Sélectionner une page

Roberto THIANCOURT

Doctorant en droit privé, Université de La Réunion, Centre de Recherche Juridique (EA 14)

Résumé

La présente contribution tend à mettre en exergue les difficultés d’ordre épistémologique auxquelles se trouve confronté le chercheur qui réalise, dans le cadre d’une recherche doctorale, une conceptualisation du droit positif. L’exemple des « droits finalisés » fournira le cadre permettant d’identifier quelques-uns des obstacles attachés à cette démarche conceptuelle. De tels obstacles, qui puisent notamment leurs sources dans la place du conceptualisme au sein de la formation universitaire, se manifestent, entre autres, par une dissimulation du construit sous le donné. Lever le voile sur le caractère construit des concepts doctrinaux permet ainsi d’envisager la question des finalités de la conceptualisation ainsi que celle de la valorisation de ce type de recherche en droit, autrement dit de s’interroger sur l’utilité et l’avenir de la démarche conceptuelle.

Mots-clés

Concepts juridiques – concepts formellement absents du droit positif – catégories juridiques – énoncés normatifs – élaboration de concepts doctrinaux – conceptualisme juridique – nature-régime – fonctions du concept doctrinal – systématisation du droit positif

Abstract

This paper tends to highlight the epistemological difficulties faced by the researcher who, in the course of doctoral research, conceptualizes positive law. The example of « finalized rights » will provide the framework for identifying some of the obstacles attached to this conceptual approach. Such obstacles, which draw their sources in particular from the place of conceptualism within the university education, are manifested, among other things, by a concealment of the built under the given. To lift the veil on the constructed nature of doctrinal concepts thus allows us to consider the question of the aims of conceptualization as well as that of the enhancement of this type of research in law, in other words to question the usefulness and future of the conceptual approach.

Keywords

Legal concepts – concepts formally absent from positive law – legal categories – prescriptive statements – construction of doctrinal concepts – legal conceptualism – nature-regime – functions of the doctrinal concept – systematization of positive law

*Préabule

Le style oral de l’intervention a été pour l’essentiel conservé.

Introduction

« La question est le cri qui déchire l’opacité des certitudes.

La prétendue “réponse” qui la résout et l’éteint, en est le bâillon. »1Ch. Atias, Questions et réponses en droit, PUF, 2009, p. 252, n° 371.

 

