La professionnalisation dans les programmes de formation
Caroline SIFFREIN-BLANC
Maître de Conférences, Aix-Marseille Université, LDPSC
Résumé
L’ambition d’un espace européen de l’enseignement supérieur, la concurrence des formations, la crise d’attractivité des Universités, la massification de l’accès aux études, la crise de l’emploi, la capacité des jeunes à s’insérer dans le marché du travail ont et sont autant de facteurs qui conduisent à une réflexion sur la professionnalisation des formations. Malgré les critiques, les lignes politiques mettent l’accent de façon redoublée sur le besoin d’accroitre la professionnalisation des diplômes universitaires, conduisant les Universités à repenser leur schéma directeur de réforme de l’offre de formation. L’article constitue un retour d’expérience, de l’accréditation des formations en droit au sein de la faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille Université (2018), réalisée au travers du fil conducteur de l’approche par compétences (APC). L’intégration de l’APC au sein des formations juridiques a nécessité un travail important d’acculturation, d’appropriation du but recherché pour inviter à réformer les programmes, les enseignements et modes d’évaluation des formations juridiques.
Mots-clés
Université – Formations académiques – formations professionnelles – Approche par compétences – Enseignement du droit – Innovation pédagogique – Référentiel de compétences de la licence droit général à la Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille
Abstract
The ambition of a European area of higher education, the competition of training, the crisis of attractiveness of universities, the massification of access to studies, the crisis of employment, the ability of young people to integrate into the labour market have and are all factors that lead to a reflection on the professionalization of training. Despite the criticisms, the political lines place renewed emphasis on the need to increase the professionalization of university degrees, leading universities to rethink their master plan for reforming the training offer. The article constitutes a feedback from the accreditation of legal training within the Faculty of Law and Political Science of Aix-Marseille University (2018), carried out through the common thread of the competency-based approach (APC). The integration of the APC within legal training has required an important work of acculturation, of appropriation of the desired goal to invite the reform of the programs, the teachings and the methods of evaluation of the legal formations.
Keywords
University – Academic training – Professional training – Competency – based approach – Teaching of law – Pedagogical innovation – Competency framework for the general law degree at the Faculty of Law and Political Science of Aix-Marseille
Introduction
La professionnalisation des formations académiques. Parmi les formations Universitaires, on distingue schématiquement les formations professionnelles, centrées sur la préparation à une profession ou un métier, des formations académiques, qui seraient centrées sur une discipline et couronnées par le cycle doctoral1A. Bruter, art.préc..
Si l’existence de diplômes ou de formations professionnelles Universitaires n’est pas un phénomène nouveau, tout autre est en revanche, la question de la « professionnalisation » des formations dites académiques Universitaires.
L’ambition d’un espace européen de l’enseignement supérieur2En juin 1999, la déclaration de Bologne signée par 29 pays européens ne parle plus d’harmonisation, mais de mise en place par des mesures structurelles convergentes, d’ici 2010, d’un espace européen de l’enseignement supérieur. L’ambition centrale, bien dans la ligne de l’entreprise européenne, est de créer à la fois un marché commun des diplômes, qui facilite la mobilité des étudiants, et un marché commun du travail, qui facilite la mobilité des diplômés. D’où la place prise dans ces textes par la notion d’employabilité (Haug, 2001), dont l’une des dimensions, la pertinence des formations universitaires par rapport au marché de l’emploi, recouvre celle de professionnalisation, tandis que l’autre, qui désigne le fait qu’un diplômé de médecine puisse être employable et exercer la médecine dans les autres pays européens, porte plus sur la reconnaissance européenne des diplômes. Mais ici, comme dans bien d’autres domaines (monnaie, agriculture, commerce…), l’Europe devient le prétexte et le moteur de réformes très profondes, visant à augmenter la compétitivité de l’enseignement supérieur de chaque pays sur le marché européen et de l’enseignement supérieur européen sur le marché mondial. La professionnalisation et plus largement l’employabilité sont des dimensions centrales de ce processus d’européanisation, sinon de mondialisation, de l’enseignement supérieur C. Lessard et R. Bourdoncle, « Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire ? Conception de l’université et formation professionnelle », op. cit., la concurrence des formations, la crise d’attractivité des Universités3« Appel Refonder l’Université française », paru dans Le Monde du 14 mai 2009, O. Beaud, A. Caillé, P. E ncrenaz et al., Refonder l’université. Pourquoi l’enseignement supérieur reste à reconstruire, Paris, La Découverte, « Cahiers libres », 2010, p. 41-68. URL : https://www.cairn.info/refonder-l-universite– 9782707166463-page-41.htm., la massification de l’accès aux études universitaires, la crise de l’emploi, la capacité qu’auront ultérieurement ces jeunes à s’insérer dans le marché du travail4N. Postiaux, M. Romainville, « La compétence asservit-elle l’Université au monde professionnel, la faisant ainsi renoncer à son idéal pédagogique ? », file :///C :/Users/CSIFFR~1/AppData/ Local/Temp/e296-5-copie. pdf. ont et sont autant de facteurs qui conduisent à une réflexion sur la professionnalisation des formations Universitaires. Objectif recherché et revendiqué5D. Maillard