Les normes environnementales privées internationales*
Virginie MERCIER
Maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille,
Directrice de l’Institut Pluridisciplinaire de l’Eau et de l’Environnement
Et
Stéphanie BRUNENGO-BASSO
Avocate à la Cour, Maître de conférences associé à l’Université d’Aix-Marseille, Directrice adjointe de l’Institut Pluridisciplinaire de l’Eau et de l’Environnement
*La première partie de cet article a été rédigée par V. Mercier et la seconde partie par S. Brunengo-Basso.
Introduction
L’épuisement des ressources, la pollution du milieu naturel, le changement climatique, la crise énergétique sont autant d’éléments mettant en exergue le fait que notre environnement est en danger et qu’il devient nécessaire de modifier nos modes de vie ainsi que nos modes de consommation et de production. Sous l’impulsion des organisations non gouvernementales (ONG), des organisations syndicales ou de consommateurs, les entreprises transnationales ont été amenées à prendre en compte les préoccupations sociales, sociétales et environnementales engendrées par leurs activités. Aujourd’hui, la société civile attend des entreprises un comportement éthique et qu’elles assument leur responsabilité environnementale. Cette prise en compte s’est traduite par l’adoption de nouveaux comportements entrant dans le cadre de la notion de responsabilité sociétale des entreprises ou responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE). Cette notion est définit par la Commission européenne comme « l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes »1Livre vert de la Commission européenne sur « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises », juillet 2001.. Elle repose sur une approche volontariste de l’éthique des affaires et des analyses économiques ayant établi que l’entreprise doit tenir compte des attentes de la société. Elle s’analyse comme étant la contribution des entreprises à la réalisation des objectifs du développement durable. La démarche consiste pour les entreprises à prendre en compte les impacts sociaux et environnementaux de leur activité pour adopter les meilleures pratiques possibles et contribuer ainsi à l’amélioration de la société et à la protection de l’environnement2V. MERCIER, « Responsabilité sociétale des entreprises et droit des sociétés : entre contrainte et démarche volontaire », Droit des sociétés, avril 2011, Étude 6, p. 7.. Selon l’institution communautaire, « les entreprises adoptent un comportement socialement responsable en allant au-delà des prescriptions légales et elles s’engagent dans cette démarche volontaire parce qu’elles jugent qu’il y va de leur intérêt à long terme »3Communication de la Commission européenne sur « RSE : une contribution des entreprises au développement durable », 2 juillet 2002..
Cette intégration de la notion de RSE par les entreprises s’est matérialisée par la rédaction de normes privées. Les entreprises privées ont ainsi tenu à montrer leur prise de conscience à l’égard de ces diverses préoccupations en les intégrant dans des instruments internes, généralement ouverts au public. Les premières normes privées ont pris la forme de codes de conduite et sont apparues dans les années 1970, en réponse aux problèmes de corruption mis en exergue notamment par le Foreign Corrupt Practices Act of 1977 américain. L’insertion des questions environnementales n’est apparue que plus tard et notamment vers les années 90, à la suite du Sommet de la Terre de Rio de 1992 qui a mis en avant la nécessité de lier croissance économique et préoccupations environnementales. L’élaboration de ces codes par les entreprises elles-mêmes a été suivie par la rédaction de « codes de conduite publics » réalisés par certaines institutions internationales telles que l’OIT4La déclaration tripartite de l’OIT à l’attention des entreprises multinationales. ou l’OCDE5Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales..
Aujourd’hui, la grande majorité des entreprises transnationales dispose d’un code de conduite. Cette prolifération de codes privés participe ainsi à un mouvement d’autorégulation qui fait l’objet d’un important débat. D’un côté, les partisans d’un désengagement de l’État pour une meilleure flexibilité des marchés prônent le développement de ces engagements unilatéraux. De l’autre, les partisans d’une régulation des activités des entreprises transnationales estiment que ces normes privées ne peuvent remplacer un cadre législatif contraignant.
L’examen des normes privées internationales révèle une véritable émergence des questions environnementales. La protection de l’environnement constitue en effet une des problématiques principales abordées par ces normes (I). Une fois ce constat réalisé, se pose la question de la réception des normes privées environnementales par le droit positif, autrement dit la valeur contraignante des normes privées environnementales (II).
I. L’émergence des normes privées environnementales
Dans le domaine environnemental, on relève ces dernières décennies une multiplication des normes privées internationales qui revêtent une importance croissante (A). Se pose alors la question de leur coexistence avec la règlementation publique (B).
A. Une importance croissante des normes privées environnementales
Les normes privées internationales prolifèrent depuis plusieurs années en matière d’environnement, de santé et de sécurité. Nous assistons en effet à un véritable phénomène de normalisation permettant de moraliser les activités des entreprises privées et se traduisant par la mise en place de règles de comportement ainsi que de spécifications techniques. Différents types de normes existent et présentent des formes variées. Leur contenu et leur niveau d’exigence est également disparate ce qui génère un ensemble particulièrement hétérogène (1). Il faut bien avouer que la multiplication de ces normes hétérogènes n’est pas très confortable, dans la mesure où ce phénomène génère une confusion et un manque de lisibilité pour les entreprises risquant de remettre en cause la crédibilité du système d’autorégulation. Afin de nuancer ce constat, il est intéressant de relever qu’un mouvement d’harmonisation de ces normes privées est en train de voir le jour (2).
1. La prolifération de normes hétérogènes
Ces instruments privés prennent diverses formes et recouvrent différentes appellations. Par ailleurs, leur contenu est « à géométrie variable » du fait de la diversité des structures émettant ces codes, en termes de taille, de secteur d’activité ou de localisation géographique.
a. Les différents types de normes
L’élaboration de ces normes privées relève d’une démarche volontaire de la part des entreprises transnationales de sorte qu’une grande disparité règne entre elles. Il s’agit le plus souvent de documents par lesquels une ou plusieurs entreprises énoncent leurs engagements en matière sociale et environnementale. Cette déclaration d’engagement prend couramment la forme d’un code de conduite ou d’une charte éthique. La distinction entre ces deux formes tient essentiellement à leurs destinataires respectifs. Les codes de conduite visent en général les fournisseurs et stipulent les conditions sociales, environnementales et éthiques à respecter par ces derniers alors que les chartes sont plutôt destinées au public interne. L’OCDE définit d’ailleurs le code de conduite comme « un engagement souscrit volontairement par les entreprises, associations ou autres entités qui fixent des normes et des principes pour la conduite des activités des entreprises sur le marché »6OCDE, Responsabilité des entreprises, 2001.. A titre d’exemple, citons les codes de conduite d’IKEA7« The IKEA Way on Purchasing Home Furnishing Products », IWAY est un ensemble de règles sociales et environnementales que les sous-traitants d’IKEA doivent respecter. et de Wal-Mart qui abordent de manière approfondie les questions d’environnement.
La norme peut également prendre la forme d’une déclaration de principes insérée dans un contrat. Ces clauses contraignent alors les cocontractants à des niveaux et à des types d’obligations déterminés par l’entreprise en fonction de ses propres engagements au titre du développement durable et doivent être aptes à lui garantir un comportement conforme à ses attentes. Elles font la plupart du temps mention du contrôle qui pourra être effectué pendant la durée du contrat et des sanctions applicables en cas de non-conformité. Citons par exemple la « clause éthique et environnement » de France Telecom insérée dans les conventions liant la société à ses fournisseurs niveau groupe et prévoyant que « (…) le fournisseur s’engage à se conformer, et à exiger de ses sous-traitants ou de toute personne sous son contrôle, de se soumettre à toutes les règles nationales, européennes et internationales relatives aux normes éthiques et aux comportements responsables, comprenant de manière non exhaustive celles traitant des droits de l’homme, de la protection de l’environnement, du développement durable et de la corruption active ou passive »8 France Telecom, rapport RSE 2004, p. 17..
Un autre type de norme que nous pouvons citer sont les étiquettes. En effet, les produits peuvent être étiquetés pour le consommateur afin de les différencier au regard des critères de performance environnementale et sociale établis dans une norme. Par exemple, l’étiquette Oeko-tex correspond à des vêtements ou des textiles sans effet sur la peau. On pourrait penser qu’il ne s’agit pas d’une norme mais seulement un moyen de vérifier que les critères définis par la norme ont été respectés. Néanmoins, il faut préciser qu’elles sont prises en compte par l’OMC comme pouvant contenir des prescriptions techniques sur les produits.
