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Clotilde AUBRY DE MAROMONT

Maître de conférences à l’Université de La Réunion

Résumé

Cette contribution vise à relier les errances méthodologiques de la recherche doctorale observées empiriquement en laboratoire à la structuration du champ juridique. Alors que les questions épistémologiques et méthodologiques n’ont jamais été aussi prégnantes dans les facultés de droit, l’étude se veut contribuer aux controverses sur la méthode par une observation en laboratoire, des retours d’expériences et des réflexions sur le savoir juridique. Observer et discuter la recherche doctorale « en train de se faire » permet de mettre à jour les enjeux institutionnels, les représentations et les clivages disciplinaires qui exposent les doctorants à l’errance, parfois excessive, de la thèse. Pour présenter les différentes contributions du dossier, cette contribution part des principaux problèmes de méthode relevés par les jeunes chercheurs pour les expliquer par le champ tout en opérant des allers-retours avec la littérature scientifique.

Mots-clés

Difficultés méthodologiques – recherche doctorale – épistémologie – champ juridique – science juridique – sciences sociales – doctrine – dogmatique – culture juridique – formalisme juridique – interdisciplinarité – habitus disciplinaire – légitimité de la recherche – recrutements

Abstract

Based on an empirical study of a research laboratory in law, this paper aims to link methodological challenges of doctoral research to the organisation of legal field. While epistemological and methodological questions are currently very prolific in French faculties of law, this study contributes to controversies on the method by observations, feedbacks and reflections on legal knowledge. Observe and discuss the PhD « in action » sheds light on institutional issues, representations and disciplinary divides, which expose doctoral students to some challenges. This paper introduces this special edition of the journal by exposing main methodological difficulties of doctoral research. It explains the challenges of young researchers by the legal field and by producing a back and forth with the main results of the academic literature.

Keywords

Methodological challenges – doctoral research – epistemology – legal field – legal science – social sciences – doctrine – dogmatic – legal culture – legal formalism – interdisciplinarity – disciplinary habitus – legitimacy of research – recruitments

*Remerciements

Nous tenons à remercier très sincèrement Frédéric Audren, Anne-Sophie Chambost, Véronique Champeil-Desplats, Olivier Provini et Roberto Thiancourt pour leurs relectures attentives.