et P. Veneau, « La “professionnalisation” des formations universitaires en France. Du volontarisme politique aux réalisations locales », Les Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, https://journals.openedition.org/cres/1113#ftn1, 2006, n° 5, p. 95-119., la professionnalisation des formations universitaires est donc à l’ordre du jour mais provoque débats contradictoires et polémiques6C. Agulhon, « La professionnalisation à l’université, une réponse à la demande sociale ? », Recherche et formation, N° 54 – 2007 ; D. Maillard et P. Veneau, « La “professionnalisation” des formations universitaires en France. Du volontarisme politique aux réalisations locales », Les Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, https://journals.openedition.org/cres/1113#ftn1, 2006, n° 5, p. 95-119.. Alors que les politiques et les Universités s’y engagent avec conviction invoquant à l’appui une réponse aux demandes des étudiants et du monde socio-économique, les résistants invoquent une dérive galopante d’enfermement des savoirs et des esprits7C. Agulhon, « La professionnalisation à l’université, une réponse à la demande sociale ? », op. cit. et une remise en cause de la conception de l’Université libérale et scientifique8Pour une Analyse des différents modèles d’Université : C. Lessard et R. Bourdoncle, « Qu’estce qu’une formation professionnelle universitaire ? Conception de l’université et formation professionnelle », Revue française de pédagogie, 139, avril-mai-juin 2002, 131-154, http://ife.ens-lyon.fr/ publications/edition-electronique/revue-francaise-de-pedagogie/INRP_RF139_10.pdf.. Malgré les critiques et oppositions9A. Renaut, Que faire des universités ?, Paris, Bayard ; C. de Montlibert, « La “professionnalisation” des enseignements universitaires », Agone, 2003, 29/30, p. 195-202. DOI : 10.4000/revueagone.343., les lignes politiques nationales10Arrêté en date du 30 juillet 2018 modifiant l’arrêté du 22 janvier 2014 et fixant le cadre national des formations conduisant à la délivrance des diplômes nationaux de licence, de licence professionnelle et de master. Critères d’évaluation du HCERES, https://www.hceres.fr/sites/default/files/ media/downloads/Hceres_campagne_2017_2018_Referentiel_Formation.pdf. mettent l’accent de façon redoublée sur le besoin d’accroître la professionnalisation des diplômes nationaux universitaires, conduisant à une nécessaire appropriation par les Universités et les composantes toutes disciplines confondues, de cet objectif dans leur schéma directeur de réforme de l’offre de formation.
Professionnalisation des formations et approche par compétences. Si les outils susceptibles d’être déployés pour renforcer l’objectif de professionnalisation sont nombreux (création de licence professionnelle, développement des formations en alternance, développement « Unités d’expérience professionnelle » dans les parcours pédagogiques11Arrêté ministériel du 9 avril 1997, qualifié de « réforme Bayrou ». mettant l’accent sur les stages en entreprises), c’est l’intégration de l’approche par compétences (APC) qui réalise un changement notable de paradigme dans la construction des formations universitaires.
C’est un tournant auquel on assiste puisqu’il ne s’agit plus seulement pour les Universités de s’intéresser à la question de l’insertion professionnelle des jeunes et du rapport Formation-Emploi, mais il s’agit bien de penser la construction des formations en fonction de cet objectif de professionnalisation en décloisonnant la formation académique et le monde-socio-économique et en repensant l’apport des savoirs autour d’une approche duale des connaissances et des compétences.
L’étudiant est invité à acquérir des connaissances mais également à développer des compétences attendues afin de faciliter la poursuite de ses études ou de favoriser son insertion professionnelle.
Selon l’article 3 de l’arrêté du 30 juillet 2018 modifiant l’arrêté du 22 janvier 2014 fixant le cadre national des formations conduisant à la délivrance des diplômes nationaux de licence, de licence professionnelle et de master
« Les parcours de formation visent l’acquisition de connaissances et de compétences qui constituent les caractéristiques du diplôme national visé. Ils forment des ensembles cohérents d’unités d’enseignement permettant une structuration en blocs de connaissances et de compétences. Ils proposent des progressions pédagogiques adaptées. Les parcours de formation sont diversifiés en fonction des objectifs académiques et professionnels visés. À cette fin, ils ont des caractéristiques et des exigences spécifiques. […] Outre les modalités de contrôle des connaissances et compétences prévues pour la délivrance des diplômes, les formations développent des dispositifs permettant de mesurer les résultats des apprentissages de l’étudiant afin de valoriser les connaissances et compétences acquises en fin de formation, et de favoriser son insertion professionnelle. »
L’impulsion est donnée, il s’agit de mettre l’accent sur la nécessité de construire et développer des compétences pour mieux répondre aux attentes du monde professionnel, aux besoins de mobilité et d’employabilité. Malgré, le fait que cette approche soit l’objet de critiques12Voir infra., elle est devenue un thème central incontournable associé à la réforme des Université et de leurs formations.
L’APC et réforme de l’offre de formation au sein d’AMU et de la FDSP. Lors de l’accréditation de l’offre de formation, Aix-Marseille Université s’est fixée pour objectif d’infléchir la logique de construction de ses formations pour favoriser l’apprentissage de ses étudiants et améliorer l’insertion professionnelle de ses jeunes diplômés. Dans cette perspective, l’établissement a proposé de mener une expérimentation en accompagnant les équipes enseignantes qui souhaitaient s’investir dans la transformation pédagogique de leurs parcours de formation, au travers d’une approche programme et compétences (APC).
