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L’identité des concepts juridiques : quelles distinctions entre concept, notion, catégorie, qualification, principe ? *

Cahiers N°26 - RRJ - 2012-5, POINTS DE VUE SUR L'IDENTITE' DES CONCEPTS

William DROSS

Professeur à l’Université de Lyon (Jean Moulin), Directeur du Centre Louis Josserand

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Ce texte ne prétend pas être une contribution scientifique à proprement parler mais un propos général destiné, dans un séminaire de recherche, à amorcer une réflexion, il est volontairement dépourvu d’appareil critique. Le lecteur retrouvera au demeurant par lui-même très facilement les références des quelques ouvrages auxquels il est fait ici allusion.

Introduction

Il faut remarquer d’emblée la pertinence de l’intitulé. La question est très bien posée par les organisateurs de ce séminaire, car le vocable « identité » renvoie à une dualité de sens. L’identité exprime tantôt la similarité parfaite entre les éléments d’une comparaison, tantôt au contraire leur singularité propre. Dans ce second sens, l’identité est perçue comme ce qui distingue : marque d’une altérité radicale, l’identité interdit toute confusion.
La question de l’identité des concepts juridiques pourra donc renvoyer au sens premier de l’identité – une équivalence parfaite entre les termes de concept, notion, catégorie, qualification ou principe, pendant linguistique et théorique de la fongibilité –, ou alors au second, chacun de ces termes appelant une réalité distincte interdisant qu’on puisse les employer les uns en place des autres sans trahir la vérité propre qu’ils ont vocation à exprimer.
Avant que de s’engager plus avant dans l’analyse, encore faut-il prendre garde de ne pas négliger le poids des exigences formelles du beau style. Dans cette liste de vocables, on emploiera souvent un mot en place d’un autre non pas sous la contrainte intellectuelle d’un besoin d’exactitude scientifique mais avec à l’esprit une préoccupation purement stylistique. C’est pour éviter une répétition que l’on utilisera le mot concept indifféremment du terme notion ou principe par exemple. Ces emplois stylistiques parasitent considérablement la réflexion, du moins si l’on prétend apercevoir sous ces mots des réalités distinctes, ce qu’il reste à savoir.
À cette première remarque, on doit en ajouter une autre. Certains des termes envisagés ici – on songe surtout à celui de principe – sont de surcroit investis d’une fonction rhétorique. En exhaussant dans le discours une simple règle au rang de principe, on la pare d’un vêtement de légitimité dans le but de rendre difficile sinon impossible sa remise en cause. Si bien que, parmi le panel des termes proposés ici à la comparaison, il ne faut pas se dissimuler que certains d’entre eux sont employés
par les auteurs (voire la jurisprudence) dans un but de solennisation du discours, sans égard pour la réalité technique qu’ils cherchent à désigner.
Ces observations liminaires faites, le plus simple est d’envisager à tour de rôle ces termes afin de tenter d’isoler ce qui pourrait faire leur identité propre avant de tenter pour conclure un court exercice de taxinomie de quelques concepts/catégorie/principes/notions/qualifications qu’offre le droit positif.