Introduction

Au sein du Centre de Recherche Juridique de l’Université de La Réunion1Le CRJ (EA 014) est une équipe d’accueil d’enseignants-chercheurs, jeunes chercheurs et titulaires, en droit public, en droit privé, en histoire du droit et en science politique., les doctorants en droit se heurtent à cette question récurrente(C’est quoi au juste faire de la recherche juridique ?). Ils se sont alors mis en quête de réfléchir collectivement à la « méthode », autrement dit au cheminement, à la démarche et aux procédés qu’ils devront déployer pour produire des résultats de recherche2N. BobbBBio, « Metodo », in Contributi ad un dizionario giuridico, Turino, Giappichelli editore, 1994, p. 165 cité par V. Champeil-Desplats, in Méthodologies du droit et des sciences du droit, Dalloz, coll. Méthode du droit, 2e éd., 2016, p. 3 : la méthode « renvoie à un chemin, un cheminement, une direction à suivre, un ensemble de démarches ou de procédés intellectuels plus ou moins complexes qui permettent de parvenir à une fin, un résultat ou un objectif déterminé. ». La méthodologie renvoie à l’étude de ces cheminements intellectuels : J.-L. Bergel, Méthodologie juridique, 2e édition mise à jour, PUF, p. 2016, p. 1.. Mais parce que la méthode détermine la production du savoir, fixe les règles du champ et même, plus largement, est corrélée à des enjeux de pouvoir institutionnels, ils se sont vite aperçus que ses ressorts et ses procédés leur échappaient très largement. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les doctorants se soient trouvés peu assurés pour répondre à la question de savoir en quoi consiste la recherche juridique, mais également que leurs propositions de réponse ne se rejoignent pas toujours. À partir des discussions qui ont pu avoir lieu à l’occasion des différents séminaires de laboratoire organisés tout au long de l’année 2020 à la faculté de droit de La Réunion, deux grandes orientations de la recherche ont en effet été dégagées par les doctorants. Les premiers défendent que faire de la recherche juridique, c’est proposer une analyse du droit en vigueur, chercher à le rationnaliser et, in fine, à l’améliorer. Leur démarche doctorale consiste à repérer les incohérences de l’ordre juridique pour les corriger au moyen de la technique juridique. Un peu moins assurés, d’autres jeunes chercheurs postulent que faire de la recherche juridique, c’est analyser le droit comme un discours produit par des acteurs dans un contexte social, historique et politique. Leur démarche consiste à étudier le phénomène juridique de l’extérieur et à s’intéresser, à ce titre, aux processus de production du droit. À côté de ces deux postures, d’autres doctorants, majoritaires, confondent et entremêlent les deux démarches parce qu’ils ne les distinguent pas clairement ou qu’ils envisagent volontairement de les croiser pour leur complémentarité. Ce constat empirique au sein de notre laboratoire de recherche, n’est probablement pas spécifique à ce terrain d’observation car il est le reflet des incertitudes attachées à la méthode de recherche d’un champ juridique en pleine reconfiguration et donc empli d’incertitudes.
Le parti pris de ce dossier et de cette introduction générale est de relier les errances méthodologiques de la recherche doctorale observées empiriquement en laboratoire à la structuration du champ juridique. En effet, les difficultés rencontrées par les jeunes chercheurs en droit, qui peinent à trouver le chemin à emprunter pour conduire leur pensée, s’expliquent par la coexistence au sein du champ de différentes méthodes concurrentes et contradictoires3V. Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, op. cit., p. 9 : « Il n’existe pas une méthode, ni une méthodologie mais des méthodes et des méthodologies concurrentes et compossibles. Celles-ci varient non seulement d’un champ de savoir à l’autre mais également au sein même d’un même champ de savoir et de ses sous-champs. ». Ce constat est l’un des résultats importants de la littérature scientifique. Il ressort notamment des travaux récents de Véronique Champeil-Desplats sur la méthode4Ibid.. L’originalité de ce dossier est de faire des allers-retours entre les difficultés empiriques des doctorants et les résultats d’une littérature qui invite à un retour réflexif sur le champ juridique (histoire de la pensée juridique, approches culturelles des savoirs juridiques, réflexions épistémologiques et méthodologiques etc.). Ce dossier s’inscrit dans le contexte de ce que Frédéric Audren et Ségolène Barbou des Places nomment un « moment disciplinaire »5F. Audren et S. Barbou des Places (dir.), « avant propos », in Qu’est-ce qu’une discipline juridique ?, LGDJ, coll. Contextes, Culture du droit, 2018, p. 1. vécu par l’espace du droit. Les questions épistémologiques et méthodologiques n’ont jamais été aussi prégnantes dans les facultés de droit6Sans prétendre à l’exhaustivité, nous renvoyons notamment aux travaux des cahiers de méthodologie de la présente revue et à ceux de l’Association internationale de méthodologie juridique. Nous renvoyons aussi à tous les travaux de la collection « Méthode du droit » des éditions Dalloz et, notamment, aux travaux sur la doctrine de Philippe Jestaz et de Christophe Jamin (La doctrine, Dalloz, coll. « Méthode du droit », 2003) et, plus récemment, de Vincent Forray et Sébastien Pimont (Décrire le droit… et le transformer, Dalloz, coll. Méthode du droit, 2017). Ces réflexions sur la méthode ne sont l’affaire d’aucune discipline du droit puisqu’elles sont menées par des historiens du droit (Pour une illustration récente, nous renvoyons aux cycles que Nicolas-Laurent Bonne et Xavier Prévost ont codirigé sur les méthodes des juristes : N. Laurent-Bonne et X. Prévost (dir.), Penser l’ancien droit public. Regards croisés sur les méthodes des juristes (III), LGDJ, à paraître en 2021 ; id. (dir.), Penser l’ancien droit privé. Regards croisés sur les méthodes des juristes (II), LGDJ, 2018 ; id. (dir.), Penser l’ordre juridique médiéval et moderne. Regards croisés sur les méthodes des juristes (I), LGDJ, 2016) des théoriciens du droit (V. par exemple, É. Millard, Théorie générale du droit, Dalloz, coll. Connaissance du droit, 2006), des philosophes du droit (V. par exemple, A. Viala, Philosophie du droit, Ellispes, coll. Cours magistral, 2e éd., 2019), des privatistes (V. par exemple, C Atias, Épistémologie juridique, Dalloz, coll. Précis, 2001 ; R. LibcBChaber, L’ordre juridique et le discours du droit : essai sur les limites de la connaissance du droit, LGDJ, 2013) ou encore des publicistes (V. par exemple V. Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, op. cit.). qui vivent un véritable « moment de doute et de réflexivité »7V. Forray et S. Pimont, op. cit., 2017, n° 347, p. 291. eu égard à l’enseignement et à la recherche juridiques.