La participation des composantes d’AMU à l’expérimentation de construction de leur offre de formation LMD (contrat 2018-2023) dans le cadre de l’APC s’est établie sur la base du volontariat. Un comité de suivi (CS) APC a eu pour objectif d’accompagner les composantes s’engageant dans l’expérimentation APC et fut coordonné et animé par la chargée de mission APC de l’établissement, Anne Demeester13Anne Demeester, MCF, Aix-Marseille Université, Laboratoire Apprentissage Didactique Évaluation Formation.. La mise en oeuvre de l’APC a nécessité de former à cette nouvelle démarche les équipes pédagogiques. Dans ce cadre, le Centre d’Innovation Pédagogique et d’Évaluation (CIPE) avait mis en place un programme complet d’actions d’accompagnement, de conseil et de soutien à l’attention des équipes pédagogiques concernées par l’APC et des référents APC de composante. Ce programme s’est composé des éléments suivants : des formations spécifiques sur les méthodes et techniques pédagogiques adaptées à la transformation pédagogique de type APC ; des ateliers de travail permettant un accompagnement spécifique à la demande des composantes ; l’invitation de conférenciers experts (Exemple Jacques Tardif) et la création d’un réseau national RéNAPS’up (Réseau National des Approches Programmes et Compétences du Supérieur). C’est dans ce contexte de la faculté de droit et de sciences politique s’est engagée lors de la construction de son offre de formation à réfléchir à l’intégration d’une APC dans ses programmes.
L’objectif, dans cet article, est ainsi de révéler ce que l’approche par compétences porte comme perspectives, de montrer en quoi elle impacte la façon de concevoir les formations et la façon d’enseigner. Transposer dans le domaine des études juridiques, l’intégration de l’Approche par compétences14B. Escrig, De la méconnaissance du concept de compétence. Questions de Pédagogies dans l’Enseignement Supérieur, ENSTA Bretagne, IMT-A, UBO, Jun 2019, Brest, France. hal-02290509) https://hal. archives-ouvertes.fr/hal-02290509/document. au sein des formations universitaires nécessite un travail important d’acculturation, d’appropriation du but recherché pour inviter à réformer les programmes, enseignements (I) et modes d’évaluation des formations juridiques (II).
I. L’appropriation de l’approche par compétences dans le domaine juridique
L’approche par compétences une requête ancienne. Ce qui est considéré par tous comme un processus innovant de transformation pédagogique n’est en réalité ni récent ni achevé. Julien Bonnecase15J. Bonnecase, « L’enseignement de la clinique juridique et facultés de droit. L’Institut clinique de jurisprudence » (Extrait de la Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence), Paris, 1931, http://www.babordnum.fr/viewer/show/1414#page/n2/mode/1up. écrivait en 192716J. Bonnecase, « Simples perspectives sur l’extension de la clinique juridique, participation au service de l’assistance judiciaire, liens avec les écoles supérieures de commerce et d’industrie », Revue générale de droit, 1927 ; J. Bonnecase, Qu’est-ce qu’une Faculté de droit ?, 1929, p. 185 ; J. Bonnecase, « L’enseignement de la clinique juridique et facultés de droit. L’Institut clinique de jurisprudence » , op. cit. puis 1931 :
« on reproche aux facultés de droit de ne pas préparer leurs étudiants à l’application des connaissances scientifiques qu’ils y acquièrent. […] il serait pourtant aisé de créer un service dans lequel un professeur prendrait soin d’initier les futurs juristes à la pratique de toutes ces formes juridiques ; de cette façon les étudiants rentrant ensuite dans une étude d’avoué de notaire ne serait pas surpris au point de donner véritablement la fausse impression de posséder en eux tout juste le néant ».
Les propos mettaient déjà l’accent sur ce décalage prégnant entre l’enseignement des savoirs et le « savoir agir ». À travers une comparaison du droit et les cliniques médicales, Bonnecase met en exergue le besoin de former les étudiants à l’art juridique. Selon lui, les règles et les institutions juridiques dont l’ensemble constitue la science juridique sont apprises dans les facultés mais l’art de la pratique juridique fait défaut. Il met en avant le rôle des praticiens du droit qui ne peuvent se contenter d’appliquer mécaniquement et brutalement des règles de droit qui ressortirait de leurs connaissances mais « ils doivent avant toute chose procéder à l’examen du plaignant à son occultation pour ensuite porter un diagnostic et enfin ordonner un traitement »17J. Bonnecase, « L’enseignement de la clinique juridique et facultés de droit. L’Institut clinique de jurisprudence », op. cit.. Il s’agit pour lui de la clinique et de la thérapeutique juridique. « Dossiers, consultations écrites, conclusions, mémoires, plaidoiries, jugements, commandements, procès-verbal de saisie, constituent ce qu’il appelle le mécanisme et la technique externe de la clinique juridique ».
« Le mécanisme et la technique interne de la clinique juridique suppose la maîtrise de la science du droit, le sentiment de la responsabilité professionnelle et l’esprit de décision, le don de l’observation psychologique, ensemble de ressources qui seules assurent le fonctionnement normal de l’auscultation et du diagnostic juridique et la rédaction de formules tantôt curatives et tantôt préventives »18J. Bonnecase, « L’enseignement de la clinique juridique et facultés de droit. L’Institut clinique de jurisprudence », op. cit..
Il plaidera ainsi pour l’intégration des cliniques juridiques dans les Facultés de droit ce qui n’était autre que les prémisses de l’approche par compétences dans les formations académiques juridiques.