I. Concepts

La clé du sens des mots se trouve souvent dans leur étymologie bien davantage que dans ce que l’on dit qu’ils disent. Même s’il faut évidemment avoir à l’esprit que les mots sont vivants et qu’ils peuvent ainsi être amenés à désigner aujourd’hui autre chose que ce pour quoi ils furent forgés hier, lorsque tout est tellement flou qu’il est devenu impossible de leur assigner un sens sûr, l’étymologie offre le meilleur guide auquel se fier.
De ce point de vue, le terme « concept » revêt une double dimension : le concept est d’une part ce qui enferme, d’autre part ce qui donne forme, l’enfermement étant nécessaire à la génération de la forme nouvelle. C’est dire que le concept est d’abord le résultat d’une conception. Au sens corporel, la conception est la génération, dans la matrice maternelle, d’une nouvelle forme : l’enfant est conçu en ce sens qu’il est enfermé dans l’utérus et qu’il y prend sa forme. Si l’on quitte la maternité – qui est moins une simple métaphore que le lieu même où se découvre le sens du « concept » –, le concept est le résultat d’une opération de l’esprit qui consiste à nourrir pour donner forme.
Reste à savoir quel est l’objet de cette opération conceptuelle, autrement dit le substrat auquel l’esprit du juriste est appelé à donner une forme. Il y a en effet, au fondement de toute conception, un donné, autrement dit un matériau à disposition.
Le juriste s’attache à une réalité à laquelle il assigne des bornes avant de l’investir d’un sens. Peut-être est-il ici éclairant de se référer aux analyses ayant cours en droit d’auteur, lorsque l’on s’interroge sur le mécanisme de la création artistique. C’est à partir d’un fonds commun, constitué par l’entière réalité de ce que la nature donne et que l’homme a construit et reconstruit, que l’artiste façonne à son tour l’œuvre qui lui est propre et exprime sa personnalité. Le concept est forgé d’une même manière par le juriste à partir du fonds commun du droit. Il est le résultat d’un acte recréateur de la réalité. La question de savoir si conceptualiser est une façon de rendre compte de la réalité ou une manière de la reconstruire, autrement dit celle du caractère descriptif ou constructif du concept, est à cette aune vaine : le concept est par nature constructif. Il décrit moins la réalité du fonds commun qu’il ne la réordonne et par cela la fait autre.
Si l’on veut donner un exemple de concept juridique, un des plus beaux est sans doute celui d’opposabilité, dont l’achèvement a nécessité une gestation intellectuelle d’environ un siècle. Les juristes vivaient avec cette idée que le droit réel, au premier rang la propriété, avait cette particularité fondamentale d’être opposable erga omnes, chacun étant tenu de respecter la propriété d’autrui. À l’opposé, le droit personnel n’était opposable qu’au débiteur, puisque seul celui-ci était obligé. Objectant à cette présentation classique que, de leur nature même, les droits subjectifs mettaient nécessairement des hommes en relation, on a contesté que le droit réel puisse être un rapport noué entre les hommes et les choses et qu’il ne pouvait être qu’un rapport entre les hommes à propos des choses. C’est le fameux courant personnaliste de Planiol qui a popularisé en France les idées du suisse Roguin. Les auteurs adhérant à cette mouvance ont fait de la propriété une obligation passive universelle en ce sens que le propriétaire est un créancier dont la créance a ceci de particulier qu’elle a pour débiteur non un individu identifié mais l’ensemble des hommes. La thèse était intellectuellement extrêmement séduisante mais elle condamnait la distinction fondatrice des droits réels et personnels, ce qui conduisit la doctrine à réfléchir bien plus avant qu’elle ne l’avait fait jusqu’alors au concept d’opposabilité erga omnes de la propriété. C’est Rigaud qui, au début du 20e siècle, trouve la clé du problème. Il distingue la dimension interne du droit subjectif, qui est soit un droit sur une chose (droits réels), soit un droit contre une personne (droits personnels), de leur dimension externe qui interdit à quiconque d’y porter atteinte.
En ce sens, l’opposabilité erga omnes de la propriété se retrouve pareillement – ce qui avait jusqu’alors échappé –, pour les droits personnels : quiconque est tenu de respecter le droit d’un créancier. Ainsi, l’employeur qui embauche un salarié en connaissance de la clause de non concurrence qui le lie à l’égard de son ancien employeur engage sa responsabilité délictuelle, parce que précisément, la clause de non concurrence découlant du précédent contrat de travail lui est opposable… alors même qu’il n’est nullement partie au contrat ni débiteur de l’obligation en question.
Afin de marquer l’engagement spécifique du débiteur par rapport au reste des individus, on en vient à parler « d’effet relatif du contrat » : si chacun est tenu de respecter les contrats passés par autrui, le contrat ne crée cependant d’obligations qu’à la charge du seul débiteur et c’est cette confusion entre l’effet relatif et l’opposabilité que l’on peut enfin opposer à Planiol pour condamner définitivement sa théorie de la propriété comme obligation passive universelle. On peut dater le parfait achèvement du concept d’opposabilité avec la thèse de Duclos publiée en 1984.
On voit par cet exemple comment, avec les matériaux de la réalité juridique (le régime juridique des droits réels et personnels), la doctrine, unissant ses efforts, a peu à peu donné naissance à un nouveau concept, celui d’opposabilité des droits.

 

 