1. Propos liminaires. – L’exercice qu’il m’a été demandé de réaliser aujourd’hui constitue assurément une gageure. Il s’agit de discuter de méthodologie de la recherche à propos d’une thèse encore inachevée2Rappr. I. de Lamberterie, « Réflexions sur la recherche en sciences du droit », Droits 1994, p. 162 : « Il n’est pas toujours facile de théoriser sur la méthodologie employée dans l’activité de recherche surtout, quand, dans la réalité celle-ci est souvent fonction du cadre dans lequel la recherche s’effectue. Il est, toutefois possible, de dégager un certain nombre de constantes qui sont pour le chercheur tant des objectifs à poursuivre que des sujets de réflexion sur son propre travail ».. Or, « la méthode, c’est souvent le chemin que l’on retrace après coup, une fois l’errance et la recherche terminées »3X. Thunis, « La recherche juridique à contretemps », in Ph. Gérard, F. O st et M. van de Kerchove (dir.), L’accélération du temps juridique, Facultés universitaires Saint-Louis, 2000, p. 913.. Fort heureusement, mon inquiétude commença quelque peu à se dissiper lorsqu’il a été préconisé aux intervenants de préférer le point d’interrogation au point à la ligne. Toutefois, je ne tardai pas à me rendre compte que l’art d’interroger pouvait s’avérer tout aussi complexe que celui de répondre… Quoi qu’il en soit, dans le cadre des réflexions qui seront ici esquissées, c’est principalement à un jeu de questions que je me livrerai4Sur l’interrogation comme voie d’accession au savoir, Ch. Atias, op. cit., p. 63, n° 89.. Au risque de laisser des questions sans réponses, je tâcherai, autant que possible, d’ébranler les réponses, autrement dit de (re)mettre en questions. Une telle mise en question paraît indispensable si l’on souhaite identifier les obstacles épistémologiques auxquels se trouve généralement confronté le chercheur5En ce sens, G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, Vrin, 1975, p. 14 : « Un obstacle épistémologique s’incruste sur la connaissance non questionnée »..
2. Brève présentation de l’objet de recherche. – Ma thèse de doctorat a pour intitulé Les droits finalisés dans le contrat. La particularité du sujet tient au fait que l’expression de « droits finalisés » se présente, pour l’essentiel, comme une inconnue du droit. En effet, on ne trouve nulle mention de telles prérogatives dans les énoncés normatifs. Par ailleurs, les références aux « droits finalisés » dans la doctrine demeurent relativement rares et éparses. Si certains auteurs ont parfois usé de l’expression « droits finalisés »6Voir notamment, M. Fabre-Magnan, « L’obligation de motivation en droit des contrats », in Études offertes à Jacques Ghestin, Le contrat au début du xxie siècle, LGDJ, 2001, p. 324, n° 20 ; C. Pomart-Nomdedeo, « Le régime juridique des droits potestatifs en matière contractuelle, entre unité et diversité », RTD civ. 2010, p. 209 et s. Plus récemment, M. Cassiède, Les pouvoirs contractuels : étude de droit privé, th. Bordeaux, 2018, n° 285 et s., aucune conceptualisation n’a cependant été réalisée jusqu’à présent. J’ai donc été amené à m’interroger tant sur la démarche (comment procéder ?) que sur l’objectif de ma démarche (pourquoi mener cette étude ?). Ma démarche consiste à créer une catégorie doctrinale inédite qui n’appartient pas au langage du droit mais qui est destinée à intégrer le langage de la science du droit. L’objectif de ma démarche réside dans la reconnaissance et dans l’analyse de toute une série de prérogatives particulières reconnues à des contractants de droit privé : celles qui ne peuvent être exercées que pour certaines raisons limitativement prévues par la loi, le juge ou les parties. Autrement dit, le concept de « droit finalisé » permet d’expliquer une réalité émergente du droit des contrats : assortir une prérogative d’une exigence de justification dans son exercice.
3. Enjeux méthodologiques. – Parler d’élaboration à propos d’un concept juridique renvoie, a priori, à l’idée d’un objet qui se construit plus qu’il ne se découvre7À moins que la construction ne soit elle-même qu’un moyen au service de la découverte. Sur la création conçue comme moyen indispensable à la découverte, P. Feyerabend, Contre la méthode, Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance, Seuil, 1979, p. 53-54.. Cette opération de construction juridique qui se cache derrière l’entreprise de conceptualisation n’apparaît toutefois pas avec une telle clarté aux débuts de la thèse. J’ai longtemps cherché, en vain, les termes de « droits finalisés » dans les énoncés normatifs avant de finir par comprendre que rien ne me serait donné et que tout était à construire à partir du sujet qui m’avait été proposé à l’étude8Rappr. G. Bachelard, op. cit., p. 14 : « Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on en dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ».. C’est cette errance qui m’amène ainsi à me demander rétrospectivement quelles en ont été les raisons. À ce titre, il semble opportun de commencer par interroger la place du conceptualisme au sein de la formation universitaire.
4. Difficultés méthodologiques. – Parmi les diverses disciplines enseignées au cours de la formation des étudiants de droit, le droit des contrats figure, peut-être, parmi celles ayant le plus fréquemment recours à l’entreprise de conceptualisation9À propos du droit civil, P.-E. Audit, « Une controverse oubliée : la place du raisonnement conceptuel dans le Droit », RDA déc. 2018, p. 29 : « Le système que l’on qualifie aujourd’hui de droit civil ou de droit continental a toujours eu un tropisme pour les concepts et le raisonnement conceptuel ». : « force obligatoire », « effet relatif », « autonomie de la volonté », etc. L’on pourrait donc imaginer que l’enseignement de la matière forme l’étudiant à porter un regard critique sur les constructions théoriques élaborées par la doctrine en les confrontant avec les usages pratiques de la matière. Cette démarche inviterait à adopter un regard réflexif sur le conceptualisme juridique et préparerait là le futur chercheur. Il apparaît toutefois que dans la plupart des universités françaises, les programmes sont orientés vers un enseignement tourné vers la pratique10En ce sens, S. Pimont, « Présentation », in L’enseignement du droit au début du xxie siècle, perspectives critiques, Revue JRC 2010, p. 90 ; D. Foussard, « Le juge et la doctrine, Le regard d’un avocat aux conseils », Droits 1994, p. 133. qui ne prépare pas le chercheur à aborder avec recul l’entreprise conceptuelle11Évoquant notamment des « qualités de fond que l’on ne développe pas nécessairement dans les universités » pour envisager la modernité dans le choix des sujets, L. Rapp, « “Osez, osez…” plaidoyer pour un peu d’audace dans le choix des sujets de recherches », in B. Sergues (dir.), La recherche juridique vue par ses propres acteurs, LGDJ, 2016, p. 209 et s., n° 9. Adde X. Bioy, « La signification du terme “recherche” dans le champ de la science juridique », in B. Sergues (dir.), op. cit., p. 19 et s., n° 5 : « Il est en effet difficile, pour le jeune chercheur arrivé en doctorat, de s’extraire des réflexes des praticiens, acquis pendant cinq longues années, pour mettre à distance son objet et l’élaborer “de l’extérieur” ».. C’est donc au prix de grands efforts et d’une longue errance, que le chercheur en droit privé parvient à comprendre quels seront les enjeux de sa recherche12Voir notamment P.-E. Audit, art. préc., p. 34. Par ailleurs, sur la question de l’opportunité d’étendre la place de la recherche en droit au sein des facultés, A. Jeammaud, « La part de la recherche dans l’enseignement du droit », in L’enseignement du droit au début du xxie siècle, perspectives critiques, op. cit., p. 181 et s..
5. Principales interrogations. – Au terme de ces propos introductifs, il est possible de mettre en lumière une série d’interrogations suscitée par l’entreprise de conceptualisation dans la thèse en droit : est-il légitime de construire un concept alors que celui-ci est totalement absent des énoncés normatifs ? Quels sont les enjeux attachés à la construction de concepts doctrinaux pour le champ de la connaissance juridique ? Quels sont les obstacles épistémologiques auxquels se trouve confronté le jeune chercheur dans cette démarche ? Existe-t-il des méthodes propres à la conceptualisation des objets juridiques ? Et enfin, comment valoriser ce type de recherche en droit?
6. Il ne sera pas question ici de proposer une méthode d’élaboration des concepts doctrinaux mais plutôt de mettre en lumière, autant que possible, certaines difficultés méthodologiques et épistémologiques auxquelles se trouve confronté le chercheur dans l’élaboration d’un concept. Afin de les évoquer plus en détail, je vous propose de parcourir ensemble le cheminement qui a été le mien dans l’entreprise de conceptualisation des « droits finalisés ». Dans cette perspective, il a été nécessaire de comprendre ma démarche dans un premier temps (I), avant de lui assigner une finalité dans un second temps (II). Voici donc les deux principaux axes de mon intervention.