Justifier l’intérêt de l’approche par compétences. À la critique jadis évoquée sur le manque de formation à l’art juridique, s’ajoutent une insuffisante adaptabilité des formations à la diversité et l’évolution culturelle, sociale et professionnelle des différents métiers du droit. La recherche d’une formation construite sur l’approche par compétences apparaît alors plus en phase avec l’accélération des évolutions du droit, l’internationalisation des situations, le déploiement d’internet et l’impact sur les pratiques professionnelles (Open DATA, accès généralisé aux données et sources juridiques, à l’Ubérisation du droit, B. Dondero, Droit 2.0, Apprendre et pratiquer le droit au XXIe siècle, LGDJ 2015)19Rapport Final, « Les pratiques innovantes de formation des professionnels du droit : vers un modèle “global” ? », G. Lhuilier (dir.), Mission de recherche GIP Droit et justice, 2017, http://www. gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2017/06/Note-de-synth%C3%A8se-4-1.pdf).. La pratique juridique contemporaine consiste encore moins qu’hier à appliquer simplement le droit aux faits, mais exige de résoudre des problématiques de plus en plus complexes nécessitant des connaissances et des compétences variées, allant même au-delà du seul domaine juridique. Le savoir exclusivement juridique ne peut donc plus constituer l’unique socle des formations. Le juriste de demain doit avoir la capacité de résoudre des problèmes complexes, techniques ou flous et/ou présentant des enjeux éthiques, de développer sa pensée critique et des points de vue contradictoires, le tout accompagné d’un très haut degré de développement de compétences relationnelles et cognitives, notamment par l’établissement de distinctions entre l’essentiel et le périphérique, entre les faits et les opinions, ainsi qu’entre les données valides et les données erronées ou tronquées20J. Tardif, Conférences de sensibilisation sur l’approche par compétences, 18 avril 2016, à AMU.. Il s’agit donc bel et bien de former à un savoir agir complexe qui nécessite de mobiliser des ressources internes et externes. L’approche par compétences intègre donc un portefeuille de compétences diverses, relevant d’une part du domaine d’expertise juridique et d’autre part de compétences additionnelles construites au-delà des compétences d’expertise juridique incluant l’ouverture à d’autres sciences mais aussi des compétences transversales langagières, digitales, informationnelles, gestionnelles, comportementales (Soft Kills)21« https://transformations-droit.com/replay-webinaire-des-referentiels-pour-quoi-faire-regards- croises-etudiants »..
Dans une interview publiée en mai 2015, le Directeur Général d’HEC Paris, donne sa vision du grand patron de 203022D. Theurelle-Stein, I. Barth, « Transmettre des compétences “qui ne s’apprennent pas” : étude d’un dispositif numérique d’identification et de développement des compétences douces », Éduquer et Former au monde de demain 2016, ESPE Clermont, 2016, Clermont-Ferrand, France. halshs-01331675). : « L’autorité ne viendra plus du savoir, mais du savoir-être, de la personnalité, du charisme ». De fait, dans un monde complexe, mouvant et hyperconcurrentiel, les organisations accordent une importance accrue au savoir-être et autres « compétences douces » qu’il convient d’apporter de façon progressive aux étudiants tout au long de leur formation universitaire.
Selon le professeur Tardif, aux deux extrémités d’un continuum à propos de l’organisation de la formation, on pourrait distinguer les programmes structurés autour d’objectifs (de disciplines) des programmes axés sur le développement de compétences. Dans un programme construit par objectifs ou disciplines, la formation s’inscrit dans une ligne directrice d’exhaustivité, il faut connaître d’abord et avant tout, et la formation doit couvrir les vastes domaines de savoirs.
Dans les formations construites sur les compétences, un fort accent est mis sur la contextualisation des apprentissages et chaque activité est située en relation de continuité et de complémentarité l’une par rapport à l’autre. L’introduction d’une approche par les compétences passe entre autres par une prise en compte de l’avenir professionnel et suppose que l’on s’intéresse davantage aux situations complexes dans lesquelles les étudiants sont et seront appelés à mobiliser les savoirs-agir dans leur milieu professionnel.
Réticences, résistances, amalgames ? L’amalgame entre compétence, professionnalisation et régression du modèle classique de la formation universitaire est fréquent et fait souvent office de poncif dans les textes appelant à un sauvetage urgent d’une Université qui serait en péril23O. Beaud, A. Caillé, P. Encrenaz, M. Gauchet et F. Vatin, Refonder l’université. Pourquoi l’enseignement supérieur reste à reconstruire ?, 2010 Paris La Découverte, cité par N. Postiaux, M. Romainville, « La compétence asservit-elle l’Université au monde professionnel, la faisant ainsi renoncer à son idéal pédagogique ? », file :///C :/Users/CSIFFR~1/AppData/Local/Temp/e296-5-copie.pdf.. Considérée comme un cheval de Troie, l’approche par les compétences participerait donc au déclin de ce qui fait la spécificité de la formation universitaire. Les reproches à l’égard de l’introduction de cette logique de construction des programmes par compétences sont nombreux :
Professionnalisation et spécialisation à outrance des études, éloignement de la formation des esprits par la rencontre d’un « maître » et d’un élève, perte d’autonomie de la formation universitaire qui cède à une loi de marché et d’employabilité, professionnalisation de l’université au détriment des enseignements réflexifs et scientifiques24N. Postiaux, M. Romainville, « La compétence asservit-elle l’Université au monde professionnel, la faisant ainsi renoncer à son idéal pédagogique ? », op. cit.. Ainsi de la notion de compétences dans la formation semble opposer les savoirs aux compétences, l’esprit scientifique au marché économique. Or, ces reproches lancinants faits à l’approche par compétences semblent pouvoir être nuancés si l’on conçoit que les notions ne sont pas antinomiques bien au contraire.