II. Notions

Spontanément, le terme de « notion » renvoie à une conceptualisation des choses plus floue, moins aboutie, que celle de concept. Avoir des « notions » de quelque chose c’est en avoir une vague idée, savoir à peu près ce que c’est. On peut écarter cette première approche en ce qu’elle saisit la notion de manière subjective, via les défaillances d’un sujet particulier, et non pas en tant que renvoyant à une réalité objective. Mais même à envisager la « notion » sous un angle objectif, il semble bien que c’est toujours l’inachèvement intellectuel qui continue à la caractériser, ce qui lui donne l’avantage de la souplesse et l’inconvénient de l’imprécision. Il est important de souligner que cet « inachèvement intellectuel » ne provient pas de ce qu’une notion marquerait le stade antérieur de l’émergence d’un véritable concept, en d’autres termes que la notion serait un concept encore en gestation. L’inachèvement résulte surtout de ce que la notion est conceptualisée par les juristes de manières très diverses : chacun d’eux forgera par exemple sa propre compréhension de la justice ou de l’équité. C’est l’absence de convergence entre les différentes conceptualisations d’un même objet qui cantonne celui-ci à demeurer, du point de vue du droit en général, une notion davantage qu’un concept. D’où cette conséquence que le concept aura souvent une portée technique assez précise, tout simplement parce qu’il est plus facile de s’entendre lorsqu’il est question de technique juridique que théorie du droit et qu’un instrument technique constitue un outil mobilisé par le juge voire le législateur, ce qui lui donne une positivité propre sinon à tarir du moins à apaiser les querelles doctrinales à son endroit.
Lorsqu’on s’intéresse aux notions en droit, on ne peut évidemment ignorer l’ouvrage que Demogue écrivit en 1911 et qu’il intitula : « Les notions fondamentales de droit privé, Essai critique, pour servir d’introduction à l’étude des obligations ». Qu’y trouve-t-on érigé en objet d’étude ? :
– la sécurité statique et dynamique,
– l’évolution,
– l’économie de temps et d’effort,
– la justice,
– l’égalité,
– la liberté,
– la solidarité,
– le principe de partage des risques et des pertes,
– le bien-être général ou public,
– la protection des intérêts moraux et futurs,
Demogue s’en sert pour montrer comment ces notions, en entrant en conflit, contribuent à la construction du système juridique. Question : aurait-il pu retenir indifféremment pour titre : « Les concepts fondamentaux du droit » ? C’est sans doute justement le caractère flou et inachevé des termes employés ici, le fait qu’ils soient dépourvus d’une technicité suffisante, qui légitime ce choix.
Plus récemment, J. Rochefeld a publié 2011, pour le centenaire du livre de R. Demogue, un ouvrage intitulé « Les grandes notions de droit privé » (PUF). En autant de chapitres sont abordés :
– les personnes,
– les groupes de personnes,
– les droits subjectifs,
– la propriété,
– les biens,
– le patrimoine,
– le contrat et la responsabilité.
On constate immédiatement que J. Rochefeld ne traite pas du tout de la même chose que R. Demogue, alors pourtant qu’il est question dans les deux cas de notions de droit privé, sous cette réserve près que, tandis que Demogue qualifie les notions qu’il mobilise dans sa réflexion de « fondamentales », celles de J. Rochefeld sont dites seulement « grandes ». L’adjectif qualificatif suffit-il cependant à justifier que la liste soit à ce point différente ? On peut en douter : il fallait bien marquer dans l’intitulé que l’ouvrage nouveau était un hommage à celui de Demogue sans pour autant lui être parfaitement identique afin d’éviter toute confusion fâcheuse ; bref, on peut gager qu’il s’agissait d’un choix pragmatique. La divergence radicale de contenu de ces deux ouvrages paraît alors devoir résulter de l’évolution de la société dans le siècle qui les sépare, métamorphoses sociales qui pourraient avoir conduit à l’effacement de certaines notions du système juridique, d’autres ayant pris la première place. Il est clair pourtant que la propriété, les contrats, la responsabilité – pour ne prendre que ceux là – sont des piliers de notre ordre juridique dont l’importance était tout aussi grande aujourd’hui qu’il y a cent ans. Pourquoi Demogue les tait-il alors ? Au vrai, les « notions » qui occupent J. Rochefeld sont proprement juridiques et beaucoup moins sociales. Elles ont une dimension technique beaucoup plus affirmée, ce qui nous inclinerait à croire qu’il s’agit peut-être davantage de concepts que de simples notions, tandis qu’à l’inverse, Demogue, en les qualifiant de fondamentales, les doterait d’une charge morale qui les rapprocherait davantage d’un principe (infra). En d’autres termes, Demogue aurait pu intituler son ouvrage « Les principes de droit privé » (il le fait d’ailleurs à propos du partage des risques et des pertes) tandis que J. Rochefeld aurait pu parler des « concepts du droit privé ».
À la différence toutefois de R. Demogue, J. Rochefeld entend définir ce qu’est une « notion », en distinguant les approches essentialiste et relativiste qu’on peut en avoir. D’un point de vue essentialiste, la notion est appréhendée philosophiquement en tant qu’essence : la notion renverrait ainsi à l’être des choses et serait par conséquent dotée d’un caractère immuable. Cette approche est répudiée par l’auteur qui trouve dans la notion la désignation d’un contenu relatif – en ce sens que c’est l’utilisateur de la notion qui en fixe le sens – et évolutif puisque la notion demeure sous l’emprise des valeurs idéologiques dominantes et donc de leurs mutations.
La notion est, dans cette approche, un contenant immuable dont le contenu évolue.
Bien que l’auteur ne s’y intéresse pas spécifiquement, les bonnes mœurs donnent un bon exemple de ce que peut être une notion. En tant que contenant, les bonnes mœurs ont une définition immuable : il s’agit toujours de ce que le corps social considère à un moment T comme ce qu’il est tolérable d’exposer à la vue publique ou de contractualiser de son intimité. En revanche, le contenu change : le concubinage, qu’il fallait taire à une époque, a aujourd’hui délaissé le champ des bonnes mœurs.