Positionnement par rapport à la littérature

Notre démarche ne présente aucune prétention à l’exhaustivité de ces travaux et des courants existants mais, de manière plus modeste, se veut contribuer aux controverses méthodologiques du champ par une observation en laboratoire, des retours d’expériences et des réflexions épistémologiques sur le savoir juridique. Plus spécifiquement, nous nous inscrivons dans le courant de deux corpus de la littérature.
Le premier concerne la controverse de la coexistence de deux approches concurrentes mais inextricablement mêlées de la recherche au sein du champ juridique. Soulevée notamment par Étienne Picard et Jacques Chevallier il y a une vingtaine d’années, cette controverse fait état d’une coexistence d’une recherche dite doctrinale8Le terme doctrine renvoie tant à l’ensemble des études publiées par les juristes qu’à une forme particulière du langage juridique qui invite, par sa vocation normative, à participer au processus de production du droit (V. notamment O. Beaud, « Doctrine », in D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique française, PUF, 2003, p. 384-388 ; P. Jestaz, C. Jamin, « L’entité doctrinale française », D. 1997, p. 167). Le terme dogmatique est aussi parfois privilégié par rapport au terme doctrine en ce qu’il permet plus précisément de cibler le contenu du discours envisagé (V. notamment V. Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, op. cit.). Pour nous inscrire dans la controverse soulevée par Jacques Chevallier et Étienne Picard en faisant état des difficultés vécues par les doctorants, qui sont attachées à la pluralité des approches de la recherche juridique, nous choisirons d’employer le terme doctrine, et, dans sa seconde acception, plus restreinte, en la distinguant de la science juridique. Nous ne distinguerons donc volontairement pas les notions de dogmatique et de doctrine pour simplifier le propos, même si nous adhérons à l’idée qu’elles ne sont pas réductibles l’une à l’autre. en droit qui invite le chercheur à participer au processus de production du droit et d’une recherche dite de science juridique sur le droit qui invite à garder l’objet à distance pour y porter un regard réflexif critique9É. Picard, « Science du droit ou doctrine juridique », Mélanges en l’hommage de R. Drago, L’unité du droit, Économica, 1996, p. 119 ; J. Chevallier, « Doctrine juridique et science juridique », Dr. et société, n° 50, 2002, p. 113. V. également E. Haba, « Science du droit – quelle « science » ? Le droit en tant que science : une question de méthodes », APD, t. 36, 1991, p. 165.. Ces travaux font aussi état de l’hypertrophie de la recherche doctrinale au détriment de la recherche de science juridique dans les facultés de droit en France10J. Chevallier, « Doctrine juridique et science juridique », op. cit.. Le retour d’expérience des jeunes chercheurs et les débats qu’ils ont engendrés rejoignent ces résultats importants de la littérature scientifique : la dualité des approches de la recherche juridique et leur déséquilibre dans les institutions influent sur le processus de production du savoir. En effet, les doctorants se retrouvent partagés entre des exigences méthodologiques contradictoires tout en étant rappelés par des codes doctrinaux qu’ils présupposent dominants dans la discipline ou qui leur sont présentés comme tels. Toutefois, de la même observation et des mêmes discussions de laboratoire, il ressort aussi que la démarche de science juridique sur le droit est de plus en plus plébiscitée par les juristes en sein des facultés de droit. Comme l’observe Jacques Commaille, « la recherche française sur le droit connaît depuis quelques années un développement exceptionnel et les nombreuses parutions d’ouvrages qui en sont issues en constituent un des témoignages »11J. Commaille, « La French touch de la recherche sur le droit », Droit et