I. Comprendre ma démarche

7. Parce que ma formation ne m’a pas sensibilisé à l’entreprise de conceptualisation juridique, c’est au terme d’une longue phase d’errance que j’ai pu concevoir quelle serait ma démarche de recherche. Dans cette première partie, c’est principalement l’objet de la conceptualisation que nous envisagerons puisqu’il m’a fallu, pour bien cerner le cadre de mon étude, comprendre que l’élaboration d’un concept doctrinal constitue une activité intellectuelle (A) visant à proposer une systématisation du droit positif (B).

    A.   Une activité intellectuelle de conceptualisation

8. Ne pas prendre le construit pour le donné. – Le jeune chercheur qui se lance en thèse et qui n’a pas eu l’opportunité de suivre des enseignements de théorie du droit ignore sans doute que la recherche en droit est avant tout affaire de discours. L’élaboration d’un concept doctrinal correspond à la création d’un discours sur le droit13De manière générale, estimant notamment que la recherche en droit est activité cognitive, X. Bioy, « La signification du terme “recherche” dans le champ de la science juridique », in B. Sergues (dir.), op. cit., p. 19 et s., n° 11.. Ce même jeune chercheur ignore aussi que le discours juridique est plural et qu’il se compose de plusieurs niveaux14Pour une distinction des différents niveaux de discours, V. Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, Dalloz, 2016, p. 257 et s.. Les énoncés normatifs relèvent du discours-objet tandis que ce dernier fait quant à lui l’objet d’un métadiscours. Si les concepts juridiques sont présents à tous les niveaux du discours juridique, les concepts doctrinaux s’attachent, quant à eux, au métadiscours. En tant qu’abstraction, le concept doctrinal amène donc nécessairement à s’interroger sur ses rapports avec les énoncés normatifs15En ce sens, X. Bioy, « Notions et concepts en droit : interrogations sur l’intérêt d’une distinction… », in G. Tusseau (dir.), Les notions juridiques, Economica, 2009, p. 21 et s., spéc. p. 39 : « Le juriste théoricien doit jongler avec trois éléments : la réalité sociale, la réalité normative, la rationalisation et la conceptualisation de cette dernière. Le réel, la norme et l’étude de la norme sont les trois niveaux d’abstraction où s’inscrivent tantôt les notions tantôt les concepts ».. Le jeune chercheur mettra souvent du temps à comprendre que le concept doctrinal constitue, avant toute chose, une construction intellectuelle, un outil mental élaboré sur la base de ces énoncés normatifs. Alors que ces derniers peuvent être considérés comme étant un premier niveau de discours portant sur la réalité sociale, le discours doctrinal constitue un deuxième niveau de discours ayant pour objet la réalité normative.
Telle a été ma trajectoire sinueuse dans l’étude des « droits finalisés ». La méconnaissance de l’existence de ces différents niveaux de discours m’a longtemps conduit à rechercher une positivité qui s’avère en réalité illusoire16C’est en effet en vain que l’on chercherait une trace du syntagme de « droits finalisés » au sein des énoncés normatifs. Comp. E. Gaillard, Le pouvoir en droit privé, préf. de G. Cornu, Economica, 1985, p. 53, n° 75. Tout en niant fermement l’existence de « droits » finalisés, l’auteur soutient cependant que l’existence de « prérogatives » finalisées constitue une « réalité positive ».. Cette croyance erronée dans le caractère donné du concept doctrinal se trouve renforcée par le fait que mon sujet m’a été proposé par mon directeur de thèse (comme c’est le cas pour de nombreux thésards), ce qui m’a invité à croire, à tort, en l’existence dans le droit positif de cette catégorie doctrinale construite.