Citons enfin les règles de l’art qui constituent des recommandations élaborées par les syndicats professionnels, comme par exemple les règles de l’art en matière de construction.
b. Les normes privées sont des initiatives volontaires non prescrites par les gouvernements
Les normes privées internationales sont des initiatives volontaires que l’on qualifie de soft law ou droit mou. Ce sont des normes qui peuvent être élaborées par une ou plusieurs entreprises socialement responsables, qui exposent ainsi les valeurs qu’elles entendent respecter dans la conduite de leurs affaires et parfois faire respecter par leurs contractants. Elles peuvent être l’œuvre de collèges et universités, émaner de groupements informels d’entreprises sans personnalité morale du type consortiums9 Les consortiums de la distribution, par exemple, élaborent des programmes privés d’étiquetage. ou être élaborées par des organisations de la société civile, telles que les ONG sociales et environnementales qui s’attachent à promouvoir le changement à travers leurs activités de normalisation et de certification. Par exemple, une organisation privée, l’International Social and Environmental Accreditation and Labelling Alliance (ISEAL), association mondiale pour les systèmes de normes sociales et environnementales, s’attache avec ses membres à « contribuer à un monde où la durabilité écologique et la justice sociale sont les conditions normales de l’activité économique ».
Elles peuvent également naître d’une initiative concertée des différentes parties prenantes (acheteur/producteur/ONG). La décision de la direction d’une entreprise de traiter avec ses parties prenantes illustre inévitablement un désir réel d’élaborer une norme utile. Cela implique en effet de longues négociations et la mise en place de compromis. De plus en plus d’ONG proposent d’ailleurs d’aider les entreprises à promouvoir les droits de l’Homme et la protection de l’environnement en participant par exemple à des sessions de formation du personnel sur ces questions parfois difficiles à traiter au sein même de l’entreprise. Ce processus permet généralement d’impliquer le personnel dans la nouvelle stratégie de l’entreprise. Par exemple, Fairtrade/Max Havelaar est un label international qui regroupe des ONG et des représentants de producteurs. Son but est d’utiliser le commerce pour donner à des paysans et employés de l’hémisphère sud les moyens de lutter eux-mêmes contre la pauvreté. Autre exemple, l’ONG Better Cotton Initiative (BCI) a réuni autour d’elle tous les acteurs de la filière coton pour rendre le processus de production plus responsable, du paysan indien au géant du commerce H&M. Les critères imposés par le BCI ont ainsi pour but de réduire l’usage de l’eau et limiter la consommation de pesticides.
En revanche, il est essentiel de distinguer les normes privées internationales des normes techniques prescrites par les gouvernements, tels que certains règlements en matière de sécurité et restrictions touchant les produits chimiques, comme par exemple le système REACH (enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des produits chimiques)10Règlement REACH CE 1807/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006..
Sont également à exclure de la notion de norme privée les normes techniques telles que les normes de qualité, qui définissent les niveaux admissibles de pollution dans les milieux récepteurs (air, eau, sol). Il s’agit notamment des normes d’émission qui spécifient la quantité de polluants ou leur concentration dans les effluents pouvant être rejetée par une source donnée (usine, foyer domestique) dans un milieu donné (eaux de surface, eaux marines, air..). Elles établissent le plus souvent des obligations de résultat, laissant au pollueur le choix des moyens pour s’y conformer.
Il s’agit également des normes de procédé, qui définissent un certain nombre de spécifications auxquelles doivent se conformer les installations fixes. Elles établissent le plus souvent des obligations de moyen ne laissant pas au pollueur le libre choix des techniques (par exemple un certain type de station d’épuration sera imposé). Il s’agit enfin des normes de produit, qui fixent les caractéristiques physiques ou chimiques d’un produit (un médicament par exemple) et/ou les règles relatives à son conditionnement, son emballage ou sa présentation, ainsi que les limites aux émissions polluantes qu’il est susceptible de dégager11C’est le cas des pots d’échappement, par exemple..
On confond également souvent les normes privées avec les normes volontaires internationales élaborées par les organisations internationales compétentes en la matière, notamment l’Organisation internationale de normalisation (ISO) et le Codex alimentarius, et qui peuvent concerner les procédés de production ainsi que la conception et la performance du produit. Bien que les normes élaborées par ces organisations aient un caractère volontaire (soft law), elles ne doivent pas être considérées comme des normes « privées » parce qu’elles sont élaborées par la communauté internationale de normalisation et se fondent sur un consensus international entre les organismes membres, à savoir des organismes gouvernementaux, paraétatiques ou non gouvernementaux. Ces normes volontaires internationales peuvent néanmoins intégrer la sphère privée lorsqu’elles font partie du contrat entre fournisseur et acheteur. Elles peuvent également devenir obligatoires pour tous notamment lorsque la règlementation étatique ou communautaire y renvoit expressément.
On exclura de la même manière de cette notion les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. Il s’agit d’un texte qui regroupe un certain nombre de recommandations adressées par les gouvernements aux entreprises multinationales dans divers domaines tels que les droits de l’homme, l’environnement et le travail. La réflexion est identique concernant le Global Compact.
c. Les normes privées ont un contenu variable
De façon générale, les normes volontaires vont définir les caractéristiques d’un produit intégrant des exigences environnementales (labels, certificats…) et des obligations de faire ou ne pas faire en matière d’environnement : limiter la consommation en eau, recycler les déchets, prendre en compte les objectifs de biodiversité…
Il faut toutefois constater que les prescriptions des normes privées volontaires en matière de protection de l’environnement sont souvent très générales. Les standards techniques sont limités en matière de protection pure de l’environnement et concernent davantage la qualité et la sécurité des produits et partant la santé humaine. En effet, l’uniformisation des standards techniques porte davantage sur la conformité du produit fini, que sur le respect de l’environnement dans le cadre du processus de fabrication. La préservation de l’environnement au niveau de ses ressources (eau, air, consommation énergétique…) est le plus souvent appréhendée par des normes publiques obligatoires définissant des objectifs à atteindre ou des limites maximales en termes de rejet et de pollution. Il est vrai que les entreprises ont du mal à « s’auto contraindre » en matière d’environnement car elles perçoivent davantage le coût que l’avantage économique de ces normes volontaires, notamment vis-à-vis du consommateur. En revanche, les exigences en matière de qualité et de sécurité sont plus facilement « rentabilisées » par le marketing réalisé sur le produit.
La préservation du milieu n’est toutefois pas obérée dans la mesure où les liens entre santé et environnement sont parfaitement avérés12 V. notamment W. DAB, Santé et environnement, Que sais- je ?, PUF, 3e édition, 2010..
Il est par ailleurs, intéressant de relever que leur teneur diffère d’une norme à l’autre. En effet, ces normes couvrent des sujets très divers, notamment l’empreinte carbone, l’éco-étiquetage, la gestion durable des ressources naturelles (forêts, pêcheries, biocarburants), les déchets dangereux, les pratiques du commerce équitable, la responsabilité organisationnelle et la responsabilité sociétale. À titre d’exemple, le système de certification international Forestry Stewardship Council (FSC) porte à la fois sur les questions environnementales et sociales tandis que Oeko-Tex et le Global Organic Textile Standard (GOTS) se concentrent sur les questions écologiques.
Il est également notable que le contenu de ces normes privées évolue au fil des ans. À ce titre, il est notamment envisagé que « la prise d’empreinte du carbone » gagnera en importance. Précisons que ce principe va au-delà du rendement énergétique du produit final car il englobe les émissions de gaz à effet de serre pendant tout le cycle du produit, depuis les matières premières jusqu’à leur destruction. Les fournisseurs des pays en développement seront ainsi très certainement de plus en plus contraints de limiter leur empreinte de carbone du fait de l’engagement de leur partenaire commercial.
À titre d’exemple, Timberland, fabricant de chaussures et de vêtements, indique maintenant sur les étiquettes de ses chaussures les détails concernant l’énergie utilisée pour fabriquer les chaussures, la portion renouvelable et le bilan de l’usine en matière de normes de travail. Étant donné qu’une grande partie des émissions de Timberland provient de la chaîne d’approvisionnement et se trouve donc hors du contrôle direct de la société, celle-ci s’emploie à faire en sorte que la marque collabore avec les fournisseurs pour réduire ces émissions. Cette initiative consiste notamment à indiquer le volume et la portée des émissions et Timberland établit actuellement un rapport trimestriel sur les émissions liées aux produits émanant des usines de chaussures13www.timberland.com/corp/index.jsp?eid=7500061233&page=pressrelease.