Du côté de la littérature scientifique disponible sur ce sujet, plusieurs auteurs issus de différentes disciplines proposent leur définition de la compétence, comme Le Boterf25G. Le Boterf, « Évaluer les compétences. Quels jugements ? Quels critères ? Quelles instances ? », Éducation permanente, n° 135 (2), 1998, p. 143-151., Scallon26Gérard Scallon, , Montréal, ERPI, 2004., Perenoud27P. Perrenoud, « L’approche par compétences, une réponse à l’échec scolaire ? », Actes du colloque de l’association de pédagogie collégiale, Montréal, 2000 : http//www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/ perrenoud/php_main/php_2000_22.html., Tardif28J. Tardif, L’évaluation des compétences : documenter le parcours de développement, Montréal, Québec 2006, Chenelière Éducation. J. Tardif, « L’approche par compétences dans la formation universitaire : du rêve à la réalité, de l’intention initiale aux retombées concrètes pour les étudiants », 2016, http://idea.univ-paris-est.fr/fr/seminaire-competences-du-27-juin-2016/document-2740.html. Un savoir-agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison efficaces d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations ».. Tous s’accordent sur le fait que la compétence s’apparente à un savoir agir complexe en situation, qui nécessite de combiner et de mobiliser des ressources internes et externes au sujet29A. Demeester, « Comment évaluer des compétences dans l’enseignement supérieur ? », L’évaluation à l’épreuve du contexte : Pratiques et réflexions, PUP, Apprendre à enseigner, 2020, p. 172.. Dès lors, la notion de compétence ne s’oppose pas à celle de connaissance mais la complète, en incluant la capacité d’utiliser celle-ci dans des situations complexes et diverses30Jacques Tardif, Conférences de sensibilisation sur l’approche par compétences, 18 avril 2016, à AMU.. Intégrer une logique de professionnalisation des programmes ne signifie pas renoncer aux différents modèles de l’enseignement universitaire, cela signifie qu’à côté du développement de l’esprit critique, nourri de la culture et de la recherche scientifique une ouverture sur le monde d’après s’impose.
Il n’y a conceptuellement pas d’opposition de principe entre la professionnalisation d’une formation à l’université et l’idéal pédagogique, tout au plus, l’université doit-elle intégrer, notamment depuis la massification, une ouverture sur le devenir des étudiants.
Assurer et faire adhérer à l’esprit de la démarche nécessite pour les équipes politiques pédagogiques un travail important d’accompagnement pour remettre au cœur de la réforme l’esprit recherché.
II. Les outils de la professionnalisation des formations
Une professionnalisation « outside » et « inside ». La professionnalisation des formations peut prendre en réalité des formes variées relevant de deux conceptions : une acquisition de compétences professionnelles à l’extérieur de la formation ou à l’intérieur de la formation. En réalité, les deux voies ne s’opposent pas, elles se complètent et sont en passe de devenir les modèles de construction des programmes de formation.
Ainsi dans les programmes des études du droit, la professionnalisation peut se réaliser classiquement par l’inclusion dans les parcours de formation de projets ou de périodes de formation en milieu professionnel, (stage ou contrat d’apprentissage pour les formations organisées en alternance) en lien avec le niveau, les objectifs de formation et la qualification visée. L’acquisition des compétences professionnelles repose alors sur les expériences en milieu professionnel et se conçoit donc à l’extérieur de la formation universitaire « outside » et non « inside ». Dans ce modèle, les programmes de formation n’étaient que peu touchés par l’exigence de professionnalisation, les unités, les méthodes d’enseignements et d’évaluation n’étaient alors pas assujetties à une intégration d’une professionnalisation. C’est l’approche par compétences qui a conduit à penser la professionnalisation « inside », dans la construction même des programmes, des enseignements et des modes d’évaluation.
Construction des référentiels de compétences. Inclure la logique de l’approche par compétences dans la construction d’un programme conduit de façon inévitable à un travail préalable de construction d’un référentiel de compétences. Un référentiel de compétences recense, référence, et décrit la totalité des compétences qui doivent nécessairement être acquises à la sortie de la formation pour répondre aux besoins de l’étudiant à la sortie de son diplôme.
L’objectif de déterminer un référentiel de compétences est triple :
– Il permet de fixer un cadre autour duquel l’équipe pédagogique s’entend sur les compétences à transmettre au cours de la formation et guide ainsi la construction des programmes de formation de façon collective et concertée. Cela donne un cadre un objectif commun à l’ensemble de l’équipe pédagogique qui s’est entendue sur une spécification des compétences cibles à développer chez les étudiants en précisant les familles de situations (contenus des savoirs), les « savoirs-agir » ainsi
que des outils pédagogiques à mettre en œuvre jusqu’aux techniques d’évaluations pour y parvenir.
– Le référentiel donne ensuite à l’étudiant une meilleure visibilité des objectifs de sa formation, tout au long de son parcours universitaire. L’étudiant est mieux guidé dans son apprentissage, cible mieux les compétences à développer et à travailler pour une meilleure insertion professionnelle, trouve un sens à l’ensemble des savoirs transmis et se trouve plus facilement en mesure de parler de sa formation et de ses acquis.
– Enfin, le référentiel de compétences est un outil de communication auprès des professionnels faire mieux connaître les objectifs développés lors de la formation.