9.  L’inadaptabilité d’une étude « nature-régime ». – Quand j’ai finalement saisi la réalité discursive de mon sujet de recherche, j’ai pu comprendre que mon étude ne consisterait pas à identifier les droits finalisés pour en cerner la nature juridique (partie 1) avant d’y affecter un régime juridique (partie 2), démarche à laquelle prédestinent de nombreux sujets d’étude en droit privé17Bien qu’il soit difficile d’avancer des données chiffrées en ce sens, il n’est guère contestable que la division bipartite entre nature et régime se trouve fréquemment reprise dans les thèses de doctorat en droit, à tel point que l’on pourrait d’ailleurs se demander si, dans une certaine mesure, elle ne lie pas le chercheur. Voir à ce propos, P.-E. Audit, art. préc., p. 34-35 : « […] un nombre appréciable suivra pour cheminement ce que l’on appelle familièrement “le plan bateau”, c’est-à-dire le fameux “I. Nature (ou Notion) – II. Régime”. Tout le travail de recherche, en pratique, est alors orienté et même structuré par l’idée qu’il y aurait une “nature” du concept en question et que de cette nature se “déduirait” le régime ».. En effet, le terme de « droits finalisés » étant totalement absent des énoncés normatifs, une telle démarche ne pouvait être adoptée. Les « droits finalisés » ne sont en outre évoqués qu’en de très rares occasions dans le métadiscours18Totalement absent des index alphabétiques et des dictionnaires juridiques, l’expression de « droits finalisés » apparaît épisodiquement dans certaines thèses ou articles, sans jamais toutefois constituer l’objet principal de l’étude.. Je me suis alors demandé quelle était la finalité de ma démarche. Cette quasi-absence du concept au sein des différents niveaux de discours juridiques aurait sérieusement pu faire douter de l’opportunité d’y consacrer une étude. Se pose en effet la question de la légitimité des sujets de thèse renvoyant à des concepts qui ne sont pas formellement présents dans les énoncés normatifs.