De même, Continental Clothing, détaillant britannique d’articles de mode, a revendiqué la première étiquette d’empreinte carbone pour les vêtements après avoir collaboré avec le Carbon Trust pour lancer une étiquette de réduction du carbone pour les produits textiles. La nouvelle étiquette donne des détails concernant l’empreinte carbone de tout le cycle de vie des vêtements, depuis la matière première jusqu’à la consommation et la destruction en passant par la fabrication. L’étiquette de réduction du carbone pour les produits textiles sera affichée sur une gamme de Tshirts et de sweatshirts imprimés en vue d’informer le consommateur du cycle de vie intégral ainsi que de sa propre contribution par le lavage, le séchage et le repassage14Continental Clothing, 2010 www.continentalclothing.com/page/carbon_footprinting.
D’ailleurs, aux États-Unis, une trentaine de grandes marques de l’habillement et de la chaussure viennent de s’unir sous la bannière de la « sustainable apparel coalition » pour créer une banque de données capable d’évaluer l’impact écologique de toute la filière. L’objectif est de développer un outil de mesure qui doit permettre d’évaluer l’impact de l’énergie utilisée, les quantités d’eau consommées, l’usage de cette eau, les substances toxiques qui font partie du processus de production, les déchets, l’usage du sol, les émissions dans l’air. La coalition veut disposer de mesures chiffrées d’énergie consommée, d’émissions de gaz à effet de serre, d’usage de l’eau et déchets. Plus tard, s’y ajouteront des chiffres sur la toxicité et l’empreinte carbone d’une production pour pouvoir comparer les performances des uns et des autres. Sans imposer explicitement des contraintes précises de fabrication, cet outil engendrera une pression sur les entreprises qui devront nécessairement améliorer leurs modes de production.
Le champ d’application des normes privées varie également d’une norme à une autre. Ainsi, certaines s’appliquent aux processus sur le site de production (par exemple SA 8000), tandis que d’autres englobent des critères portant sur les produits eux-mêmes (par exemple Oeko-tex).
Enfin, leur niveau d’exigence diffère d’une norme à l’autre. En effet, certaines s’inspirent des normes publiques existantes. Certaines, peu exigeantes, se contentent de mentionner qu’elles respectent le droit de l’environnement en général. D’autres se bornent à énoncer des règles générales de comportement ou exigent le respect de la règlementation locale, nationale ou internationale qu’elles visent expressément. Dans ces hypothèses, elles ne se substituent pas aux prescriptions nationales, notamment aux contraintes juridiques des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Il s’agit d’instruments complémentaires qui devraient faciliter le bon respect du droit de l’environnement dans la mesure où la norme impose à l’entreprise de respecter les prescriptions règlementaires relatives à l’environnement15 M. PRIEUR, Droit de l’environnement, Précis Dalloz, 5e éd., n° 116, p. 103.. Ainsi, les producteurs et vendeurs de marques mondiales demandent de plus en plus fréquemment à leurs fournisseurs des pays en développement de se conformer à des critères spécifiques en matière sociale, environnementale et de sécurité. Les producteurs des pays en développement ne devraient a priori pas éprouver de graves difficultés à respecter ces normes lorsqu’elles sont déjà incorporées dans les lois et règlements nationaux. Or, les gouvernements des pays en développement notamment n’arrivent souvent pas à faire appliquer les normes et règlements nationaux et internationaux. Les sociétés transnationales imposent alors à leurs contractants le respect des normes publiques existantes au risque de les écarter.
Au contraire, d’autres normes privées vont au-delà de la règlementation publique en imposant des conditions plus rigoureuses liées notamment à la protection de l’environnement et de la santé. Une note d’information « Commerce, environnement et développement » (TD/B/COM.1/86) de la CNUCED le met particulièrement bien en exergue et l’on se rend compte qu’en pratique que ces normes privées sont généralement plus strictes que la règlementation publique, ont une portée plus large et sont appliquées de manière plus rigoureuse16F-G. TRÉBULLE, « Entreprise et développement durable », Environnement, août 2008, chron. 3, n° 47..
En outre, les critères établis dans une même norme peuvent varier en rigueur. Les uns peuvent avoir un caractère plutôt absolu, c’est-à-dire qu’une société ou un fournisseur doit satisfaire certains critères avant de commencer ou de poursuivre une relation commerciale, alors que d’autres soulignent la nécessité de progresser sur une question donnée, dans un délai donné.
La prolifération de normes aussi différentes les unes des autres génère une confusion pour le consommateur ainsi que des contraintes techniques et financières pour les entreprises. Et pourtant, elles répondent à un véritable besoin de la pratique.
2. Vers une harmonisation de la norme privée environnementale
La multiplication des normes au niveau national et international engendre un manque de crédibilité de la norme. On est tenté de dire que « trop de normes tue la norme ». Cette situation est inconfortable et mériterait une harmonisation des normes privées. Pourtant, malgré cette multiplicité, de nouvelles normes privées sont élaborées sans discontinuer. Un phénomène d’harmonisation des normes privées tend cependant à voir le jour. Il résulte du fait que ces normes sont de plus en plus souvent sectorielles, ce qui permet d’harmoniser la norme volontaire par branche d’activité.
Actuellement, chaque entreprise met en place son code de conduite, impose ses propres exigences en matière environnementale, sociale et de droits humains à ses fournisseurs, réalise ses propres contrôles et audits de vérification. Il en résulte un chevauchement et des répétitions qui entrainent des contraintes inutiles et parfois coûteuses, tant pour les entreprises émettrices que pour leurs fournisseurs, et qui pourraient à terme, par la confusion qui en résulte, entraver la démarche de progrès elle-même. Face à cette prolifération de référentiels et de contrôles individuels, et devant la difficulté à établir une norme, différentes initiatives collectives voient le jour. Une dernière tendance a trait à l’harmonisation des normes privées et à l’établissement de critères de référence les concernant. Du point de vue du fournisseur, l’harmonisation des normes privées et l’établissement de critères de référence est particulièrement souhaitable car cela simplifierait grandement leur application et permettrait aux acheteurs et aux fournisseurs de réaliser des économies.
Même si la majorité des organisations professionnelles sont encore peu mobilisées sur ces sujets, plusieurs initiatives sectorielles de mesure, de surveillance et d’amélioration de la performance sociale et environnementale de la chaîne d’approvisionnement sont nées ces dernières années. Ainsi, dans le domaine de la cosmétique bio, secteur en pleine expansion, le foisonnement de logos dans les rayons des grandes surfaces, comme dans ceux des circuits spécialisés, a atteint ses limites.
D’une part, les consommateurs réclament une information simple et concise, et d’autre part, la non-reconnaissance des standards d’un pays à l’autre fait obstacle à la globalisation du marché. L’an dernier, un groupement européen d’organismes de certification (Ecocert Greenlife, ICEA, BDIH) et d’associations de professionnels (Cosmébio et Soil Accociation) ont donc tenté de répondre à la question en créant une certification commune, baptisée Cosmos. Ce nouveau référentiel européen intègre donc les exigences respectives de tous ses membres fondateurs, de sorte que le logo de Cosmos remplacera progressivement ceux d’Ecocert, BDIH, Cosmébio, ICEA et Soil Association. Pour autant, la création de Cosmos ne résout que partiellement la question de l’harmonisation des standards. Y compris en Europe : plusieurs industriels allemands et suisses (dont Weleda, un des leaders du marché) ont en effet créé leur propre label en 2008, NaTrue. Quant au marché américain, il reste pour l’heure hermétique aux standards européens.
Autre exemple, les fournisseurs et opérateurs du secteur des technologies de l’information et de la communication ont lancé le GeSI (Global Information and Communication technologie Sustainability Initiative) et mènent dans ce cadre un travail commun du management du risque social et environnemental dans la relation Fournisseurs17http://www.gesi.org.
Les avantages de telles démarches sectorielles sont pluriels : adoption d’un référentiel adapté, réduction des duplications, échanges sur les problématiques et fournisseurs communs, partage des coûts, concentration des efforts et capacité d’influence plus grande. Elles présentent cependant deux limites majeures : la difficulté à échanger de l’information entre entreprises concurrentes et le fait que le problème de la remédiation demeure entier, la démarche individuelle restant incontournable en matière de corrections et de suivi des plans d’actions de progrès.
Il reste néanmoins que, même si certains secteurs d’activité tentent aujourd’hui d’harmoniser ces normes, le phénomène n’en est qu’à ses balbutiements et il faudra plusieurs dizaines d’années et d’âpres négociations pour atteindre une certaine uniformisation de ces normes.
