboré avec une cohérence d’ensemble, en considération des besoins concrets des auditeurs. C’est là un aspect essentiel que doivent avoir à l’esprit tant le directeur scientifique que la personne en charge de la formation : l’objectif est de répondre aux attentes des participants !
Définition des besoins des auditeurs. Pour cela, il convient de définir au mieux les besoins des auditeurs en amont et d’adapter les propositions de formation qui sont formulées à ces besoins. Pour le directeur scientifique, la connaissance des besoins des auditeurs peut être le fruit d’échanges avec les professionnels du secteur, de sa propre expérience professionnelle ou d’une réflexion plus générale sur la matière. Simplement, cette dernière modalité nécessite une grande connaissance, pour ne pas dire une expertise, du domaine en cause.
La détermination des grandes orientations d’une carte de formation peut s’opérer par matière, par thème à l’intérieur d’une matière ou par « problème ». De manière générale, nous utiliserons la matière immobilière comme terrain d’illustration de notre propos.
Dans le premier cas, le directeur de session initie un cycle de formation sur une matière et propose plusieurs thématiques complémentaires dans la matière. Par exemple, un cycle consacré au « droit foncier » est initié sur 3 ans.
La première année une formation en droit des biens classique est proposée sur deux journées. La deuxième année une formation de deux jours est organisée en droit de l’urbanisme. La dernière année, une formation plus raffinée fait la synthèse en étant orientée sur le montage opérationnel, l’aménagement foncier et les problématiques transversales.
Dans la deuxième hypothèse (détermination par thème à l’intérieur d’une matière), le directeur scientifique décide de consacrer une ou plusieurs journées de formation à un thème donné. À titre d’exemples, on peut citer la réception de l’ouvrage en droit de la construction, les assemblées générales en droit de la copropriété, les droits de préemption, les promesses de vente immobilière, le droit au renouvellement des baux ou encore les servitudes. Toutes les problématiques du thème choisi seront alors abordées à l’occasion d’une ou plusieurs journées de formation.
Enfin, dans le dernier cas, le directeur de session identifie un problème « contextuel » et propose une ou plusieurs formations pour le traiter. Par exemple, des formations peuvent être consacrées aux pénuries de matériaux, à la gestion de l’imprévision dans les marchés de construction, aux difficultés de mise en œuvre de la garantie d’achèvement dans les contrats de promotion immobilière et évidemment, on peut penser à une thématique qui a intéressé le monde entier à compter du 12 mars 2020 : la gestion des conséquences du COVID-19.
Direction de session. Parfois, le travail de direction ne concerne qu’une seule formation (sur une ou plusieurs journées), dont la thématique est arrêtée et encadrée par le « directeur de session ». À titre d’illustration, à l’École Nationale de la Magistrature, les cycles de formation proposés aux magistrats en poste sont généralement définis par matière : droit de la construction, droit des baux, droit de la copropriété… Le directeur de session, en concertation avec le Magistrat responsable de la formation continue, définit alors le contenu de la formation en considération de ce qu’il estime être le plus attendu par les auditeurs. Par exemple, en droit de la construction, il peut décider d’orienter la formation davantage sur les contrats ou sur la responsabilité ou préférer traiter les deux de manière équilibrée. Il peut choisir de traiter spécifiquement l’assurance-construction de manière autonome ou la coupler avec la responsabilité des constructeurs. Il peut choisir de consacrer une intervention au droit de la promotion immobilière ou privilégier la sous-traitance. Sur ce point, les retours qui sont effectués par les participants dans le cadre des questionnaires de satisfaction distribués en fin de session apportent des éclairages extrêmement précieux au directeur de session pour améliorer son offre.
Identification des formateurs idoines. S’il n’assure pas la formation lui-même, le directeur scientifique ou le directeur de session doit identifier les experts susceptibles de dispenser la formation en considération des attentes des participants inscrits à la session. Il peut s’agir de collègues universitaires, de praticiens du droit (avocats essentiellement mais il peut également s’agir de magistrats, de notaires ou autres) ou de professionnels et techniciens d’autres domaines (par exemple : en droit immobilier, on peut penser à des architectes, à des ingénieurs en matière de performance énergétique ou de performance acoustique, à des experts…). Évidemment, le choix du formateur dépend grandement de la thématique retenue pour la formation.
Très souvent, les points de vue croisés entre praticiens du droit et universitaires sont particulièrement appréciés par les auditeurs. Au-delà des poncifs habituels du mariage entre théorie et pratique, nous tenterons de mieux comprendre les raisons de ce succès un petit peu plus tard.
Il convient d’être vigilant sur ce point dans la mesure où les auditeurs, qui financent la formation et qui prennent sur leur temps de travail, sont extrêmement exigeants sur la qualité de la prestation du formateur. On est ici dans une logique consumériste, qui oblige le formateur à atteindre un niveau d’excellence élevé.
Contenu concret de la formation. Une fois, la thématique générale déterminée et le formateur identifié, il s’agit d’arrêter le contenu plus précis de la formation. Le directeur de session peut imposer un contenu très ciblé et très encadré. Néanmoins, cela est relativement rare. En effet, le plus souvent une grande latitude est laissée au formateur dans le choix des questions précises qu’il lui semble pertinent d’aborder à l’occasion d la formation.