    B.   Une proposition doctrinale de systématisation

10. Porter un regard neuf sur les objets existants. – Il n’est pas rare que l’intitulé d’une thèse de doctorat s’ordonne autour de l’étude d’un concept du droit en se référant, par exemple, à la nature juridique de telle ou telle institution19Sur la fréquence des thèses en droit portant sur un concept, F. Rouvière, « Avant-propos », in Les concepts en droit : usages et identité, Cahiers de méthodologie juridique, n° 26, RRJ 2012-5, p. 2167 et s.. Le seul fait qu’une recherche doctorale se rapporte à un concept juridique n’a donc, en soi, rien de bien surprenant. En revanche, tandis que certaines thèses portent sur l’étude de concepts exprimés dans le droit positif, d’autres s’attachent à la construction de concepts doctrinaux ne s’y trouvant pas formellement20Pour une distinction entre « catégorie du droit positif » et « catégorie scientifique », Ch. Eisenmann, « Quelques problèmes de méthodologie des définitions et des classifications en science juridique », in La logique du droit, APD 1966, t. XI, p. 25 et s.. Dans ce dernier cas, la nouveauté réside moins dans les objets que le concept doctrinal entend saisir – ces objets existant déjà dans le droit positif – que dans le regard que ce concept conduit à porter sur eux21L. Rapp, « “Osez, osez…” plaidoyer pour un peu d’audace dans le choix des sujets de recherches », in B. Sergues (dir.), op. cit., p. 209 et s., n° 11 : « Regard neuf, même sur des choses anciennes, ce qui est tout le contraire de ce regard ancien que l’on pose d’ordinaire sur des choses neuves ».. Le choix d’élaborer un concept doctrinal pourrait alors suffire à faire de la thèse une œuvre originale22Sur le sens du caractère innovant de la doctrine, Ph. Malaurie et P. Morvan, Introduction au droit, 7e éd., LGDJ, 2018, p. 422, n° 426 : « La doctrine innovante est celle qui met à jour de nouveaux concepts pour susciter ou accompagner les révolutions juridiques »..
L’étude des « droits finalisés » m’a ainsi permis de comprendre que ma recherche trouverait son originalité dans le regard qu’elle permet opportunément de porter sur les évolutions récentes du droit des contrats. Les évolutions que le droit des contrats a connues, et plus particulièrement celles qui ont affecté les conditions d’exercice des prérogatives juridiques, ont conduit à une certaine obsolescence des classifications des droits proposées jusqu’alors en doctrine. En effet, l’évolution des données du droit conduit à révéler l’inévitable incomplétude des concepts juridiques23Sur une telle incomplétude des concepts existants au regard des évolutions du droit, J.-L. Bergel, « Le processus des concepts émergents », in E. Le Dolley (dir.), Les concepts émergents en droit des affaires, Avant-propos de G. Farjat et E. Le Dolley, Postfaces de J.-L. Bergel et Th. Bonneau, LGDJ, 2010, p. 440, n° 7.. Au fil du temps, certains types de prérogatives apparaissent, tandis que d’autres disparaissent ou se réduisent24Voir J. du Bois de Gaudusson, « Avant-propos », in G. Tusseau (dir.), op. cit., p. X : « On ne parvient plus à recenser ces notions perdues, agonisantes, disparues… pour mieux ressurgir, parfois même ressusciter… avant de retomber dans un coma plus ou moins irréversible ». Également en ce sens à propos des distinctions, Th. Tauran, « Les distinctions en droit privé », RRJ 2000-2, p. 505 : « […] si des distinctions nouvelles apparaissent en fonction de l’évolution des normes juridiques, il est normal que d’autres s’effacent ».. Dans cette perspective, le concept de « droits finalisés » permettrait de ranger, au sein d’une nouvelle catégorie doctrinale, des prérogatives juridiques dont les catégories préexistantes ne rendent plus compte que de manière partielle. Il apparaît ainsi que la conceptualisation des « droits finalisés » s’apparente à une proposition de systématisation du droit positif. En d’autres termes, c’est en amenant à porter un regard particulier sur le droit positif et ses évolutions que le concept doctrinal est porteur d’une connaissance nouvelle25Voir F. Colonna d’Istria, « Le concept de concept juridique », op. cit., p. 2262, n° 18 : « Le concept est la démarche propre de la connaissance : seul le concept, donc la synthèse, apporte une connaissance nouvelle ». Adde X. Bioy, « L’usage du concept de “personne” en droit », in FLes concepts en droit : usages et identité, Cahiers de méthodologie juridique, n° 26, RRJ 2012-5, op. cit., p. 2177 : « Réinterroger le droit à partir de concepts qui lui sont transcendants s’avère heuristique »..
Le concept doctrinal constitue donc un outil de synthèse d’un droit positif sans cesse désordonné par l’abondance des normes26Relevant le caractère « irréductiblement désordonné » du droit positif, L. Constans, « Le droit positif comme désordre (Paradoxes sur la valeur instrumentale de la technique juridique) », in Études offertes à Jean-Marie Auby, Dalloz, 1992, p. 35., bien que toute évolution du droit ne rende pas systématiquement nécessaire une révision de l’appareil conceptuel27En ce sens, J.-L. Bergel, « À la recherche de concepts émergents en droit », D. 2012, p. 1567 et s.. C’est surtout l’impossibilité de qualifier de nouvelles données du droit positif qui traduit un essoufflement des concepts doctrinaux existants, ainsi qu’un besoin de la dogmatique juridique en concepts nouveaux28Voir également F. Colonna d’Istria, « Le concept de concept juridique », op. cit., p. 2250, n° 5 : « […] conceptualiser implique la diversité empirique à laquelle la diversité des concepts répond ».. Si aucun numerus clausus ne s’applique par principe aux concepts29En en ce sens, F. Terré, Introduction générale au droit, 10e éd., Dalloz, 2015, p. 329, n° 405 ; J. Ghestin et G. Goubeaux, avec le concours de M. Fabre-Magnan, Introduction générale, 4e éd., LGDJ, 1994, p. 35, n° 43., encore convient-il de s’assurer de l’incapacité des constructions existantes à englober le nouveau. En effet, à conceptualiser comme sur du vide, le risque serait de finir par conceptualiser dans le vide30Rappr. M. Cabrillac, « Un domaine à explorer par le chercheur : les démarches de l’investigation juridique », in L’avenir du droit, Mélanges en hommage à François Terré, Dalloz/PUF/Juris-Classeur, 1999, p. 168, n° 4 : « […] toute innovation juridique se heurte inévitablement à des difficultés d’insertion ». ! Le besoin de repenser les concepts doctrinaux ne doit en tout cas pas surprendre car, comme toute construction humaine, ils demeurent nécessairement imparfaits31Rappr. Th. Tauran, art. préc., p. 491 : « […] toutes les distinctions ne sont pas fécondes. Elles ne sont pas parfaites et certaines sont parfois difficiles à manipuler. Ce sont des juristes qui les ont forgées, à partir de données brutes ; or les juristes ne sont que des hommes, ce qui permet d’imaginer les imperfections du résultat »..
11. Interrogations. – À l’issue de cette première partie relative à la compréhension de ma démarche, de nombreuses questions demeurent : est-il possible d’évaluer la pertinence d’un concept doctrinal ? Cette évaluation résulte-t-elle de sa confrontation au droit positif32Sur ce point, Ph. Jestaz, « Qu’est-ce qu’un résultat en droit ? », in Études offertes au professeur Philippe Malinvaud, Litec, 2007, p. 293 et s., spéc. p. 301 : « […] l’invention la meilleure sera simplement celle qui sollicitera le moins la réalité, celle qui l’expliquera de la manière la moins artificielle possible ». Comp. V. Champeil-Desplats, op. cit., p. 333, n° 539 : « Du point de vue logique, une classification peut […] être valide indépendamment de sa correspondance avec des éléments de la réalité »., aux théories concurrentes, de la controverse doctrinale ? Dans quelle(s) condition(s) devient-il nécessaire de réviser un concept doctrinal ? Autant de questions qui convergent vers celle de la finalité de l’entreprise de conceptualisation.

II. Finaliser ma démarche

12. Comprendre que ma démarche allait consister en l’élaboration d’un concept doctrinal pour proposer une systématisation du droit positif m’a conduit à m’interroger sur sa finalité33Voir X. Bioy, « La signification du terme “recherche” dans le champ de la science juridique », in B. Sergues (dir.), op. cit., p. 19 et s., n° 26 : « La recherche en droit se comprend donc par ses finalités. Il faut rappeler qu’aucune activité de connaissance n’est désintéressée […]. Or la fin affecte les moyens ».. Dans quelle mesure ma recherche allait-elle pouvoir être utile ? Si la construction d’un concept doctrinal n’a pas pour objectif de produire un énoncé normatif (A), elle n’en constitue pas moins une recherche appliquée et utile en ce qu’elle permet une mise en cohérence et une explication du droit positif (B).