Après avoir relevé une multiplication des normes environnementales, reste à se poser la question de leur coexistence avec les prescriptions publiques.
B. La coexistence des normes environnementales et des prescriptions publiques
Ce phénomène de normalisation constitue un nouveau mode d’autorégulation, dans la mesure où des entreprises parfois concurrentes s’imposent, sur la base du volontariat, des règles communes afin d’augmenter leur efficacité économique globale et individuelle. Se pose alors la question de la légitimité de ces normes privées ainsi que leur articulation avec les normes étatiques. L’examen montre que l’élaboration des normes privées environnementales est nécessaire car elles répondent à un véritable besoin de la pratique (1) et qu’elles ont une influence de plus en plus remarquée sur la règlementation publique (2).
1. Une existence justifiée par leur nécessité pratique
Il est indéniable que l’élaboration de normes privées par les entreprises leur confère un rôle normatif qui ne relève pas véritablement de leur compétence. La protection de l’environnement est pourtant devenue une problématique majeure mobilisant de plus en plus les décideurs politiques, que ce soit aussi bien au niveau national qu’international, et faisant l’objet d’une règlementation en expansion. Plusieurs raisons permettent néanmoins d’expliquer, et donc de justifier, ce phénomène de prolifération des normes privées.
Elles ont tout d’abord pour objet de combler les lacunes de la règlementation en vigueur et les faiblesses du système international des normes environnementales, notamment en ce qui concerne les sanctions en cas de violations18I. DESBARATS, « Codes de conduite et chartes éthiques des entreprises privées », JCP 2003, n° 9, I, 112.. En effet, les normes publiques techniques sont parfois insuffisantes, ce qui peut expliquer le besoin d’émergence de ces normes privées. Ainsi, au niveau communautaire, de nombreux textes imposent le respect de règlements techniques ou principes édictés par les normes ISO. La règlementation technique, élaborée par des scientifiques, qui impose des seuils en matière de rejet, de pollution etc, raisonne en termes d’acceptabilité, et ne permet pas de protéger totalement l’environnement ainsi que les citoyens. Ont ainsi été édicté des seuils en dessous desquels les substances chimiques, ingérées à faible dose pendant toute une vie, ne sont pas dangereuses pour la santé. Même chose en matière d’ondes électromagnétiques par exemple. Le raisonnement prend alors en compte des doses journalières acceptables. Or de nombreux scientifiques s’accordent aujourd’hui pour admettre que ces seuils sont insuffisants, car beaucoup trop bas, et dénoncent les conflits d’intérêts des scientifiques, à la fois membres des agences de réglementation et conseillers des entreprises.
Il faut également souligner que la certification ne garantit pas non plus d’une activité protectrice de l’environnement. Prenons l’exemple de la récente réouverture de la mine de diamant de Mahjgawan (Inde). Malgré une norme ISO 14001 acquise en 2004 et une communication soucieuse de l’environnement, le Diamond Mining Project n’a pas su faire oublier que la mine se trouvait en plein milieu d’une réserve de tigres, au cœur du parc national de Panna. L’extraction se fait à grands coups de dynamite, ce qui a occasionné un trou de près d’un demi-kilomètre de diamètre sur plus de 100 m de hauteur creusé par l’extraction minière sur ce site. Au fond du trou, un lac d’une dizaine de mètres de profondeur témoigne que l’on a atteint les ressources souterraines d’eau. Sa certification n’a d’ailleurs pas suffit à duper le bureau de contrôle de la pollution (le Pollution Control Board) et en juillet 2005, la mine a été fermée du jour au lendemain pour non-conformité avec les normes environnementales.
Par ailleurs, son illégalité a été prononcée car, depuis 2002, une loi indienne interdit les activités minières dans les aires protégées19Il ne reste dans tout le parc de Panna que deux femelles tigres et huit petits nés cette année contre encore une vingtaine d’adultes dans les années 1990.. 350 familles ont pourtant été expulsées suite à sa réouverture en 2009 validée par la Cour Suprême.
Ces différents exemples montrent très clairement que le respect de normes étatiques ou semi-étatiques ne garantit pas totalement la protection de l’environnement, ce qui semble justifier la création de normes privées plus strictes. Se pose néanmoins la question de la légitimité du pouvoir normatif des entreprises privées.
Le respect d’un code de conduite permet également à une entreprise d’améliorer son image et de protéger sa réputation sur un marché globalisé. Les consommateurs des pays développés, ainsi que les organisations de la société civile de ces pays, se préoccupent des conditions sociales et écologiques qui caractérisent les circuits d’approvisionnement des produits vendus sur leurs marchés. À mesure que le public a connaissance de cas d’atteintes graves aux droits des travailleurs, de violation des droits de l’homme et de dégradation de l’environnement, le consommateur a de moins en moins confiance et les normes privées permettent de montrer que les entreprises font preuve de responsabilité dans leurs activités. La norme privée est donc un moyen de convaincre les actionnaires et les consommateurs, sur un marché donné, du respect « par le groupe, des droits fondamentaux, des travailleurs ou des normes environnementales »20M-A. MOREAU et G. TRUDEAU, « Les normes du travail confrontées à l’évolution de l’économie : de nouveaux enjeux pour l’espace régional », JDI 2000, p. 915..
L’importance et la prévalence des normes privées varient en réalité selon les secteurs. Les préoccupations des consommateurs en matière de santé et de sécurité ainsi que les conditions sociales et environnementales de la chaîne d’approvisionnement des différents produits ont été les moteurs de la prolifération des normes privées. Plus que dans les autres secteurs industriels, les sociétés de marque et de grande distribution des secteurs des textiles et du vêtement, du cuir et du mobilier, qui ont fait l’objet de plusieurs campagnes de publicité négatives dans le passé, mesurent particulièrement combien il importe de définir des normes pour la performance sociale et écologique de leurs fournisseurs. Souvent, l’acheteur intéressé demande alors au fournisseur de se conformer à une ou plusieurs normes privées concernant les questions sociales et environnementales, ce qui lui permet de protéger sa réputation de marque responsable à l’échelle mondiale et d’éviter toute publicité négative éventuelle. Le fournisseur à qui l’on impose un code de bonne conduite bénéficie également de certains avantages, dans la mesure où l’entreprise devient plus compétitive, accroit son efficacité et élargit sa clientèle, maintient sa main-d’œuvre, est mieux préparé à se conformer aux exigences futures d’autres nouveaux acheteurs, réalise des économies (en énergie et déchets notamment), améliore son inventaire et accroit son efficacité. Par exemple, l’avantage manifeste que retire le fournisseur en respectant le code IKEA tient au fait qu’il a accès à un
client qui achète en grandes quantités.
Les normes privées fonctionneraient en définitive comme des barrières commerciales. Si les sociétés d’exportation ne respectent pas ces normes, elles peuvent être exclues de certains circuits d’exportation. En contrepartie, c’est en adoptant une stratégie dynamique que les fabricants pourront plus facilement faire face à ces normes et en tirer le meilleur parti, notamment sous forme d’avantages comparatifs, d’une meilleure efficacité et, à terme, d’une croissance des exportations.
Le respect d’un code de conduite permet en outre à une entreprise de se positionner sur un marché par rapport à ses éventuels concurrents. À mesure que le consommateur prend conscience des modes de production et de consommation, il entend de plus en plus faire une différenciation entre les produits sur le marché à partir de critères de production sociale et écologique. Cette situation a amené les sociétés de marque et de grande distribution à établir des normes plus strictes pour leurs circuits d’approvisionnement, l’objectif étant d’amener les producteurs des pays en développement à faire mieux en matière sociale et écologique tout au long de leurs circuits d’approvisionnement. En fait, plusieurs multinationales utilisent les normes privées comme un instrument de gestion du circuit d’approvisionnement et comme un mécanisme pour avoir un avantage commercial sur leurs rivales.
Par ailleurs, les normes privées sont considérées comme un moyen de promouvoir la responsabilité sociale et un environnement durable. Elles s’apparentent alors à des outils de communication véhiculant l’image d’une entreprise qui prend au sérieux sa responsabilité sociale et environnementale. Par exemple, la nouvelle politique sur le financement des centrales nucléaires de BNP Paribas est présentée comme une partie intégrante de son « engagement pour la responsabilité sociale de l’entreprise ». L’établissement bancaire vient de publier sa nouvelle politique sur le financement des centrales nucléaires, soumettant à un certain nombre de conditions les prêts qu’il octroie à ce type de projets.