Le travail de construction d’un référentiel de compétences est un travail en soi dans la construction des programmes. En effet, il revient alors aux équipes pédagogiques la mission de définir les compétences en fonction de la vision du diplômé au terme du parcours de formation visée. Appréhender l’approche par compétences s’est en effet s’approprier le devenir des diplômés et définir les compétences attendues et les apprentissages contributifs, en fonction du niveau de diplomation et des perspectives professionnelles : employabilité immédiate, spécialisation technique, concours, ou poursuite d’études. Ainsi par exemple, la construction d’un référentiel de compétences d’une licence générale de droit est nécessairement différente de celle d’un parcours-type de Master II, tant il faut répondre à la fois à la polyvalence des débouchés qu’à la poursuite d’études. Le ciblage du « après » permet donc de déterminer les compétences attendues et le niveau d’expertise pour chaque niveau de formation. Il n’existe donc pas un référentiel de compétences mais des référentiels de compétences. Quel que soit le contexte, le premier constat est le suivant : il n’existe aucun modèle parfait dont on pourrait faire un copier/coller, mais tout au plus des référentiels pour s’inspirer31https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-referentiels-de-competences- des-mentions-de-licence-45888..
Pour que le référentiel de compétences soit un réel atout il se doit d’être construit en intelligence collective, en tenant compte de l’état des besoins présents et à venir, de l’évolution de la société et des métiers de demain. Or, pour déterminer au plus près les compétences à développer, un travail collaboratif exigeant s’impose entre tous les acteurs concernés, enseignants, étudiants et professionnels32Art. 11 de l’Arrêté en date du 30 juillet 2018 modifiant l’arrêté du 22 janvier 2014 et fixant le cadre national des formations conduisant à la délivrance des diplômes nationaux de licence, de licence professionnelle et de master impose la création de conseil de perfectionnement. ce qui peut parfois constituer un frein. En effet, le « travailler ensemble » nécessite du temps, des compétences, et bouscule les valeurs d’indépendance et de liberté chères aux enseignants33A. Demeester, « Comment évaluer des compétences dans l’enseignement supérieur ? », op. cit., p. 172.. Aussi, est-il indispensable de désigner un référent APC, d’apporter un soutien technique et des formations aux équipes pédagogiques (par l’intermédiaire de services universitaires dédiés à l’innovation pédagogique) et de rassurer sur le nécessaire équilibre à trouver entre respect des libertés et l’indépendance et utilité du travail collectif.
Au sein de la FDSP, la Commission formation a adopté un référentiel de compétences pour la licence en droit et des objectifs ont été donnés ensuite aux directeurs de mention et de parcours-types pour construire le travail préparatoire de réforme des programmes de formation.
Exemple de Référentiel de compétences de la Licence en droit général
Le référentiel de compétences ne doit pas être un simple outil de communication, il doit par la suite servir de support à la construction de programme et inviter à une évolution des méthodes d’apprentissage, des pratiques évaluatives.
Construction des programmes de formation. Le référentiel de compétences constitue le fil conducteur de la construction des programmes de formation. Cela permet de cartographier les apprentissages indispensables aux développements des compétences (connaissances, famille de situations, savoir-faire, ressources internes et externes), de les configurer progressivement sur l’ensemble du parcours de formation, de les séquencer pour établir les complémentarités/ continuités des UE dans l’ensemble du cursus.
Est-ce pour autant la fin des savoirs ? Précisément non mais cela exige d’aller plus loin. Il ne s’agit plus de construire des formations avec des Unités d’enseignements reposant exclusivement sur des connaissances comme si le savoir était un savoir clos. Ainsi les programmes doivent mettre en avant la complémentarité des savoirs, leurs mouvances ; qu’un savoir n’est rien sans l’apprentissage de la critique, du doute, de la maîtrise de la recherche pertinente, de la compréhension des méthodes et des sources.
Aussi, les programmes de formation doivent :
– tendre vers une meilleure identification des familles de situations, leurs interactions et continuité
– renforcer les ateliers réflexifs et pratiques de mise en situation
– et faire une place à la formation des compétences additionnelles (culture générale, recherches documentaires, numériques, économiques, comportementales.)
Ainsi, par exemple le programme de la Licence de droit de la FDSP tente de combiner au sein des 7 unités d’enseignements ces trois objectifs. Les UE ont été établies en tenant compte de la progression des savoirs en constituant des familles de situations (par exemple la Responsabilité envisagée au même moment de la formation d’un point de vue civiliste, administrativiste et pénaliste). À cette recherche de cohérence des savoirs une place accrue a été reconnue au savoir-agir, en renommant les travaux dirigés, conférences de méthodes et ateliers de raisonnement juridique pour mettre l’accent sur les compétences attendues : savoir manipuler des données juridiques, construire une argumentation juridique, communiquer à l’écrit et à l’oral de façon professionnelle.
Enfin, la formation a fait place aux compétences additionnelles reconnaissant l’importance d’une ouverture d’esprit sur la culture, l’économie, les langues étrangères mais aussi sur les compétences numériques et informationnelles.
L’enseignement du droit. L’approche par compétences invite ensuite à repenser le modèle d’enseignement du droit pour dépasser le modèle de l’enseignement vertical et construire un modèle interactionniste d’enseignement du droit. Il s’agit de mettre l’accent sur les apprentissages plus que sur la transmission de savoirs et ce qu’autant plus qu’ils sont rapidement remis en cause par de nouvelles réformes. L’accent est mis sur l’idée selon laquelle il faut « apprendre à apprendre », pour s’adapter à l’évolution du droit et des métiers.