société n° 107, 2021/1, p. 203-225, spéc. p. 203.. Les doctorants qui sont les premiers producteurs de la recherche universitaire, participent à cette dynamique d’ouverture de la discipline à d’autres méthodes de recherche et notamment aux méthodes des sciences sociales. La démarche descriptive, éloignée du pragmatisme et du normativisme, n’est plus reléguée hors des facultés de droit comme avait pu l’observer Jacques Chevallier vingt ans auparavant12J. Chevallier, « Doctrine juridique et science juridique », op. cit.. Or, cette « French touch »13J. Commaille, « La French touch de la recherche sur le droit », op. cit. d’ouverture, en opérant un véritable glissement méthodologique, se répercute inévitablement sur la production du savoir juridique, sur l’enseignement, sur les règles du champ et donc sur les rapports de force au sein des institutions (Université, laboratoire, Conseil National des Universités, concours de l’agrégation, comité de sélection etc).
Le second corpus concerne l’étude de la production du savoir en résonnance avec son contexte de production. Ces travaux trouvent leur origine dans le courant Law and Society né dans les années 1960 aux États-Unis, qui tend à resituer le droit dans l’ère sociale qui le produit et, particulièrement, dans la branche de ce courant qui étudie le savoir juridique en contexte14Pour une synthèse de présentation de ces travaux v. A.-S. Chambost, « La culture juridique : combien de divisions ? Introduction aux Approches Culturelles des Savoirs Juridiques », in A.-S. Chambost (dir.), Approches culturelles des savoirs juridiques, LGDJ, coll. Contextes, 2020, p. 1-14.. En France, tout un ensemble de travaux relatifs au droit en contexte15V. notamment RIEJ n° 70, Le droit en contexte, 2013/1. On soulignera l’ajout du sous-titre « Droit en contexte » sous l’intitulé de la Revue interdisciplinaire d’études juridiques à compter de ce numéro : v. A. Bailleux et F. Ost, « Droit, contexte et interdisciplinarité : refondation d’une démarche », p. 25-44., à la culture juridique française16V. notamment, F. Audren et J.-L. Halpérin, La culture juridique française. Entre mythes et réalités. xixe-xxe siècles, CNRS éditions, 2013. V. également, D. Alland et S. Rials, Dictionnaire de la culture juridique française, op. cit. ; Clio@Temis, n° 2, Histoire des cultures juridiques, novembre 2009 ; W. Mastor, J. Benetti, P. E egea, X. magnon (dir.), Grands discours de la culture juridique, Dalloz, 2017 ; C.-M Herrera, « Culture juridique et politique : une introduction », International Journal for the Semiotic of Law / Revue internationale de sémiotique juridique, vol. 29, 4, 2016 (Legal Culture in Political Perspective), p. 721-727). et à une approche culturelle des savoirs juridiques17V. notamment A.-S. Chambost (dir.), Approches culturelles des savoirs juridiques, op. cit. s’inscrivent dans ce courant. La collection Contextes. Culture du droit des éditions Lextenso – LGDJ dirigée par Anne-Sophie Chambost, est aujourd’hui le lieu de diffusion le plus important de cette littérature18https://www.lgdj.fr/editeurs/l-g-d-j-10/contextes-1066.html.. Le parti pris de ce dossier est de démontrer que les questions épistémologiques et méthodologiques qui se posent aujourd’hui sont le reflet des mutations du contexte dans lequel évolue le savoir juridique. Le savoir est le produit d’un contexte culturel, à la fois idéologique et institutionnel. Les travaux de Jacques Commaille rejoignent également cette approche. Comme l’observe cet auteur,

« Les savoirs sur le droit sont très étroitement reliés à la culture juridique à laquelle on appartient, au type d’État concerné (fédéral vs centralisé), aux traditions juridiques, à la place des juristes par rapport au pouvoir politique et à leur statut dans la régulation de la société »19J. Commaille, À quoi nous sert le droit ?, Gallimard, Folio essais, 2015, p. 8..