 

 

III. Qualifications/Catégories

Si l’on remonte à un haut niveau de généralité sur le droit, on dira de celui-ci qu’il est une discipline sociale dont la fonction principale est d’organiser la coexistence pacifique des êtres humains. Il s’agit d’abord de donner à chacun le sien (justice distributive) et de veiller ensuite à préserver l’équilibre ainsi institué entre les hommes (justice commutative).
Donner à la société l’emprunte de cette justice à laquelle l’homme aspire, la remodeler selon ce besoin de justice, suppose à titre préalable de la saisir. Cette maitrise de l’homme sur le réel passe par une double opération de mise en ordre et de nommage. Il s’agit de faire entrer la réalité dans des catégories prédéterminées auxquelles on aura donné un nom. Cette opération est celle de la qualification. Il y a donc un couple naturel qualification/catégorie. On dira ici que l’opération de qualification permet de faire rentrer une situation de fait dans une catégorie juridique, laquelle n’a d’intérêt que parce qu’elle renvoie à un régime juridique précis. On peut déduire de ce dernier point l’existence d’un « effet de seuil », en ce sens que si la catégorie n’a d’intérêt qu’autant qu’elle permet de renvoyer à un régime juridique précis, elle ne saurait être trop large sous peine de manquer cet objectif. Reste qu’il est peu manifeste. Ainsi, on ne saurait affirmer que la catégorie « contrat » n’existe pas et que seule par exemple celle de « contrat réel » aurait un sens. Il existe en effet des règles communes aux contrats (par exemple celles relatives à leur validité ou à leur effet relatif) si bien que tout accord qui peut être qualifié de tel se trouve soumis à un corps de règles précis, autrement dit à un régime particulier. Le contrat constitue donc à ce titre une catégorie juridique.

Il est assez délicat de cerner le lien entre la catégorie et le concept. Ainsi, le contrat est-il une catégorie ou un concept ? La difficulté vient sans doute que l’on tente d’opposer ces deux termes alors qu’une telle opposition n’a pas lieu d’être. Le concept est le résultat d’une opération intellectuelle. Forger une catégorie suppose pareillement une telle opération : il s’agit d’observer le réel pour appareiller entre eux divers éléments par les ressemblances qu’ils manifestent afin de dégager une catégorie que l’on dotera ensuite d’un régime spécifique. On pourrait dire ainsi que le contrat est un concept d’un genre précis, la catégorie.

 

 