La formation doit placer l’étudiant au cœur du processus d’apprentissage. Elle doit confronter l’étudiant à la complexité des problématiques ou des situations dans l’ensemble de son parcours et le contraindre à établir régulièrement des liens synergiques et complémentaires entre compétences et connaissances »34B. Escrig, De la méconnaissance du concept de compétence. Questions de Pédagogies dans l’Enseignement Supérieur, ENSTA Bretagne, IMT-A, UBO, Jun 2019, Brest, France. hal-02290509.. La formation doit obliger l’étudiant à réfléchir et concevoir des dispositifs pédagogiques au cours desquels ils apprennent à produire un feedback sur leurs activités. L’évolution de l’enseignement invite à libérer du temps sur la transmission des savoirs en adoptant des modes de transmission « online » en dehors des cours (le « one line » : cyber formation, formation ouverte et à Distance (FOD), ou encore e-learning ; MOOC (massive open online courses).
L’enseignement online n’a pas pour vocation de remplacer ou de se substituer à l’enseignement présentiel. Il a pour but de mettre en activité l’étudiant dans l’apprentissage des contenus, de libérer l’enseignant de la tâche de transmission des contenus et de renforcer en présentiel l’interaction sur l’analyse des pratiques, l’approche critique et le raisonnement juridique35B. Escrig, De la méconnaissance du concept de compétence. Questions de Pédagogies dans l’Enseignement Supérieur, op. cit.. L’élève doit jouer « un rôle actif dans des interactions cognitives, interindividuelles et sociales, à l’image des rapports cognitifs, interindividuels et sociaux de la vie professionnelle qui lui permet de comprendre et de tester le « rôle » professionnel qu’il devra incarner36Rapport Final, « Les pratiques innovantes de formation des professionnels du droit : vers un modèle “global” ? », op. cit.. L’enseignant crée alors un rapport interactif avec l’étudiant afin de stimuler ses capacités à problématiser les situations juridiques, à construire un raisonnement juridique et une analyse critique. Les outils mis à la disposition de l’enseignant dits « innovants » sont pour certains déjà anciennement appliqués (études de cas) et même revendiqués (clinique du droit). Henri Capitant avait présidé la création en 1930 à Paris d’un « Institut clinique de jurisprudence » où des études de cas étaient présentées en cours du soir. L’étude de la jurisprudence n’était autre que de la « clinique rétrospective »37N. Olszak, « La professionnalisation des études de droit ». D., 2005, p. 1172. halshs-02208622., au sein de laquelle était étudiée l’application de la science juridique à des cas réels. S’il s’agissait déjà sans contexte d’une prise en compte de la pratique dans les enseignements, cela était vu à l’époque comme insuffisant pour exercer l’art de la pratique juridique selon Julien Bonnecase, qui préconisait déjà dans les années 1930 la création de cliniques juridiques chargées du développement de l’enseignement pratique dans les facultés elles-mêmes38J. Bonnecase, « L’enseignement de la clinique juridique et facultés de droit. L’Institut clinique de jurisprudence », op. cit. ; . Bonnecase, Qu’est-ce qu’une faculté de droit ?, Sirey, 1929, p. 186.. Il invitait à ce que les facultés de droit élargissent davantage leur cadre séculaire faisant dans leur sein une place à l’enseignement de la clinique juridique39http://www.babordnum.fr/viewer/show/1414#page/n13/mode/1up..
Si aux États-Unis, ce modèle a été plénièrement intégré dans le cursus des formations (Clinical Legal Éducation), faisant intervenir les étudiants sur des cas réels en cours, en France, actuellement nous sommes encore loin de cet objectif. Les cliniques juridiques ou simulations de négociations, de médiations ou de procès, qui conduisent l’étudiant à apprécier les faits et la diversité des droits existants, réaliser des choix, rédiger des documents et parfois les exposer oralement s’introduisent très doucement comme des méthodes pédagogiques innovantes dans les Universités. Pourtant, lors de ces ateliers pédagogiques, l’étudiant mobilise ses ressources internes et externes et reçoit une rétroaction sur le développement de ses compétences, par ses pairs et par l’enseignant, ce qui le conduit à s’auto-évaluer pour ensuite travailler et accentuer les compétences qui lui font défaut. Ces pratiques d’enseignements interactionnels apparaissent comme des outils pédagogiques complémentaires aux enseignements plus traditionnels tel le cours magistral et peuvent prendre place à tout moment de l’apprentissage initial – ou professionnel – des juristes40Rapport Final, « Les pratiques innovantes de formation des professionnels du droit : vers un modèle “global” ? », op. cit. et s’élaborer avec une complexité progressive selon le niveau d’études. En outre, cette participation intégrative s’inscrit parfaitement dans cette évolution que connaît aujourd’hui le droit caractérisée par une participation professionnelle plus collaborative qu’autoritaire41Rapport Final, « Les pratiques innovantes de formation des professionnels du droit : vers un modèle “global” ? », op. cit., plus autonome que directive42Rapport Final, « Les pratiques innovantes de formation des professionnels du droit : vers un modèle “global” ? », op. cit. : « où l’individu est aux commandes du lien social plutôt que dans la soumission aux institutions et ce dans tous les domaines de sa vie, que ce soit le choix du conjoint, de son sexe, de sa mort, de sa procréation, de ses activités professionnelles, etc. Ce principe d’autonomie est à comprendre dans le cadre d’une société moins verticale, d’une société plus collaborative..