    A.   L’absence d’intention de produire un énoncé normatif

13. Partir du régime pour rechercher la nature juridique. – Schématiquement, on pourrait soutenir que le concept est constitué par la nature juridique34En ce sens, F. Colonna d’Istria, « Le concept de concept juridique », op. cit., p. 2258, n° 13 : « C’est précisément la nature juridique qui constitue le concept ».. Tout aussi grossièrement, la fonction généralement assignée à la nature juridique réside dans la détermination des règles applicables à une situation. On reconnaît par là le principe méthodologique différence de nature égale différence de régime35Sur ce principe, J.-L. Bergel, « Différence de nature (égale) différence de régime », RTD civ. 1984, p. 255 et s. dont la prégnance n’est plus à démontrer36Estimant que ce principe constitue une « pièce maîtresse de la méthodologique juridique », F. Rouvière, « Le revers du principe. “Différence de nature (égale) différence de régime” », in Le droit, entre autonomie et ouverture, Mélanges en l’honneur de Jean-Louis Bergel, Bruylant, 2013, p. 415, n° 1.. Celui-ci figure en effet parmi les habitudes de penser des juristes37De manière générale, sur les habitudes de pensée de la doctrine, Ph. Brun, « Les habitudes de penser de la doctrine », in N. Dissaux et Y. Guenzoui (dir.), Les habitudes du droit, Dalloz, 2015, p. 83 et s.. Le principe méthodologique évoqué implique que le régime juridique se déduit en quelque sorte de la nature juridique. Son utilisation convient tant à la production d’énoncés normatifs qu’à leur application38Voir M. Boudot, Le dogme de la solution unique, Contribution à une théorie de la doctrine en droit privé, th. Aix-Marseille 3, 1999, n° 171, p. 273 : « La classique analyse duale du couple “nature/régime” est alors un instrument prescriptif plus qu’heuristique ».. S’agissant toutefois de l’élaboration d’un concept doctrinal, il est inenvisageable de partir de la nature puisque que c’est celle-ci que la recherche se donne précisément pour objectif de découvrir. Le chercheur doit alors envisager de parcourir le chemin inverse, en allant du régime vers la nature juridique39Pour une telle démarche, F. Rouvière, « Le revers du principe. “Différence de nature (égale) différence de régime” », in Le droit, entre autonomie et ouverture, Mélanges en l’honneur de Jean-Louis Bergel, op. cit., p. 427, n° 8 : « Le revers du principe nous livre au fond une loi de la recherche juridique : c’est le régime qui met sur le chemin de la nature. Le chemin entre nature et régime peut bien être parcouru dans les deux sens : pour l’application du droit, c’est la nature qui conduit au régime mais pour la construction du droit c’est le régime qui conduit à la nature ». Voir également, F. Colonna d’Istria, « Le concept de concept juridique », op. cit., p. 2258, n° 13 : « Si la nature commande le régime, le régime permet de déterminer la nature. […] Nature et régime sont donc dans une relation d’influence réciproque ».. De la sorte, la conceptualisation des « droits finalisés » n’aurait, à proprement parler, aucune incidence sur les régimes d’exercice des droits des cocontractants. Le concept doctrinal viserait à offrir une vision cohérente des régimes juridiques tels qu’ils existent déjà, autrement dit : produire une connaissance juridique40Rappr. F. Rouvière, « Le revers du principe. “Différence de nature (égale) différence de régime” », op. cit., p. 419, n° 3 : « […] le revers du principe qui pose qu’une différence de régime implique une différence de nature est une pièce essentielle de ce qu’on pourrait appeler une heuristique juridique ». et non un énoncé normatif. Quoique non recherchées, des modifications du régime ne pourraient-elles pas toutefois résulter de la construction d’un concept doctrinal41En ce sens F. Colonna d’Istria, « Le concept méthodologique de la recherche juridique », in Th. Tanquerel et A. Flückiger (dir.), L’évaluation de la recherche en droit, Enjeux et méthodes, Bruylant, 2015, p. 157-158 : « […] l’hypothèse explicative, une fois validée, permet de développer des conséquences pratiques qui viendront modifier l’ordonnancement des phénomènes étudiés ». ? La conceptualisation n’exercerait-elle pas une certaine influence sur la réalité étudiée42Sur cette question, V. Forray et S. Pimont, Décrire le droit… et le transformer, Essai sur la décriture du droit, Dalloz, 2017. ?