IV. Principes

Étymologiquement, le terme a une charge hiérarchique qu’on ne retrouve pas dans le concept : le principe est ce qui est premier. La primauté du concept peut s’apercevoir sous différents angles, dont certains ont une résonance plus grande que d’autres.
Dans une conception simplement temporelle, le principe serait ce qui existe avant les autres règles, mais il est difficile de trouver en droit des exemples de principes juridiques qui ne devraient leur qualification qu’à ce titre. De même, l’approche géographique est peu fructueuse : le principe serait tel au regard de sa généralité et gagnerait d’autant plus de force que celle ci s’accroit. Une règle appliquée de manière mondiale ou régionale pourrait à ce titre seul prétendre au rang de principe.
À l’inverse, un usage local ne saurait jamais l’être. Ces deux approches dévoilent cependant mal l’objet étudié.
La prééminence du principe s’aperçoit mieux en termes hiérarchiques et l’on pense à Kelsen et à sa pyramide des normes : la norme de degré supérieur, par cette seule préséance, impliquerait qu’elle soit porteuse de principes plutôt que de simples règles. L’angle d’analyse revient à donner au principe une dimension relative, car l’immense majorité des normes se situe à un étage de la pyramide où elle fait figure de principe par rapport à la norme inférieure mais de simple règle par rapport à la norme supérieure, ce qui fait douter qu’on puisse tenir là un critère opérant de discrimination entre la règle et le principe. Si bien qu’en définitive, c’est surtout sur le terrain axiologique que le principe affirme sa singularité. Les droits fondamentaux renvoient à l’énoncé de principes nécessaires dans une société démocratique : leur primauté est liée aux valeurs dont ils se font les hérauts. Lorsque l’on adjoint à une règle le qualificatif « fondamental », on en fait presqu’à coup sûr un principe.
De ce point de vue, l’exemple de la propriété est éclairant. Peut-on parler de principe de propriété ? Notre société lie indissolublement propriété individuelle et liberté depuis que Locke a fait de la première la conséquence directe et nécessaire de la seconde. La propriété est donc une valeur fondatrice de nos sociétés modernes occidentales ce qui fait que, dans notre système juridique individualiste, la propriété peut être vue comme un principe, même si elle n’est pas exactement première pour n’être qu’une des conséquences – même si elle est majeure – de la liberté individuelle.
Cela ne l’empêche pas d’avoir une portée technique précise dès l’instant que la propriété correspond à une forme d’emprise plénière sur les choses qui la distingue d’un simple usufruit, d’une servitude ou d’un droit réel quelconque. En ce sens, on peut tout autant parler légitimement du concept de propriété. En revanche, la grande technicité de la propriété permet de dire qu’elle est davantage qu’une simple notion du droit. Elle est enfin une « catégorie » en ce sens qu’elle permet de désigner la relation que peut entretenir un individu avec une chose : la propriété est ici l’aboutissement d’une opération de qualification.
En revanche, il n’y a pas de principe de contrat, pour cette raison que le contrat est un concept technique, défini comme un accord de volontés emportant création d’obligations entre les parties. L’absence de charge morale dans le contrat semble interdire d’y voir un principe. On pourra défendre l’idée qu’il y a un principe de liberté contractuelle (même si certains auteurs, dont P. Morvan, s’y opposent vivement, au motif que seuls les droits peuvent être des principes et non les libertés), plus difficilement qu’existe un principe de contrat.
Essentiellement, le principe est ce qui est à l’origine des choses, ici de l’ordre juridique. M. Villey a montré, dans ses seize essais de philosophie du droit, comment, avec le rationalisme des lumières, Grotius avait entrepris de reconstruire le foisonnement désordonné des règles de droit légué par la casuistique romaine à partir de quelques principes empruntés à la morale catholique (par exemple l’interdiction de léser autrui ou l’obligation de respecter la parole donnée), cela afin de faire apparaître les secondes comme de simples dérivations logiques des premiers.
La méthode sera suivie par beaucoup d’autres. Le principe participe de la mise en ordre rationnelle des règles de droit selon un aller-retour constant de l’inductif et du déductif, en ce sens que si les règles juridiques sont déduites des principes, à l’inverse, les principes sont tout autant induits des règles juridiques. Ainsi la consécration du principe de répétition de l’enrichissement sans cause en jurisprudence à la fin du 19e siècle doit autant à son assise morale (il est immoral de s’enrichir aux dépens d’autrui) qu’à la subsomption de différentes hypothèses sous une unique bannière (la construction sur le sol d’autrui de l’article 555, la théorie des récompenses entre époux pour ne prendre que les plus connues). L’induction paraît nécessaire à l’existence d’un principe qui ne saurait sortir tout armé de la cuisse d’un Jupiter législateur mais qui, présent à l’état latent dans l’ordre juridique, est peu à peu débarrassé de la gangue dont le recouvrent les simples règles pour apparaître alors en pleine lumière et pouvoir engendrer à son tour d’autres règles.

 

 

 

V. Observations conclusives

Une chose est certaine : aucune de ces qualifications n’est exclusive l’une de l’autre. Un même « mot » – pour employer un vocable aussi neutre que possible – de la science juridique pourra ressortir à diverses qualifications. Reste que même combinatoires, ces propositions de distinction des concepts/notions /catégories/principes sont très loin de pouvoir prétendre à une scientificité certaine. Il n’est qu’à s’essayer à un petit exercice de classification pour s’en convaincre. L’hésitation est partout et on laissera au lecteur le soin de contester les propositions faites ci-dessous ou d’envisager d’autres exemples.

Exercice.

  Concept Notion Catégorie Principe
Contrat Oui Non Oui Non
Propriété Oui Non Oui Oui
Enrichissement
sans cause
Oui Non Non Oui
Opposabilité Oui Non Non Non
Bonnes mœurs Non Oui Non Oui

 

 

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