La méthode, qui constitue l’ossature de ce savoir, se présente alors comme le catalyseur et le révélateur des mutations subies. Elle se transforme si les idées, les conceptions, les représentations et les cadres de ce savoir changent. En étant débattue, elle cristallise, en outre, tous les enjeux de son renouvellement. Parce que la culture juridique n’est pas figée, la structuration d’une discipline elle-même peut être amenée à être repensée. Dans le domaine juridique, on observe un glissement de la doctrine vers la science juridique pour différentes raisons qui seront évoquées tout au long du dossier.

Démarche du dossier

Les réflexions menées dans ce dossier reposent sur une démarche spécifique : celle de l’étude de la production de la science du droit par ses acteurs. Cette approche consiste pour les juristes à porter un regard réflexif « modérément externe » sur leurs propres activités, qui n’est ni le regard interne de la doctrine, ni le regard externe des sociologues20Pour une étude récente, v. F. Audren, A.-S. Chambost et J.-L. Halpérin, Histoires contemporaines du droit, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 2020, p. 1.. Portée en France par des historiens du droit, notamment Frédéric Audren, Anne-Sophie Chambost et Jean-Louis Halpérin, l’étude de la production du droit et de la science du droit par ses acteurs vise à présenter une histoire des professionnels du droit – auxquels l’enseignant-chercheur lui-même est associé – mais aussi une histoire des profanes ou des usagers du droit. Ce courant invite à se placer au plus près de ce que font les juristes pour chercher à décrire leurs activités21Ce courant est inspiré par la sociologie pragmatique incarnée en France par Bruno Latour. Pour une observation de la fabrique du droit par les acteurs du droit au Conseil d’État, v. B. Latour, La fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’État, Paris, La Découverte, 2002. Pour faire le parallèle avec une observation de laboratoire, v. également l’observation in situ des pratiques de laboratoire de neuroendocrinologie du professeur R. Guillemin (Salk Institute, États-Unis) : B. L latour, S. Wooglar, La vie de laboratoire. La production des faits scientifiques, trad. M. Miezunski, Paris, La Découverte, 1988.. Dans la poursuite de cette approche, la recherche juridique vue « par ses acteurs » devient objet d’étude. Suivant le chemin emprunté par d’autres avant nous22B. Sergues (dir.), La recherche juridique vue par ses acteurs, LGDJ, Presses UT1, 2016 (en ligne sans pagination)., notre dossier entend précisément étudier la méthode de recherche par le regard de ses principaux acteurs : les doctorants. Leur expérience est révélatrice des attentes que font porter sur eux les codes de la discipline alors qu’ils cherchent à s’y conformer. Les questions de méthode de recherche sont ainsi évoquées « par le bas » et « sur le terrain » par le prisme des difficultés qu’ils rencontrent dans le traitement de leur sujet de thèse. Conjointement, d’autres acteurs de la recherche plus expérimentés et aux profils et spécialités pluriels (historiens, théoriciens, « positivistes », privatistes, publicistes) ont été mobilisés pour ce dossier. Cette diversité a volontairement été recherchée car le profil du chercheur peut faire varier sa conception des règles du champ, des enjeux institutionnels, des modalités de recrutement et donc des attentes méthodologiques.
Nous avons également tenu à ce que la parole de ces acteurs soit la plus libérée possible en faisant état de tout un ensemble de « non dits » dans la littérature qui sont pourtant structurants du champ disciplinaire. Les différents contributeurs ont donc été invités à écrire en toute transparence et avec sincérité, en n’hésitant pas à évoquer leur expérience d’enseignant-chercheur, les enjeux institutionnels auxquels ils ont été confrontés eu égard à leurs trajectoires variées. Les débats, discussions et entretiens qui ont pu avoir lieu pour préparer cette publication ont donc été intégrés au dossier et à la présente introduction.