2. Travail du formateur

Détermination des problématiques. La personne en charge de la formation doit effectuer un important travail de sélection des problématiques concrètes qui méritent d’être abordées à l’occasion de la session. Par définition, le temps de la formation est limité et il est impossible dans ce temps restreint d’aborder de manière satisfaisante tous les aspects de la thématique sur laquelle porte la formation. Il est donc essentiel de sélectionner ce qui mérite d’être retenu et ce qui peut être mis de côté.
Cela se comprend aisément pour les formations dont le sujet a été élaboré par matière (droit de la construction, droit de la copropriété, droit des biens, voies d’exécution en matière immobilière…) ou par thèmes généraux à l’intérieur d’une matière (la réception, le secteur protégé, la fin du bail…).
Toutefois, dans l’hypothèse d’une formation dont le thème a été défini par « problème contextuel », une sélection mérite encore d’être effectuée pour mieux cibler et orienter la formation. Par exemple, dans l’hypothèse d’une formation consacrée aux pénuries de matériaux, le formateur pourra préférer traiter principalement des mécanismes correctifs à la force obligatoire du contrat (force majeure, imprévision, clauses de renégociation, clauses de majoration de délai…) ou au contraire cibler le jeu des clauses d’actualisation, d’indexation ou de variation de prix : leur rédaction, leurs différents mécanismes, leur mise en œuvre…

Les choix de sélection sont opérés par le formateur sur la base de critères simples qui tiennent :
– aux attentes propres du public. Ce premier critère est essentiel. Sur ce point, on sait que Perelman a pu dire dans son Empire rhétorique que « Le seul conseil d’ordre général qu’une théorie de l’argumentation puisse donner en l’occurrence, c’est de demander à l’auteur de s’adapter à son auditoire »7Ch. Perelman, L’empire rhétorique, Librairie philosophique J. Vrin, 2012, p. 31..
Pour qu’une formation à destination de professionnels du droit soit aussi efficace que possible, on doit donc s’interroger en amont sur divers éléments déterminants : s’agit-il d’avocats, de magistrats, de notaires ?
S’il s’agit d’avocats, pratiquent-ils d’avantage le conseil ou le contentieux ? Sont-ils spécialistes de la matière ou généralistes ? Ont-ils une expérience du domaine ou sont-ils novices.
Pour les formations à l’ENM, s’agit-il de magistrats professionnels ou de juges consulaires ?
Plus les auditeurs sont spécialisés, plus les problématiques abordées seront pointues et plus le traitement proposé sera raffiné. À l’inverse, en présence de novices qui découvrent le sujet, la présentation des éléments fondamentaux de la matière constituera l’essentiel de la formation, l’objectif étant alors de donner aux participants l’occasion de constituer un premier socle solide leur permettant d’acquérir une vision générale et structurelle de la matière.
Sur ce point, on notera que les organismes de formation précisent souvent sur leurs programmes le niveau de la formation (fondamentaux, perfectionnement, expert…) et les prérequis pour suivre la formation dans de bonnes conditions.
– à l’actualité de la matière. Les questions d’actualité ne peuvent évidemment pas être ignorées dans le cadre d’une formation à destination des professionnels du droit. En effet, de nombreux auditeurs viennent d’abord chercher de l’information actualisée, des références et du confort pour leur travail en cabinet ou en juridiction. Une fois que l’auditeur a la sensation que cet objectif de collecte d’information est atteint, l’espace se crée naturellement pour que des réflexions plus fondamentales puissent se déployer.
– à la technicité du sujet traité. Certains thèmes transportent un lot de problématiques qui s’imposent naturellement. Par exemple, en matière de responsabilité des constructeurs, les critères de définition des notions d’ouvrage de construction, d’élément d’équipement ou de dommages de nature décennale, la problématiques des délais de leur combinaison et de leurs effets ou celle de l’articulation du principe de réparation intégrale et du principe de proportionnalité sont récurrentes et toujours très attendues des participants.
Enjeu. Il y a un enjeu évident dans cette phase préalable de détermination du contenu concret de la formation et plus particulièrement des problématiques pertinentes qui y seront abordées. En effet, c’est souvent le programme détaillé diffusé par l’organisme de formation au travers de différents vecteurs de communication qui détermine les participants à s’inscrire ou non à une session de formation. Les formations sont le plus souvent payantes et le secteur devient particulièrement concurrentiel. Aussi, la qualité du programme proposé est un critère déterminant du succès en ce qu’il est susceptible de convaincre les auditeurs potentiels de participer – ou non – à la session proposée.
Surtout, dès lors que dans une démarche de « contrôle qualité », les auditeurs sont systématiquement invités à donner leur avis, dans le cadre d’un questionnaire de satisfaction, sur le contenu de la formation qui leur a été dispensée et sur son adaptation à leurs besoins, la sélection du « matériau brut » et des problématiques pertinentes qui nourriront la réflexion commune est essentielle.
Une fois que ce travail de détermination du contenu concret de la formation est effectué, le formateur doit élaborer la pièce maîtresse de tout le processus : le support documentaire.