    B.   La volonté de mettre en cohérence et d’expliquer le droit positif

14. Mettre en cohérence un droit éclaté dans ses différentes branches. – C’est à travers une réflexion sur les fonctions du concept doctrinal que se précisent ses rapports avec le droit positif. Les concepts doctrinaux, comme celui de « droits finalisés », visent principalement à réaliser une systématisation des données positives du droit, notamment par l’établissement de catégories43Voir notamment sur les diverses fonctions des catégories juridiques, F. Colonna d’Istria, « Le concept de concept juridique », op. cit., p. 2267, n° 22 ; M.-O. Barbaud, La notion de contrat unilatéral : analyse fonctionnelle, préf. de B. Teyssié, LGDJ, 2014, p. 10, n° 10.. L’intérêt de la construction d’un concept juridique de « droits finalisés » réside donc principalement dans la fourniture d’un outil de connaissance et d’interprétation du droit positif des contrats. Cette connaissance passe avant tout par une mise en cohérence d’un droit éclaté en ses différentes branches44Évoquant l’existence d’un « argument d’autonomie », M. Boudot, th. préc., p. 266, n° 168.. En effet, s’il a pour champ d’investigation le droit des contrats, le concept de « droits finalisés » ne se rattache pas à un type de contrat en particulier. Il vise, de manière générale, les hypothèses dans lesquelles le législateur, le juge ou les parties ont assorti l’exercice d’une prérogative d’une exigence de justification. De telles prérogatives se rencontrent tout aussi bien dans le contrat de travail, le bail d’habitation, le bail commercial, le mandat d’intérêt commun, etc. Le concept de « droits finalisés » appréhende par conséquent des objets du droit positif qui relèvent de différents corpus de règles. On peut dire que les énoncés normatifs sur la base desquels s’élabore le concept de « droits finalisés » appartiennent à différentes « unités épistémologiques »45Sur cette notion d’« unité épistémologique », Ch. Atias, op. cit., p. 218-219, n° 324 : « Chaque domaine du droit définit une unité épistémologique caractérisée par les réponses qu’elle contient, mais aussi par les questions qu’elle envisage, celles qu’elle élimine et celles qu’elle maintient ouvertes ».. Plusieurs questions découlent d’un tel constat : l’affirmation de l’autonomie des règles ne devrait-elle pas conduire à reconnaître également celle des concepts et des principes méthodologiques46Sur la nécessité de « développer une vision transversale », Ph. Jestaz, « Déclin de la doctrine ? », Droits 1994, p. 90. ? Ainsi, quand bien même l’objet resterait monodisciplinaire, l’argument d’autonomie des branches du droit47Pour une distinction entre discipline et branche du droit, A. Jeammaud, « La part de la recherche dans l’enseignement du droit », in L’enseignement du droit au début du xxie siècle, op. cit., 181 et s. Comp. F. Grua, « Les divisions du droit », RTD civ. 1993, p. 59 et s., n° 11. ne constitue-t-il pas un frein à l’élaboration de concepts doctrinaux dont les objets relèvent de plusieurs corpus de règles ? La spécialisation des règles applicables aux différents contrats ne constitue-t-elle pas une entrave à la conceptualisation ? Quoi qu’il en soit, si l’existence de différents corpus de règles spéciales rend plus difficile la délimitation du champ de la recherche, elle met cependant en relief la fonction explicative du concept48Voir J.-L. Halpérin, Introduction au droit, Dalloz, 2017, p. 204 : « Dans cet objectif de clarté du droit, les concepts sont souvent utilisés pour expliquer des règles ou des phénomènes en apparence épars qui sont censés acquérir un sens en étant reliés à un concept. Il s’agit ici des concepts complexes qui forment, aux yeux de la doctrine, des institutions ou de véritables théories »..
15. Explication d’une tendance récente du droit des contrats. – L’élaboration d’une catégorie particulière de prérogatives accordées aux contractants de droit privé, en l’occurrence celle de « droits finalisés », a pour principal intérêt d’offrir un outil de compréhension des règles du droit positif des contrats telles qu’elles sont aujourd’hui et non telles qu’elles devraient être demain. La catégorie doctrinale permet ainsi de dire ce qui est et non pas ce qui devrait être. De la sorte, la construction d’un concept de « droits finalisés » a pour but de fournir une grille de lecture du droit positif des contrats, autrement dit d’expliquer le sens des énoncés normatifs49Voir F. Colonna d’Istria, « Le concept méthodologique de la recherche juridique », op. cit., p. 157 : « […] le texte est signe : il renvoie à un sens que le chercheur doit construire et se présente ensuite comme un témoignage de sa pertinence ».. Mais, si elle ne comprend pas de dimension normative et prescriptive, la catégorie doctrinale remplit-elle pour autant une fonction purement descriptive ? Dire que le concept doctrinal constitue un outil de systématisation du droit revient-il par ailleurs à exiger du chercheur qu’il soit parfaitement neutre50Évoquant notamment « la part de reconstruction qui se glisse nécessairement dans l’observation du droit positif », E. Savaux, La théorie générale du contrat, mythe ou réalité ?, préf. de J.-L. Aubert, LGDJ, 1997, p. 135, n° 170. Rappr. F. Colonna d’Istra, « Le concept méthodologique de la recherche juridique », op. cit., p. 157 : « L’hypothèse explicative est l’oeuvre du chercheur et le produit de son imaginaire. Un imaginaire certes maîtrisé et opérant sur le sol fiable des données de la base empirique, mais libre, par ces bornes mêmes, de déployer ses virtualités ». ? Quoi que l’on puisse en dire, la principale utilité du concept de droits finalisés est de dévoiler la rationalité des données positives du droit51Rappr. E. Matzner et E. Millard, « Traduction de “La définition en droit”, Alf Ross », in E. Matzner (dir.), Droit et langues étrangères, Concepts, problèmes d’application, perspectives, Presses universitaires de Perpignan, 2000, p. 50, n° 12 : « Il appartient à la pensée juridique de conceptualiser les règles juridiques de telle façon qu’elles soient réduites à un ordre systématique, et de fournir par ce moyen un compte rendu du droit en vigueur qui soit aussi clair et commode que possible »., sans qu’il soit évidemment possible de les épuiser52Voir G. Quintane, « Les notions juridiques et les outils langagiers de la science du droit », in G. Tusseau (dir.), op. cit., p. 17.. C’est en tout cas sur un tel résultat que peut déboucher l’élaboration d’un concept doctrinal.
16. Valoriser un résultat théorique. – Bien que cela ne soit pas chose courante, il arrive en pratique que des concepts doctrinaux, issus de la recherche doctorale, fassent ultérieurement l’objet d’une incorporation au sein des énoncés normatifs53En ce sens, M. Boudot, th. préc., p. 338-339, n° 214.. Mais, on se demande si la pertinence des propositions émises dans la thèse se mesure vraiment à l’aune d’un tel passage du discours doctrinal au discours-objet ? Répondre positivement reviendrait, sans nul doute, à nier toute utilité à la plupart des travaux juridiques. Cependant, sans aller jusque-là, peut-on reprocher à une recherche doctorale de ne comporter aucune application juridique54Voir J.-L. Bergel, « Essai de définition de la recherche juridique », in Th. Tanquerel et A. Flückiger (dir.), op. cit., p. 174 : « Qu’il s’agisse des fruits de recherches fondamentales ou de simples applications du droit, leur pertinence et leur utilité se mesurent à leur utilisation pratique ». Voir cependant, X. Bioy, « La signification du terme “recherche” dans le champ de la science juridique », in B. Sergues (dir.), op. cit., p. 19 et s., n° 23 : « La finalité pratique de notre recherche pose problème, particulièrement, paradoxe suprême, au moment de la valoriser comme recherche scientifique ». ?