La norme privée peut également permettre d’anticiper la règlementation. Par exemple, pour se préparer à la démarche du système européen d’évaluation et d’enregistrement des substances chimiques (REACH), Renault a émis la norme NGO (Noir/Gris/Orange) et demande à l’ensemble de ses partenaires de déclarer la composition des produits qu’ils fournissent :
– « Noir » qualifie les substances chimiques qui sont d’ores et déjà interdites. Elles ne doivent pas entrer dans la composition des produits fournis.
– « Gris » qualifie celles qui pourraient à terme faire l’objet d’une interdiction. Le fournisseur a l’obligation de fournir à Renault une solution alternative aux fins de leur élimination.
– Les substances « Orange » sont des substances à surveiller pour lesquelles Renault souhaiterait qu’elles n’apparaissent plus dans les prochains véhicules.
Enfin, la norme privée a également pour effet de renforcer le sentiment d’attachement à un groupe.
2. L’influence des normes privées sur la règlementation publique
Se pose ensuite la question de leur insertion dans l’ordonnancement juridique et donc de leur réception par le droit positif. À ce titre, il est intéressant de relever que la règlementation publique préconise parfois le recours à la norme privée. Par exemple, l’annexe II de la Convention d’Helsinki du 17 mars 1992 sur la protection de l’utilisation des cours d’eau trans-frontières et des lacs internationaux préconise le recours aux meilleures pratiques environnementales : information et éducation du public, élaboration et application de codes de bonnes pratiques environnementales…
Dans cette hypothèse, la norme privé n’a-telle finalement pas pour rôle d’assurer l’efficience du droit international de l’environnement.
Par ailleurs, dans certaines hypothèses, la règlementation publique intègre la norme privée. En effet, des standards privés volontaires peuvent parfois intégrer les législations publiques et devenir dès lors obligatoires. La norme privée a alors une influence sur le contenu de la règlementation publique.
À titre d’exemple, en 2007, l’Union européenne a décidé d’élaborer une législation portant spécifiquement sur la production biologique, l’étiquetage et l’importation de produits alimentaires. Cette législation, établie dans trois différentes directives, se fonde sur des critères déjà établis par les normes volontaires IFOAM (Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique). Le cas des normes biologiques montre que ce qui est volontaire aujourd’hui peut à l’avenir être exigé par la loi.
Autre exemple, l’article L. 5138-3 du Code de la santé publique, tel qu’issu de la loi n° 2007-248 du 26 février 2007, intègre les dispositions de la partie II du guide européen des bonnes pratiques de fabrication intitulée « Exigences fondamentales pour les substances actives utilisées comme matières premières dans les médicaments » pour la fabrication des médicaments. Ces dispositions établissent les principes et lignes directrices des bonnes pratiques de fabrication applicables aux substances actives utilisées pour la fabrication des médicaments à usage humain et vétérinaire.
Enfin, le respect des Bonnes Pratiques de Fabrication (BPF) est un des piliers du nouveau règlement européen sur les produits cosmétiques21Règlement CE 1223/2009 du Parlement et du Conseil relatifs aux produits cosmétiques.. Ce texte impose des mesures très strictes pour garantir la sécurité des produits cosmétiques aux consommateurs de l’ensemble du marché commun. Fabricants d’ingrédients, producteurs de produits finis, distributeurs, importateurs/exportateurs, tous les acteurs de la branche cosmétique sont concernés par ces obligations et la définition d’une responsabilité accrue de chacun. Tous les produits circulant sur le marché européen devront être élaborés en respectant les Bonnes Pratiques de Fabrication (BPF), désormais intégrées à la norme ISO 22716.
L’insertion des normes privées dans la règlementation publique constitue a priori une démarche opportune, dans la mesure où elle permet d’associer les industriels à l’adoption de la norme juridique. Néanmoins, ce processus peut présenter un danger, tout du moins susciter certaines interrogations. En effet, la norme privée est le plus souvent établie par les professionnels, qui vont donc imposer leurs conditions.
Le risque est que l’influence des professionnels soit trop grande et débouche sur une norme publique obligatoire peu contraignante. L’intégration de la norme privée par la loi pose donc la question de l’indépendance du législateur et de l’influence des groupes d’intérêts dans le processus législatif. L’influence normative des groupes d’intérêt est une réalité et présente des aspects positifs. En effet, l’influence normative exercée par ces groupes participe de cet accroissement du rôle accordé à la société civile et il en résulte que l’intérêt général ne se présente plus comme le monopole de l’État. L’inconvénient majeur réside cependant dans l’opacité de leur influence22Mustapha MEKKI, « L’influence normative des groupes d’intérêt : force vive ou force subversive ?, Identification (1ere partie) », JCP G, n° 43, 19 octobre 2009, 370. La norme privée peut devenir une norme publique obligatoire sous l’influence du lobby des professionnels qui veulent maintenir l’avantage concurrentiel résultant pour eux du respect de la norme.
Enfin, la norme privée évince parfois la règlementation publique et s’y substitue totalement. En pratique, ce sont essentiellement les multinationales qui vont imposer certaines règles à leurs partenaires économiques des pays en voie de développement (fournisseurs, sous-traitants) dont la législation environnementale est insuffisamment avancée. Les normes privées qu’elles édictent se substituent alors à la règlementation publique en imposant des conditions plus rigoureuses liées notamment à la protection de l’environnement et de la santé. Dans cette hypothèse, l’élaboration de ces normes privées propres aux multinationales permet de combler les lacunes de la règlementation locale et du système international des normes publiques environnementales. La norme privée permet alors d’uniformiser les règles applicables à l’ensemble des contractants au lieu et place de la règlementation publique. Dans cette hypothèse, la norme privée internationale exerce une véritable influence sur la règlementation publique des pays en développement et constitue alors un facteur d’évolution de la norme publique.
Les normes privées en mettant en avant une « pleine diligence » des entreprises dans le respect des exigences de qualité, éthiques, environnementales, sociales, ou encore de sécurité des produits sont aussi l’expression du respect volontaire (Compliance) par les entreprises de l’exigence du standard de niveau élevé de protection de la santé et de l’environnement posée par le droit européen23 M. SCANNEL, « Les normes privées dans le domaine sanitaire et phytosanitaire », Conférence OIE, 2008, 81-85 ; Sur la valeur juridique de la notion de niveau élevé de protection de la santé et de l’environnement voir : D. MISONNE, Droit européen de l’environnement et de la santé, L’ambition d’un niveau élevé de protection, LGDJ Anthémis, 2011, p. 14.. Cette normalisation privée de référence transcende ainsi la satisfaction immédiate d’intérêts individuels pour tendre à la prise en compte de considérations d’intérêt général résultant notamment du courant relatif à la Consommation Responsable24 Voir à cet égard par exemple, la mission de l’Ecolabel Marine Stewardship Council (MSC) : « utiliser son écolabel et son programme de certification des pêcheries pour contribuer à la santé des océans en reconnaissant et récompensant les bonnes pratiques de pêche, mais aussi en influençant les choix des consommateurs lorsqu’ils achètent des produits de la mer » : B. HÉRAUD, « Pêche durable : l’écolabel MSC dresse un premier bilan », http://www.novethic.fr, mis en ligne le 6 janvier 2012.. Face à l’extension de leur domaine et de leur portée tant à l’égard des décideurs publics que des différents acteurs du marché, la question de leur valeur contraignante mérite donc d’être posée.
II. La valeur contraignante des normes privées environnementales
Malgré la prise en compte d’intérêts supra individuels, l’engagement volontaire des entreprises de respecter certains référentiels éthiques ou techniques est souvent critiqué quant à sa portée et à sa sincérité. Se pose ainsi la question de savoir si les normes privées volontaires établies par les entreprises multinationales ont une véritable valeur contraignante (A). L’écueil réside en effet dans leur dévoiement à des fins protectionnistes ou purement promotionnelles.25S. BRUNENGO-BASSO, « Responsabilité sociale des entreprises et publicité : quelles limites au “green washing” ? », Journal des Sociétés, mai 2011, p. 27. La nature et l’effectivité des sanctions applicables à leur méconnaissance sont à cet égard déterminantes (B).
A. Les fondements de la valeur contraignante des normes privées volontaires internationales et environnementales: quelle réception par le droit international ?
Le droit du commerce international reconnaît la valeur contraignante des normes privées internationales au regard de leur conciliation avec le principe de libre échange (1). Le droit international privé propose quant à lui plusieurs instruments de réception de la norme privée internationale (2).