   B.   L’élaboration du support documentaire

Outil de référence. Comme nous l’avons déjà dit, la plupart des auditeurs viennent d’abord chercher de l’information d’actualité. Ils veulent une présentation exhaustive des éléments composant l’actualité brûlante de la matière ou du thème traité (évolutions législatives ou réglementaires, derniers arrêts, réponses ministérielles…). Aussi, le dossier documentaire élaboré par la personne en charge de la formation est d’abord un outil de référence en ce qu’il permet aux auditeurs de disposer d’un support complet et actualisé sur le sujet, qu’ils pourront consulter et utiliser pour leur travail en juridiction, en cabinet, en étude ou en entreprise.
Aujourd’hui, de l’aveu même des participants aux formations qui nous formulent des retours très concrets sur la qualité des formations dispensées, le support documentaire qui leur est transmis est aussi important pour eux que la présentation orale et l’échange qui interviennent lors de la formation elle-même. Dans les questionnaires remis aux auditeurs pour évaluer la qualité de la formation, le dossier documentaire fait d’ailleurs l’objet d’items propres.
Contenu et « ergonomie ». Plus le support est complet, dense et actualisé, plus les participants apprécient l’outil, sous réserve qu’il soit ergonomique, structuré et organisé selon un plan apparent et cohérent. Un support dense, même actualisé mais difficile d’accès ne satisfait généralement pas les participants qui, en fin de compte, ne l’utilisent pas en pratique.
Les plans simples et thématiques sont généralement les plus appréciés. Le traditionnel plan en deux parties et deux sous parties des Facultés de droit n’est pas un canon de l’exercice. L’aspect déterminant tient au fait que les auditeurs puissent se mouvoir facilement au sein du document, qui constitue pour eux une « mine de références ».
De ce point de vue, les supports documentaires reprennent l’actualité législative et réglementaire de la matière lorsque cela est pertinent et surtout présentent l’actualité jurisprudentielle récente.
Cet aspect est essentiel. Le matériau jurisprudentiel exposé comprend nécessairement l’ensemble des arrêts qui font l’actualité de la thématique abordée (arrêts datés de 1 à 3 ans selon la thématique concernée et sa vitalité jurisprudentielle).
C’est l’un des aspects pratiques que les professionnels recherchent : une mise à jour aussi complète que possible dans le domaine considéré.
Toutefois, dans un double objectif de pertinence et de cohérence, le dossier documentaire peut également reproduire les arrêts fondateurs de solutions essentielles aujourd’hui bien acquises, ainsi que ceux qui ont marqué les grandes étapes d’une évolution jurisprudentielle jusqu’au jour de la formation. Le document constitue alors un outil précieux pour le participant à la formation qui pourra l’utiliser ultérieurement dans le cadre de son activité quotidienne pour nourrir sa réflexion sur un sujet donné ou pour étayer son argumentation dans un dossier concret. C’est ici que la dimension d’outil de référence rejoint la fonction pédagogique du support qui ne constitue qu’une base de départ au service du formateur le jour de la formation.