Finalité du dossier et annonce du plan de l’introduction

En reliant les problèmes de méthode rencontrés par les doctorants à la structuration du champ juridique, la finalité de ce dossier est de contribuer à apporter de la lisibilité sur la fabrique de la recherche juridique. L’objectif n’est pas de défendre une méthode plutôt qu’une autre. Nous souscrivons pleinement aux propos de Jacques Chevallier qui relève que

« S’ils sont de nature différente, le savoir doctrinal et le savoir scientifique sont bien entendu l’un et l’autre nécessaires à la connaissance du droit : la doctrine juridique est indispensable pour consolider en permanence l’ordre juridique ; et, de même, le rôle joué par le droit dans la vie sociale impose le développement d’une réflexion scientifique sur lui »23J. Chevallier, « Doctrine juridique et science juridique », op. cit. p. 115..

L’objectif n’est pas non plus de porter un regard critique sur la structuration du champ. Observer et discuter la « recherche en train de se faire » sur le terrain d’un laboratoire de recherche juridique (partie 1 du dossier), et discuter les problèmes de méthode observés en fonction de la structuration du champ (partie 2 du dossier), c’est mettre à jour les enjeux institutionnels, les représentations et les clivages disciplinaires qui exposent les doctorants à l’errance, parfois excessive, de la thèse.
Cette introduction générale part des principaux problèmes de méthode relevés par les jeunes chercheurs. L’enjeu est de les expliquer par le champ tout en opérant des allers-retours avec la littérature scientifique. Les contributions du dossier seront présentées tout au long de cette introduction et mentionnées en gras pour les distinguer des autres travaux sur la méthode et sur le champ juridique. À partir du retour d’expériences des doctorants et des débats qu’ils ont engendrés, nous avons identifié trois problèmes de méthode : la persistance d’un « aveuglement » du formalisme juridique 24La formule est empruntée à Véronique Champeil-Desplats qui évoque un « aveuglement aux contextes sociopolitiques » ou encore un « aveuglement du formalisme juridique » : V. Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, op. cit., n° 239 et s. p. 151 et s. attaché à la démarche doctrinale (I), les incertitudes liées à l’éloignement des cadres dominants de la discipline (II) et les difficultés tenant à l’ouverture à d’autres méthodes de recherche (III). Ces trois difficultés sont le reflet du champ juridique partagé entre une prévalence de la démarche doctrinale et une ouverture ténue aux sciences sociales.

I. La persistance d’un aveuglement du formalisme juridique

    A.   De la difficulté de se détacher d’un essentialisme des concepts et des catégories doctrinales

À l’occasion de leurs recherches, les doctorants se heurtent encore aujourd’hui aux écueils du formalisme juridique qui conduit à penser le droit par le prisme de l’écrit officiel et légitime (la loi) et à l’appréhender comme un système autonome et cohérent de normes positives qu’il faudrait contribuer à mettre en ordre25M. Miaille, Introduction critique au droit, Maspero, 1976, p. 370.. C’est l’un des résultats importants de nos discussions de laboratoire alors que, paradoxalement, une littérature abondante soulève ces écueils depuis plus d’un siècle. Roberto Thiancourt raconte en ce sens l’errance qui a été la sienne dans sa démarche conceptuelle consistant à créer une catégorie juridique inédite dans le but de participer à une meilleure compréhension et à un meilleur ordonnancement du droit des contrats. Cette approche est le propre de la recherche en droit, qui consiste à repérer les incohérences de l’ordre juridique pour chercher à les corriger en usant de concepts, de catégories, de classifications, avec pour finalité d’introduire de la clarté et de la praticabilité dans les règles juridiques26J. Dabin, Théorie générale du droit, éd. Dalloz, coll. Philosophie du droit, 1969, n° 264.. Christophe Jamin observe que ce travail, que l’on qualifie de doctrine,

« se donne pour tâche de présenter, pour une institution de droit donnée, l’agencement technique des règles juridiques afférentes sous forme cohérente et systématique, en dégageant les principes généraux qui organisent cet agencement et en associant ces principes à l’idée-mère réputée les gouverner »27C. Jamin, La cuisine du droit. L’École de Droit de Science Po : une expérimentation française, LGDJ, coll. Forum, 2012, p. 116..