1. La réception par le droit du commerce international ou la conciliation entre le commerce et l’environnement
Pendant longtemps une hiérarchisation a été opérée entre le commerce mondial et la protection de l’environnement, faisant de la règle du libre-échange une priorité. Dans l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1947, le terme « environnement » était totalement absent26O. BLIN, L’organisation mondiale du commerce, Ellipses, 2e édition, p. 78.. Dans les dernières années d’existence du GATT, les États ont appréhendé la prise en compte de l’environnement, de manière négative, en tant qu’exception à la liberté des échanges dans les conditions de l’article XX de l’accord sur les tarifs douaniers27Op. cit., n° 21, ibid..
Avec les accords de Marrackech modifiant les accords GATT, l’OMC est instituée par un accord dont le préambule ancre la croissance économique dans le respect du développement durable. Un comité du Commerce et de l’environnement a été créé au sein de l’OMC chargé notamment des rapports entre les dispositions du système commercial multilatéral et des prescriptions établies à des fins de protection de l’environnement, relatives aux produits, y compris les normes et règlements techniques et les prescriptions en matière d’emballage, d’étiquetage et de recyclage. La véritable ouverture de l’OMC à la problématique environnementale a eu lieu dans le cadre de la conférence de DOHA. Ainsi, la protection de l’environnement a été inscrite dans la déclaration finale, l’engagement de lancer des négociations sur les relations entre les règles de l’OMC et les obligations énoncées dans les accords environnementaux a été pris, de même que la détermination d’un programme de travail précis relatif à la question environnementale. Dans ce contexte plusieurs thèmes sont en discussion comme celui relatif à l’articulation des règles de l’OMC et de celles du protocole de Carthagène sur le commerce international des organismes génétiquement modifiés28J. BOURRINET, S. MALJEAN-DUBOIS, Le commerce international des organismes génétiquement modifiés, La documentation française, 2002 ; Voir aussi une récente brochure de l’OMC , Mettre le commerce au service du développement durable, http://www.wto.org/frenchres_f/publications_f/rio20_f.htm.
La volonté d’encadrer ces pratiques a été inscrite à l’agenda du GATT dans les années 70. Dans un premier temps un accord relatif aux obstacles techniques au commerce dénommé « Code de la normalisation » a été adopté. L’accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC) remplace ce texte et renforce les règles en matière d’élaboration, d’adoption et de d’application des règlements techniques, normes et procédures d’évaluation de la conformité (a)29J. BOURRINET, S. MALJEAN-DUBOIS, Le commerce international des organismes génétiquement modifiés, La documentation française, 2002 ; Voir aussi une récente brochure de l’OMC , Mettre le com- merce au service du développement durable, http://www.wto.org/frenchres_f/publications_f/rio20_f.htm. Un dispositif comparable a été adopté pour les mesures sanitaires et phytosanitaires (b)30http://www.wto.org/frenc/docs_f/legal_/_f15-sps.doc.
a. L’accord sur les obstacles techniques au commerce
Cet accord dérogatoire porte sur les obstacles techniques au commerce et soumet expressément les normes techniques au principe de non- discrimination : « l’élaboration, l’adoption ou l’application des règlements techniques ne doit pas avoir pour objet ou pour effet de créer des obstacles non nécessaires au commerce international (…). Les membres feront en sorte, pour ce qui concerne les règlements techniques qu’il soit accordé aux produits importés en provenance du territoire de tout membre un traitement non moins favorable que celui qui est accordé aux produits similaires d’origine nationale et aux produits originaires de tout autre pays ». L’accord met en place un code de bonnes pratiques pour l’élaboration, l’adoption et l’application des normes par les organismes à activité normative publiques ou privés31M. P. LAFRANCHI, E. TRUIHLÉ-MARENGO, « Droit de l’organisation mondiale du commerce (OMC) et protection de l’environnement », Juris Classeur Environnement et Développement durable, Fascicule 2300, Juin 2007..
La condition d’applicabilité du règlement OTC repose sur la notion de règle- ment technique. Est défini comme règlement technique, « un document qui énonce les caractéristiques d’un produit ou les procédés et méthodes de production s’y rapportant y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent et dont le respect est obligatoire. Il peut aussi traiter en partie ou en totalité de terminologie, de symboles, de prescriptions en matière d’emballage, de marquage ou d’étiquetage, pour un produit, un procédé ou une méthode de production donnés »32Accord OTC, annexe 1, op. cit. ,n° 24..
A priori, seules les normes obligatoires seraient soumises au règlement. Ainsi les écolabels volontaires relatifs notamment aux procédés et méthodes de production des produits ne seraient pas des obstacles techniques au commerce dans la mesure où ils n’empêchent pas l’accès au marché des produits non –labellisés. Toutefois dans la mesure où l’impact des éco labels sur les consommateurs est avéré, la question de la légalité de ce protectionnisme vert demeure en suspens et doit être clarifiée selon la déclaration de Doha du 14 novembre 200133 http://www.wto.org/french/thewto_f/min01_f/min01_f/minded_f.htm. Certaines règles volontaires en matière d’étiquetage et de marquage ont d’ailleurs été notifiées à l’OMC en tant que règlements techniques34M. L LAMBERT-HABIB, « Les normes de produits entre le droit de l’OMC, le droit communautaire et le droit français », in S. MALJEAN-DUBOIS, Droit de l’organisation mondiale du commerce et protection de l’environnement, Bruylant, Bruxelles.
Les organismes de normalisation sont soumis à une obligation de transparence : ils doivent fournir des avis sur les normes proposées, solliciter les commentaires des parties intéressées, que la norme soit volontaire ou obligatoire. Lorsque la norme est volontaire, la notification à l’OMC est faite conformément au Code de bonnes pratiques. En 2006, le secteur de l’environnement stricto sensu représentait 15% des notifications. Lorsque la norme est obligatoire, la proposition de norme doit être notifiée au secrétariat de l’OMC pour distribution aux autres membres.
Les règlements techniques conformes aux normes internationales pertinentes ou les procédures d’évaluation de la conformité fondées sur les guides ou recommandations internationaux sont présumés ne pas constituer un obstacle non nécessaire au commerce international. L’organe d’appel de l’OMC a ainsi pu considérer que les normes CODEX dans le domaine de la sécurité alimentaire sont des normes internationales pertinentes dans l’affaire dite des Sardines mettant en cause la Communauté Européenne35Communautés Europénnes, Désignation commerciale de sardines, Rapport du Groupe spécial, 22 mars 1988, n° L/6268.. Il y a là une incitation à l’uniformisation des normes techniques et partant à l’harmonisation des politiques environnementales.
b. L’accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires
L’accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires est considéré comme une application de l’article XX du GATT, qui se réfère aux exceptions « nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ». On entend par mesure sanitaire et phytosanitaire « toute mesure appliquée (…) pour protéger sur le territoire du membre, la santé et la vie des animaux ou préserver les végétaux des risques découlant de l’entrée (…) de parasites, maladies, organismes porteurs de maladies ou organismes pathogènes présents dans les produits alimentaires, les boissons ou les aliments pour animaux (…) des plantes ou leurs produits, ou (…) pour empêcher ou limiter d’autres dommages découlant, de l’entrée, de l’établissement ou de la dissémination de parasites »36Accord SPS, annexe A.. Le texte concerne aussi bien le produit final que les procédés et méthodes de production. Pour éviter des restrictions déguisées, l’accord incite à la normalisation des mesures sanitaires ou phytosanitaires et prévoit dans son article 3.2. que les mesures sanitaires ou phytosanitaires qui sont conformes aux normes, directives ou recommandations internationales sont réputées être nécessaires à la protection de la vie et de la santé des personnes et des animaux, ou à la préservation des végétaux et présumées être compatibles avec les dispositions pertinentes du présent accord.
En mars 2011, le Comité SPS de l’OMC a déterminé son action dans le domaine des normes privées notamment en engageant un travail d’élaboration d’une définition pratique des normes privées et en prévoyant une information régulière avec ses trois sœurs dans le domaine : le Codex Alimentarius (attachée à l’Organisation Mondiale de la Santé et à L’organisation de l’alimentation et de l’agriculture) pour ce qui est de la sécurité sanitaire des produits alimentaires, l’Organisation mondiale de la santé animale et la Convention internationale pour la protection des végétaux37Site de l’OMC : http://www.wto.org.
Le droit du commerce international exige donc la transparence sur les normes privées volontaires et encourage à l’uniformisation des normes publiques volontaires et des normes privées.