II. La dispensation de la formation

Partir du document. Le jour de la formation, les arrêts contenus dans le dossier documentaire, au-delà de l’objectif évident d’information et d’actualisation qu’ils servent, constituent un prétexte pour discuter de problématiques plus fondamentales (A) tout en utilisant l’échange comme moteur principal de la formation (B).

   A.   L’utilisation des arrêts comme prétexte : la casuistique

Une question d’approche. Le jour de la formation, le support documentaire peut être suivi, page par page, arrêt par arrêt ou au contraire ne constituer qu’une sorte de fil conducteur et donner beaucoup de liberté au formateur. Le dossier documentaire transmis a alors le mérite de rassurer les auditeurs sur le matériau concret qu’ils conserveront à l’issue de la formation et de permettre au formateur de conduire les participants dans une réflexion collective plus poussée. Autrement dit, le premier objectif de collecte d’informations d’actualité poursuivi par les participants étant satisfait par le dossier documentaire, un espace est naturellement libéré pour l’échange et la mise en perspective des problématiques pertinentes.
Surtout, le document, par les arrêts qui y sont reproduits, permet au formateur de conduire son propos dans un mouvement et selon des dynamiques dont il imagine les grandes lignes à l’avance. On pourrait dire qu’il compose sa mélodie avant de la jouer… ce qui n’exclut pas une dose d’improvisation, indispensable le jour de la formation.
Sélection des arrêts effectivement traités. En pratique, le formateur va sélectionner certains arrêts au sein de son document qu’il traitera plus spécifiquement le jour de la formation. Cette sélection s’opère en considération de critères variés. Le premier auquel on pense spontanément est celui de l’actualité. Comme nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, les auditeurs attendent d’être « à jour » sur les éléments d’actualité en sortant de la formation.
Toutefois, ce n’est là qu’un critère contingent. En effet, si l’actualité de la matière n’est pas spécialement intense, le moindre arrêt récent même s’il est peu important sera évoqué et présenté au moins brièvement le jour de la formation. En revanche, lorsque l’actualité est riche, il faut sélectionner les arrêts pertinents au sein d’un ensemble d’arrêts qui sont tous récents et qui sont souvent tous mentionnés ou reproduits dans le support documentaire.
La portée ou la nouveauté de la solution posée par tel ou tel arrêt constituent des critères évidemment importants dans la mesure où il est impossible de faire l’impasse sur un arrêt dont l’apport est certain.
Casuistique. Simplement, au-delà de ces aspects, les arrêts sont aussi sélectionnés en considération du problème juridique plus fondamental qu’ils contiennent. De ce point de vue, le « problème » dont il est ici question est un problème conceptuel et non un « problème contextuel » de la nature de ceux dont nous avons parlé en amont pour la définition des thématiques de formation.
L’arrêt n’est alors qu’un prétexte pour discuter d’une question plus générale et pour remonter, dans une espèce de démarche casuistique8F. Rouvière, « Apologie de la casuistique juridique », D. 2018, p. 118-123 ; C.C. Langdell, A selection of cases in the law of contracts, Boston, 1871., du cas particulier aux principes qui gouvernent la matière9F. Colonna d’Istria, Philosophie du droit et pratique des juristes, Paris, Dalloz, 2021, n° 25 : « D’où comme nous le relevions, cette manière typiquement romaine d’exposer les opinions juridiques, en partant toujours du cas concret ».. En résumé, on part de l’arrêt uniquement pour retenir le problème qu’il pose. Autrement dit, on se désintéresse des faits propres de l’espèce pour se concentrer sur la problématique juridique qu’elle génère. À cet instant de l’échange, le degré de généralité auquel arrive la discussion captive généralement l’auditoire. En effet, l’universalité de la question posée et du traitement qui en est proposé intéressent immédiatement les participants. Les auditeurs y voient l’occasion de tirer une règle de raisonnement ou d’argumentation transposable à l’envi, quels que soient les faits particuliers des cas concrets qu’ils pourraient avoir à traiter dans le futur10F. Colonna d’Istria, op. cit., n° 294 : « Partant des solutions textuelles, les hypothèses y reviennent afin d’asseoir leur validité »..
Prenons un exemple simple et très concret pour illustrer ce propos. Un arrêt de la troisième Chambre civile de la Cour de cassation du 12 janvier 2011, qui se retrouve systématiquement dans les supports de formation consacrés aux marchés de construction ou à la responsabilité des constructeurs, a pour objet un cas dans lequel le procès-verbal de réception de l’ouvrage n’a pas été signé par l’entrepreneur alors même que celui-ci était présent aux opérations de réception. Une double question pratique se pose alors : la preuve d’une réception contradictoire peut-elle être rapportée et celle-ci est-elle opposable à l’entrepreneur ? La Cour répond que le caractère contradictoire de la réception ne saurait être contesté dès lors que la présence aux opérations de réception de la partie qui n’a pas signé est confirmée par d’autres éléments de preuve.
Le formateur peut ne pas poser les questions et se contenter de présenter la solution de la Haute juridiction, à partir des faits, sans davantage de développements.
Il peut également poser la question de manière plus générale : pour traiter ce cas, il est nécessaire de poser une question fondamentale : quelle est la nature de la réception ?
Ce degré de généralité attire immédiatement l’attention des auditeurs. Après avoir dit que la réception est un acte juridique, le formateur propose aux auditeurs de revenir au droit commun de la preuve. La lecture de l’article 1359 du Code civil justifie pleinement qu’un PV de réception signé de toutes les parties concernées soit exigé pour que la preuve d’une réception contradictoire puisse être valablement rapportée. Toutefois, le PV qui contient des observations de l’entrepreneur sur certaines réserves émises par le maître de l’ouvrage peut valoir commencement de preuve par écrit. À ce titre, il peut être confirmé par tout autre moyen de preuve à la disposition du maître de l’ouvrage. La double preuve de l’existence de la réception et de son caractère contradictoire peut donc être valablement rapportée, conformément aux principes généraux qui gouvernent le droit de la preuve dans son ensemble. La solution rendue par la Haute juridiction est alors éclairée non plus sous le seul jour du droit spécial de la construction mais sous le jour du droit commun de la preuve. Le raisonnement posé est alors transposable à d’autres cas et la réflexion commune se nourrit de ce raisonnement.