Formatrices ces méthodes restent encore trop peu nombreuses dans les formations juridiques. Il faut dire que le nombre très élevé d’étudiants durant les quatre premières années, constitue un frein quasi rédhibitoire à leur déploiement.
L’évaluation. Notre propension à tout évaluer, trop évaluer, voir mal évalué est aujourd’hui remise en cause43C. Hadji, L’évaluation démystifiée : mettre l’évaluation scolaire au service des apprentissages, ESF, 1999 ; p. 38 ; C. Hadji, Faut-il avoir peur de l’évaluation ?, Bruxelles, De Boeck, 2012 ; J. Tardif, L’évaluation des compétences. Documenter le parcours de développement, Montréal, Chenelière Éducation, 2006. : perte de temps, perte d’efficacité, perte de sens. La mise en œuvre de l’approche par compétences a pour conséquence de fortement remettre en question nos pratiques d’évaluation. Que faut-il évaluer ? Peut-on évaluer les connaissances ? Avec quels outils est-il possible d’évaluer les compétences ? Et à quel moment du parcours ? Les compétences peuvent elles se compenser entre elles44A. Demeester, « Comment évaluer des compétences dans l’enseignement supérieur ? », op. cit., p. 172.? Les spécialistes de l’APC livrent le constat suivant :
« le positionnement d’un programme de formation dans une démarche APC conduit les enseignants à revoir complètement leurs pratiques d’évaluation. En effet le caractère intégrateur et combinatoire des compétences oblige à observer la complexité plutôt qu’évaluer d’un côté les connaissances, de l’autre des habiletés, ou des attitudes. Dans une APC le focus se porte sur l’étudiant ses actions ses productions changeant ainsi la fonction de l’évaluation et inscrivant résolument les pratiques dans un nouveau paradigme pour l’enseignement supérieur. Le défi à relever par les enseignants est donc de concevoir ensemble des situations d’évaluation authentique ou simulées dans lesquels les étudiants feront montre de leur capacité à gérer en mobilisant et combinant les ressources interdisciplinaires internes mais aussi externes »45AA. Demeester, « Comment évaluer des compétences dans l’enseignement supérieur ? », op. cit., p. 173 ; cite M. Jurado, « l’approche par compétence (APC) : pour une personnalisation de l’évaluation ? », Administration et éducation, n° 2, 2016, p. 37-43 ; J. Tardif, L’évaluation des compétences. Documenter le parcours de développement, Montréal, Chenelière Éducation, 2006..
Si l’évaluation des connaissances ne suffit plus, elle n’est pas pour autant abandonnée puisque les connaissances sont indispensables à la construction des compétences. Mais cela implique d’aller au-delà et d’évaluer la capacité de l’étudiant à mobiliser différentes ressources en situation complexe, pour réaliser quelque chose de tangible46G. Scallon, L’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences : portfolio, un outil pour stimuler l’auto-évaluation, coll. « Pédagogies en développement », 2e éd. , chap. 5, Bruxelles, De Boeck, 2007, p. 134 ; J. Tardif, L’évaluation des compétences. Documenter le parcours de développement, Montréal, Chenelière Éducation, 2006, p. 22.. En théorie, seule l’évaluation de l’accomplissement de tâches ou le traitement de situations complexes par des productions écrites et orales (rédactions d’actes, conclusions, synthèses, consultations, contrats, négociations, simulations de procès, plaidoiries…) devrait justifier in fine une certification des compétences attendues et donc l’octroi du diplôme.
Au sein des facultés de droit, une grande majorité des enseignants adhèrent au constat selon lequel on assiste à un excessif fractionnement des tâches évaluatives, à leur multiplicité, et à leur inefficacité à justifier les acquis attendus à la sortie du diplôme. Or, même si certains enseignants voient un accroissement substantiel du travail, un manque de formation, le frein dans le changement ne résulte pas tant des équipes pédagogiques qui seraient prêtes à réduire le nombre d’évaluations pour accroître leur qualité. Les freins sont majoritairement matériels et structurels. Il faut mettre en évidence le contexte universitaire : les effectifs extrêmement importants d’étudiants par promotion et le taux d’encadrement extrêmement faible notamment dans les facultés de droit rendent impossible cet idéal de l’évaluation individualisée des compétences par étudiant. En outre, à ces contraintes matérielles, s’ajoutent les contraintes légales puisque l’évaluation des compétences ne se combine pas avec les impératifs nationaux de compensation des unités et des semestres d’enseignement.
Travailler les réformes des formations, à la lumière de l’APC, a le mérite d’inviter les équipes pédagogiques à entrer en contact avec le monde extérieur, à s’interroger sur le devenir des formations universitaires, et l’avenir des méthodes d’enseignement et d’évaluation. L’approche par compétences a permis de mettre l’accent sur le savoir-faire universitaire, qui n’a jamais exclusivement reposé sur la transmission de contenus mais qui depuis de longue date intégrait déjà l’étude des pratiques47N. Olszak, « La professionnalisation des études de droit ». D., 2005, p. 1172. halshs-02208622., formait les esprits à la critique, et exigeait la production d’écrit en réponse à des situations complexes projetées. Si indéniablement des efforts doivent se poursuivre, ils devront s’accompagner d’une revalorisation du travail pédagogique et un rapprochement raisonnable du taux d’encadrement des facultés de droit avec la moyenne nationale.