2. La réception par le droit international privé : environnement et contrat
À l’échelon national, la réception par le droit positif de la norme privée va, selon la nature des obligations souscrites par les parties reposer, sur la théorie générale des obligations et le droit des contrats. Dès lors que la norme privée est visée par le contrat, comme faisant partie de ses éléments, par exemple par la technique de l’annexe et des clauses d’indivisibilité, sa valeur contraignante résultera de l’article 1134 du Code civil. Le juge français a pu reconnaître la valeur contraignante d’engagements moraux dès lors que leur précision et leur fermeté faisaient naître chez leur destinataire la croyance légitime en leur exécution. On peut citer à cet égard l’arrêt de la Cour d’Appel d’ Orléans qui reconnaît le non – respect de « certaines règles d’éthique » comme motif permettant de mettre en œuvre la clause résolutoire d’un contrat de concession conclu entre Xerox et l’un de ses concessionnaires38CA Orléans 9 octobre 2008, n° 08/01898, Juris Data n° 2007- 037501. Au visa de l’article 1134 du Code civil, la Chambre commerciale a reconnu la valeur contraignante d’engagements explicitement prévus comme moraux39Cass. com., 23 janvier 2007, n° 05 – 13. 189. Il s’agissait en l’espèce d’un accord transactionnel portant sur l’engagement de la société Camaieu de « ne pas copier les produits commercialisés par la société Créations Nelson, sous la marque Comptoir des cotonniers ou tout autre marque qu’elle commercialise, en précisant que l’engagement visé au paragraphe précédent constitue un engagement exclusivement moral dont tout éventuel manquement ne saurait être considéré comme une inexécution des termes du présent protocole. »La chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé, dans son arrêt du 23 janvier 2007, que les sociétés signataires de l’accord transactionnel en s’engageant ne fût-ce que moralement à ne pas copier les produits de la société concurrente, avaient exprimé « la volonté non équivoque et délibérée de s’obliger » envers cette dernière.
La norme privée technique, ou aussi appelée norme produit sera quant à elle utilisée par le juge comme élément d’appréciation du bon accomplissement par le professionnel de ses obligations notamment en ce qui concerne la conformité du produit. Le non-respect de la norme ISO sans valoir présomption de non-conformité, entachera souvent en pratique la position du professionnel amené à justifier de la sécurité et de la conformité de son produit ou de sa prestation.
Le droit de la consommation va aussi appréhender les engagements des entreprises en matière de développement durable et sanctionner les promesses fallacieuses des entreprises sur ce terrain résultant de pratiques dites de « Green Washing ». L’article L. 121. 1 du Code de la consommation prohibe les pratiques commerciales trompeuses qui reposent sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur40Article L. 213-1 du Code de la consommation : Sera puni d’un emprisonnement de deux ans au plus et d’une amende de 37 500 euros au plus ou de l’une de ces deux peines seulement quiconque, qu’il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers : 1° Soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ; 2° Soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d’une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l’objet du contrat ; 3° Soit sur l’aptitude à l’emploi, les risques inhérents à l’utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d’emploi ou les précautions à prendre. Ceci pourrait, sur un plan civil, être analysé comme une présomption de dol. L’acheteur pourrait alors demander la nullité du contrat pour vice du consentement par le dol..Enfin, la norme privée pourra être dénuée de toute valeur juridique dès lors qu’elle entrera en contradiction avec une loi d’ordre public.
La valeur contraignante de la norme privée volontaire environnementale est aussi puisée dans le droit des contrats internationaux. À titre d’exemple, le Code des bonnes pratiques dans le secteur de l’habillement et notamment du Sportswear prévoit que le contrat puisse être rompu en cas de non- respect du code par le contractant, le sous – traitant, le fournisseur ou le licencié : Code of Labour Practice for the Apparel Industry : « Where there is repeated fealure to observe or to ensure observance of the code by a particular contractor, subcontractor, supplier or licen- see, the agreement should be terminated »41Clean Clothes Campaign, Code of Labour Patrices for the Apparel Industry including Sportswear, February 1198, Reproduit in R.MARES, Business and human rights : a compilation of documents, Boston, Martinus Nijhoff, 2004, cité in Y. QUEINNEC, « Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, un statut juridique en mutation », 2.2.2.2., sous la direction de W. Bourdon, Juin 2007, http://www.sherpa.org. Dernièrement, le groupe indonésien Asia Pulp and Paper, l’un des plus gros producteurs de pulpe et de papier a fait l’objet de déférencement auprès des grands distributeurs comme Carrefour et Leclerc du fait des accusations de déforestation portées contre lui par des ONG42V. SMÉE, « Déforestation en Indonésie : la riposte d’Asia Pulp &Paper&, http://www. novethic.fr.
En outre, certains auteurs considèrent comme acquises l’intégration des chartes éthiques dans la Lex Mercatoria43Y. QUEINNEC, « Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, un statut juridique en mutation », sous la direction de W. Bourdon, Juin 2007, http://www.sherpa.org.. Le développement foisonnant de ces normes volontaires militerait pour leur intégration dans la Lex Mercatoria.
Certaines ONG ou associations militent d’ores et déjà pour l’intégration des principes directeurs de l’OCDE dans la coutume internationale44L’article 38 du statut de la Cour Internationale de Justice recense en tant que source du droit international « a. Les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les États en litige. b. La coutume internationale comme preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit. c. Les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. d. Sous réserve de la disposition de l’article 59, les décisions judiciaires et la doctrine des publicités les plus qualifiées des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit. » Il faut ajouter à la liste la SOFT LAW : actes individuels ou multilatéraux de régulation.. Elles soulignent le lien entre ces principes et des notions de droit international préexistantes et hétérogènes et sous-jacentes dans les principes directeurs : bonne foi, abus de droit, d’équité, de principe de précaution…45Y. QUEINNEC, « Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, un statut juridique en mutation », sous la direction de W. Bourdon, Juin 2007, http://www.sherpa.org.. Elles mettent en avant l’existence d’une pratique généralisée en matière de RSE46Ibid, n° 2.2.1.2 et s .fr, et revendiquent la reconnaissance de la qualité de sujet de droit international des entreprises transnationales47Y. QUEINNEC, W. BOURDON, Réguler les entreprises transnationales, 46 propositions, Forum pour une nouvelle gouvernance mondiale, décembre 2010 p. 57, http://www.sherpa.org. À cet égard l’émergence d’une approche africaine de la RSE à côté d’une approche convergente européenne et anglosaxonne, pose la question du caractère universel de la notion et de l’interculturalité des pratiques responsables48A. WONG, « Il existe une RSE africaine qui ne dit pas son nom », http://www.novethic.fr, mis en ligne le 5 janvier 2012..
En tant qu’élément du contrat la norme privée volontaire semble donc recevoir une valeur contraignante certaine, toutefois elle n’est pas encore pleinement reconnue en tant qu’usage international ou élément de la coutume internationale.
B. L’effectivité de la valeur contraignante des normes privées volontaires internationales et environnementales
Les normes privés volontaires sont certainement soumises à une contrainte molle résultant de l’évaluation de leur respect par des tiers tels que les ONG et les agences de notation (1), et plus hypothétiquement à ce jour à une contrainte dure résultant du pouvoir sanctionnateur des institutions de hard-law (2).
1. La contrainte molle
Les agences de notation et les ONG vont surveiller l’activité des entreprises nationales et multinationales en matière de normes privées environnementales et sanctionner par leur notation ou leur action médiatique les mauvais comportements. Toutefois, en ce qui concerne les agences de notation, l’impact de leur mission se trouve limité du fait de l’absence de référentiel commun sur les critères de performance extra financières (ISO 26 000, EMAS, Global reporting initiative49Y. QUEINNEC, W. BOURDON, Réguler les entreprises transnationales, 46 propositions, Forum pour une nouvelle gouvernance mondiale, décembre 2010 p. 35, http://www.sherpa.org).
Le contrat met en place des systèmes de monitoring, de contrôle externes (audits externes) ou auto contrôles (audits internes), des plans de progrès et de suivi pour évaluer le respect des normes volontaires. Toutefois, ces contrôles aboutissent souvent à des actions correctives plutôt qu’à la résiliation du contrat. Ainsi dans le domaine des cosmétiques BIO, on observera la suspension de l’agrément du label ou du certificat plutôt que retrait50Comment intégrer le levier de la Responsabilité sociale et environnementale dans la relation fournisseurs, ORSE, Avril 2007, p. 28, http://www.orse.fr. Le contrat aménage la sanction et paradoxalement peut atténuer sa valeur contraignante.