Catégories juridiques. Le phénomène est plus marqué encore lorsque la problématique juridique générée par les faits de l’arrêt conduit à poser une question structurante qui touche aux catégories juridiques ou plus exactement à leurs frontières et à leur chevauchement11J.-L Bergel, Méthodologie juridique, op. cit., p. 98.. Ce sont donc les outils utiles au processus de qualification qui sont ici discutés. De ce point de vue, les cas « critiques » ou cas frontières sont ceux qui présentent le plus d’intérêt du point de vue de la présentation et de la discussion12F. Rouvière, « La méthode casuistique : l’apport des cas critiques pour la construction des catégories juridiques », Cahiers de méthodologie juridique. Revue de la Recherche Juridique, PUAM, 2018, p. 1981-1995..
Tout naturellement, les participants à la formation y accordent une attention toute particulière. Autrement dit, contrairement à ce que l’on pourrait penser instinctivement, les questions qui permettent de retracer, de rappeler ou d’éclairer sous un jour nouveau la cartographie des grandes catégories juridiques qui sous-tendent une matière ou un domaine donné sont celles qui intéressent le plus les auditeurs qui y trouvent des réponses structurantes et efficaces aux difficultés pratiques qu’ils ont à traiter au quotidien.
Là encore, prenons un exemple concret et accessible pour illustrer notre propos. Un arrêt récent du 10 juin 2021 qualifie le délai de l’article 1792-4-3 du Code civil de délai de forclusion. Le formateur peut faire le choix de ne présenter que cette solution et d’en tirer les conséquences en termes de régime juridique. Il peut aussi s’interroger sur la nature des actions qui sont soumises à ce délai. Par exemple, quelle est la nature de la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs pour faute prouvée, qui constitue l’hypothèse légale type de ce texte ? Si elle est soumise à un délai de forclusion, il est difficile de considérer qu’il s’agit d’une action contractuelle classique fondée sur le droit commun de l’inexécution. Il s’agit davantage d’une action fondée sur une espèce de responsabilité spéciale des constructeurs pour vice caché de moindre gravité.
Collaboration universitaire/praticien du droit. C’est aussi là que la collaboration entre un universitaire et un praticien du droit au sein d’un binôme de formateurs prend tout son sens. En effet, le praticien présente l’énorme avantage de rencontrer les problèmes juridiques dans les cas concrets qui lui sont soumis. Au-delà des questions purement procédurales, que nous mettrons de côté aujourd’hui, il expérimente quotidiennement l’implication pratique des problèmes juridiques auxquels il est confronté et sent intuitivement la nécessité de les résoudre structurellement pour ne pas dire conceptuellement, au-delà de la simple « réponse » que pourrait apporter la Cour de cassation. Son éclairage est essentiel pour mesurer l’intensité d’une problématique et les difficultés de sa résolution.