Conclusion

17. Conclusion. – L’élaboration de concepts doctrinaux a pour principale finalité la découverte d’une rationalité cachée au sein d’un désordre apparent, tant dans le discours-objet que dans le métadiscours55Rappr. Ph. Jestaz, « Qu’est-ce qu’un résultat en droit ? », in Études offertes au professeur Philippe Malinvaud, op. cit., p. 301 : « […] le résultat théorique consiste souvent à ordonner un secteur du droit qui paraissait complètement éclaté, tant en législation qu’en jurisprudence et en doctrine : le chercheur a ramassé les morceaux épars pour en faire un tout cohérent et, sans changer grand chose en pratique, a mis au jour un ordre jusque-là caché […] ».. De la sorte, l’utilité de la création de concepts doctrinaux pourrait difficilement être mise en cause56Comp. Ph. Brun, « Les habitudes de penser de la doctrine », in N. Dissaux et Y. Guenzoui (dir.), op. cit., p. 88 : « […] la doctrine peut donner l’impression de s’épuiser dans un programme proprement irréalisable de mettre en ordre et en partitions une cacophonie irréductible et inaudible. Le malaise existe : c’est le modèle de la dogmatique à la française qui est en question… ».. Pourtant, la réalisation de travaux de conceptualisation ne se trouve-t-elle pas menacée à la fois par les contraintes pesant aujourd’hui sur la recherche en droit et l’obsolescence grandissante des travaux juridiques57Voir notamment sur la question de l’obsolescence des travaux juridiques, G. Thuiller, « Obsolescence des travaux juridiques », in D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Quadrige, 2003, p. 1102 et s. ; B. Barraud, La recherche juridique, Sciences et pensées du droit, L’Harmattan, 2016, p. 477 et s. ? En effet, c’est un lieu commun de dire que le temps dont dispose le chercheur pour se consacrer à la recherche tend à se réduire58En ce sens, M. Gobert, « Le temps de penser de la doctrine », Droits 1994, p. 98, n° 5.. S’agissant plus particulièrement de la recherche doctorale, la volonté globalement affichée de réduire la durée des thèses59Sur la durée de la thèse de doctorat, A. Bugada, « Innovation et doctorat en sciences juridiques, Retour d’expérience d’un directeur d’école doctorale », in L. Merland et J. Mestre (dir.), Droit et innovation, PUAM, 2013, p. 679 : « Le contrôle effectué par les autorités académiques de l’université est de plus en plus prégnant ». ne pousse-t-elle pas le jeune chercheur à se méfier de certains sujets, difficilement réalisables dans les délais impartis ? Par ailleurs, l’hypertrophie des données positives du droit60Voir Ch. Jamin, « Les habitudes d’enseigner », in N. Dissaux et Y. Guenzoui (dir.), op. cit., p. 95 : « Pour comprendre le système, son ordre, sa cohérence, il y faut du temps. Et comme le système enfle en raison d’un droit positif qui grossit, il y faut de plus en plus de temps ». ne devrait-elle pas conduire le doctorant à se détourner de toute entreprise de conceptualisation ? Toutes ces interrogations pourraient finalement tenir en une seule : les thèses de doctorat en droit visant à l’élaboration de concepts doctrinaux ont-elles encore un avenir ?

Share This
Aller au contenu principal