Le contrat vise aussi le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges aux fins de mieux gérer le risque « réputationnel » lié au non-respect de la norme volontaire. Certains partenariats avec des ONG préconisent de définir des procédures d’alerte et de résolution des conflits avant que ceux-ci ne fassent l’objet d’une communication extérieure51Partenariats stratégiques ONG- Entreprises, Guide Pratique ORSE, http://www.orse.fr. En ce sens certains dénoncent certaines pratiques de contract shopping vers l’ONG partenaire la moins exigeante52Y. QUEINNEC, W. BOURDON, Réguler les entreprises transnationales, 46 propositions, Forum pour une nouvelle gouvernance mondiale, décembre 2010 p. 57, http://www.sherpa.org..
La question du respect effectif de la norme volontaire prend alors toute sa dimension. La nécessité d’un double contrôle public et privé apparaît (public & private enforcement). La norme privée volontaire prévoit souvent des contrôles insuffisants alors que les contrôles sont plus contraignants en matière de normes publiques volontaires.Ainsi, dans le domaine de la sécurité alimentaire, l’évaluation de la conformité peut relever des organismes publics et privés de certification et in fine de la compétence du juge administratif et ou du juge correctionnel53S. HENSON, J.HUMPRHEY, « Les impacts des normes privées de sécurité sanitaire des aliments sur la chaîne alimentaire et sur les processus publics de normalisation », Document préparatoire pour la FAO/OMS, 9 mai 2009. (voir par exemple en France, la compétence conjointe d’Ecocert et de la DGCCRF).
2. La contrainte dure : quelles sanctions ? quels juges ? detterent effect (effet dissuasif)
La norme privée prévoit souvent en son sein des mécanismes quasi – juridictionnels de règlements des litiges. Ainsi, l’IFC (International Finance Corporation) institue un système de médiation préalable (Conseiller en conformité et Médiateur) pour les griefs relatifs à des activités commerciales financées par l’IFC (Société financière internationale, institution de la Banque mondiale chargée des relations avec les partenaires privés)54Politique sur la durabilité sociale et environnementale, IFC, www.ifc.org/french. Le recours à l’arbitrage international est fréquent. Sont ainsi compétents la Chambre de commerce international et le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Ils font face à des problématiques environnementales en statuant sur traités bilatéraux d’investissement, partenariats publics privés, et peuvent être amené à reconnaitre, certains droits, comme le droit à l’eau, aux investisseurs mais pas aux populations locales55Y. QUEINNEC, W. BOURDON, Réguler les entreprises transnationales, 46 propositions, Forum pour une nouvelle gouvernance mondiale, décembre 2010, p. 58, http://www.sherpa.org!
Dans le domaine des normes publiques volontaires, l’insuffisance du système des points de contact nationaux mise en place pour les Principes directeurs de l’OCDE
est pointée du doigt par les ONG56Op. cit. n° 50, 1.3.1... Elles n’hésitent plus à saisir le juge national comme en témoigne l’action engagée notamment par Amnesty International et par des paysans contre Shell pour ses activités au NIGERIA, devant le juge civil de LAHAYE 57V. SMÉE, « Plainte contre Shell au sujet de ses activités au Nigeria », http://www.novethic.fr. La question de l’extraterritorialité des litiges se pose ici de manière épineuse. (rappelons que le juge pénal français n’est pas compétent pour les délits commis à l’étranger par un français, sur le fondement des articles 113-5 et 113 – 6 du Code pénal), le juge américain reconnaissant sa compétence sur le fondement de l’Allien Tort Act.
Le rôle des parties prenantes, et des ONG est aussi tournée vers l’émergence de nouveaux concepts en matière de responsabilité des entreprises multinationales. Leur action touche notamment les industries extractives dont l’activité a un impact politique, lié aux enjeux de la sécurité énergétique. Le développement des normes privées sert alors le développement d’une éthique de la responsabilité58C. RENOUARD, « La responsabilité sociale des multinationales spécialisées dans l’extraction des minerais et hydrocarbures – Nouveaux enjeux éthiques et juridiques », Journal du droit international, (Clunet) n° 2, Avril 2008, var.4 : les entreprises pétrolières sont amenées à conclure des contrats avec les collectivités locales des territoires sur lesquels elles exploitent leurs gisements (Memorandum of understanding) indiquant leurs engagements en matière de développement durable. Les parties prenantes peuvent être parties au contrat. Ces mémorandums prévoient la mise en place de Sous-Comités environnementaux chargés de procéder à l’audit régulier des projets à suivre la mise en oeuvre des recommandations. Les litiges sont soumis à l’arbitrage.. Mais à ce jour, la dégradation de l’environnement liée à l’activité des industries pétrolières ne
donne pas lieu ni à l’évaluation ni à la réparation systématique des dommages causés59Ibid.. Des pistes sont proposées pour faire évaluer les contours de la responsabilité civile des entreprises vers une consécration de la responsabilité des investisseurs pour atteinte à l’environnement, (Stakeholder Theory). Le Crédit Suisse a ainsi été confronté à des actions pour avoir apporté son concours au développement des activités de la société Samling Lobal Ltd spécialisée dans l’exploitation forestière et critiquée pour le non – respect du droit de l’environnement et des populations indigènes. Certains actionnaires ont dénoncé ces pratiques comme contraires à la Charte de l’établissement60F.-G. TRÉBULLE, T. BONNEAU, « Banquiers et crédits polluants », Mélanges AEDBF III, 2005, p. 47.. Récemment les principes directeurs de l’OCDE ont intégré les activités des sous – traitants, de la chaîne des fournisseurs dans le champ de responsabilité des entreprises61V. SMÉE, « l’OCDE consacre la “sphère d’influence des entreprises” et leur responsabilité vis-à-vis des droits humains », http://www.novethic.fr. D’aucuns militent pour une responsabilité mère fille de plein droit, un devoir de diligence des holdings sur les activités des fournisseurs62Y. QUEINNEC, « Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, un statut juridique en mutation », sous la direction de W. Bourdon, Juin 2007, http://www.sherpa.org. Dans quelle mesure cette notion rejaillira sur les assureurs ou les investisseurs ? La question se pose aussi de la réparation du dommage environnemental et fait écho à l’introduction généralisée dans les droits nationaux des dommages et intérêts punitifs.
D’aucuns proposent l’indemnisation via un fonds international de type FIPOL, et une réparation systématique du préjudice écologique correspondant à 1 à 5% des indemnités accordés, pour la nature, la Pachamama (Mère Terre selon la culture des indiens des Andes)63Y. QUEINNEC, W. BOURDON, Réguler les entreprises transnationales, 46 propositions, Forum pour une nouvelle gouvernance mondiale, décembre 2010, p.46, http://www.sherpa.org.Enfin, la question d’un Juge international compétent en matière d’environnement se pose. D’aucuns soutiennent à titre alternatif le renforcement de la coopération judiciaire.64Y. QUEINNEC, W. BOURDON, Réguler les entreprises transnationales, 46 propositions, Forum pour une nouvelle gouvernance mondiale, décembre 2010, p.70, http://www.sherpa.orgEn tout état de cause l’importance du rôle des parties prenantes, met en exergue la prise en compte de l’intérêt des tiers dans la norme privée qui peut marquer une première étape vers la reconnaissance de l’intégration de l’intérêt général dans le champ de responsabilité des entreprises… D’outils de la standardisation des produits et services, les normes privées internationales sont en passe de devenir les instruments du respect (Compliance) de l’éthique65Communication Commission européenne, Nouvelle stratégie européenne sur la responsabilité sociale des entreprises, octobre 2011, http://ec.europa.eu/entreprise/policies/sustainable-business/corporatesocial- responsability. La norme privée volontaire est en définitive un instrument de régulation soumis à un risque d’instrumentalisation à des fins concurrentielles, promotionnelles et protectionnistes. Le besoin de loi de police par rapport à des problématiques essentielles en matière d’environnement et de santé apparaît alors impérieux pour encadrer leur utilisation66Op. cit. n° 57, p. 61.Ce besoin est particulièrement prégnant dans le domaine de la biodiversité où le risque est que la norme privée soit utilisée pour détourner le savoir-faire des populations autochtones. Les problématiques de bio piraterie en fournissent une illustration contemporaine et révèlent l’immanence du droit de l’environnement et la nécessité du renforcement de son intégration par le droit de la concurrence et le droit de la propriété intellectuelle67V. SMÉE, « Biodiversité : le sommet de Nagoya s’achève sur un bilan positif », http://www.novethic.fr..