Le formateur universitaire peut alors apporter une vision plus fondamentale, plus conceptuelle de la problématique et des clés de sa résolution. Selon les problématiques, il peut s’interroger sur les critères de qualification de tel ou tel élément du réel. Il peut également opérer les va et viens nécessaires entre le droit spécial propre au sujet de la formation considérée et le droit commun, afin d’éclairer la problématique étudiée sous un jour différent, plus fondamental. Enfin, il peut effectuer des rapprochements avec d’autres problématiques du même domaine, voire avec d’autres branches du droit.
Cette dialectique entre théorie et pratique nourrit la formation dispensée autant que les échanges avec les auditeurs.

   B.   L’échange comme moteur

L’interaction. L’autre avantage logistique du dossier documentaire est que les participants ne sont pas angoissés par la prise de notes et la peur de « passer à côté de quelque chose ». Libérés de la contingence de la prise de notes, ils peuvent interagir avec le ou les formateur(s) et avec le reste de l’auditoire. Les remarques des uns et les questions des autres constituent alors le sel de la formation dispensée, les interventions successives permettant de nourrir le propos général. Parfois, c’est une problématique non identifiée au préalable qui est soulevée par un auditeur. D’autres fois, c’est l’expression d’une incompréhension qui révèle une difficulté d’ordre technique ou plus conceptuel. Enfin, c’est une illustration parlante, une référence jurisprudentielle oubliée ou un parallèle avec une autre matière qui sont librement portés dans le débat par un membre de l’auditoire et qui permettent d’explorer des questions que le formateur n’avait pas nécessairement imaginées, ni anticipées.
Fréquemment, le chemin pris par le formateur en cours de session est retracé, modifié, interrompu et déplacé au fil des échanges avec les auditeurs. Ce sont alors les besoins des participants qui entraînent le cours de la formation. On atteint ainsi l’épicentre du processus moderne de formation pour se retrouver « au cœur du réacteur » : quand l’offre crée la demande, quand le besoin éclot de lui-même au fil de la discussion, pour être immédiatement traité dans le cadre d’une réflexion collective fructueuse avec l’ensemble des présents.
Transposition au sein des murs de l’Université. Cette méthode est parfaitement transposable à l’intérieur des murs de la Faculté de droit. Elle l’est d’ailleurs déjà partiellement. Elle pourrait aisément être davantage développée afin d’être éprouvée auprès de nos étudiants, notamment de Master.

S’agissant de matières techniques comme le droit de la construction pour lesquelles cette méthode a été mise en œuvre dans le cadre de la Mention droit immobilier de la Faculté de droit d’Aix-Marseille Université, les résultats sont probants. En effet, de leur aveu même, le goût de nos étudiants pour la matière s’en est trouvé renforcé. Du point de vue de l’efficacité de la méthode, selon eux, les sujets techniques sont mieux maîtrisés suite à un échange concret sur la base d’un document transmis en amont. Simplement, il est indispensable que le document contienne un rappel des éléments plus fondamentaux sur lesquels repose la matière dans son ensemble. C’est ici que les liens entre droit spécial et droit commun sont présentés. Ils sont alors mieux identifiés et assimilés par les étudiants qui disent mieux se représenter et mieux maîtriser la notion de « système juridique ».
Enfin, à l’instar de ce qui se pratique systématiquement dans les formations à destination des professionnels du droit, il pourrait être opportun de faire systématiquement évaluer par les étudiants de manière anonyme et encadrée la qualité des formations qui leur sont dispensées à l’Université. Il ne s’agirait en aucun cas de sanctionner l’enseignant mais de lui donner des pistes et des perspectives d’évolution et d’amélioration de sa méthode pédagogique pour davantage d’efficacité au service de nos étudiants, qui sont les professionnels de droit de demain.

Share This
Aller au contenu principal