Il s’agit de mettre le droit en cohérence pour œuvrer au bon fonctionnement de l’ordre juridique au moyen d’une entreprise de systématisation rationnelle. Pierre-Emmanuel Audit rappelle dans le dossier que cette démarche, dans ses excès, expose toutefois au risque de considérer les constructions intellectuelles du droit comme des réalités de la nature et à faire de la recherche une quête de ces réalités. Suivant cette méthode, les doctorants peuvent longtemps chercher, en vain, à trouver la réalité d’un concept juridique dans le droit positif avant de s’apercevoir, des années plus tard, qu’il n’avait aucune existence objective et qu’il ne constituait, finalement, qu’une construction doctrinale toute relative. Ils font ainsi l’expérience de ce que Véronique Champeil-Desplats nomme l’« aveuglement du formalisme juridique »28V. Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, op. cit. n° 239 et s. p. 151 et s. qui conduit à occulter la dimension contextuelle sociohistorique de production du droit. Le formalisme juridique conduit, en effet, à chercher une vérité scientifique à l’intérieur d’un discours construit par l’esprit. Les jeunes chercheurs sont aussi mis à l’épreuve de l’« essentialisme » de la pensée juridique qui conduit à assimiler les concepts et les règles de droit à des « faits » pour les étudier comme le feraient les sciences naturelles avec ses objets. La persistance de l’étude de la « nature » et du « régime » des objets juridiques dans les thèses, notamment en droit privé, est révélatrice de l’influence de ce formalisme juridique. De plus en plus conscients de ces dérives, tout un ensemble de travaux de thèse récents visent à démontrer la dimension construite29V. par exemple P.-E. Audit, La « naissance » des créances. Approche critique du conceptualisme juridique, Préf. D. Mazeaud, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, Vol. 141, Dalloz, 2015. et mythique30V. par exemple M. Tirel, L’effet de plein droit, Préf. D. R. Martin, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, Vol. 178, Dalloz, 2018. des concepts juridiques dans une perspective critique31V. par exemple notre thèse, C. Aubry de Maromont, Essai critique sur la théorie des obligations en droit privé, Thèse, Nantes, 2015, à paraître prochainement dans la collection Bibliothèque d’histoire du droit et de droit romain des éditions LGDJ.. Dans la poursuite de ces résultats, Roberto Thiancourt et Frédéric Rouvière, s’interrogent sur les modalités de la démarche de conceptualisation.
Ce sont ces mêmes écueils du formalisme juridique, mais abordés sous un angle différent, qui ont conduit Justine Macaruella et Olivier Dupéré à s’interroger sur le poids des catégories et des classifications construites dans la recherche juridique et notamment sur la charge que fait peser la division disciplinaire droit public-droit privé sur le chercheur en droit. La mise en système de la pensée juridique conduit en effet à créer des cadres et des logiques qui balisent la connaissance du droit. La dimension performative du droit et de la science du droit conduit à donner une réalité disciplinaire et institutionnelle à des catégories intellectuellement construites. Or, certains sujets de thèse sont éminemment transversaux et ne se rattachent ni exclusivement au droit public, ni exclusivement au droit privé. Ils amènent donc les doctorants à devoir articuler leur réflexion en tenant compte de codes disciplinaires distincts, alors que la dimension heuristique de la recherche n’a pas de frontières, ce qui rend l’exercice de la thèse excessivement périlleux. Les jeunes chercheurs porteurs de sujets à la charnière du droit privé et du droit public rencontreront, entre autres, des difficultés pour manier des sources documentaires plurielles, pour jongler entre plusieurs approches d’un même concept, et même pour articuler des habitudes méthodologiques distinctes. Là encore, le formalisme juridique tend à aveugler le jeune chercheur dont le regard se trouve obscurci par des cloisonnements catégoriels. On voit alors comment les catégories peuvent se présenter comme des « adversaires »32V. sur le point le cas d’étude posé par Justine Macaruella dans le dossier. et mettre à l’épreuve les chercheurs d’un décloisonnement intellectuel auquel ils ne sont pas préparés.

   B.   Une résistance à l’ouverture du champ comme stratégie de conservation du pouvoir

Les écueils du formalisme juridique de la démarche doctrinale, qui exposent les doctorants à toute une série de questionnements et à une errance parfois importante, sont soulevés depuis longtemps dans la littérature scientifique. Ils ont fait l’objet d’une vive controverse au début du XXe siècle par tout un ensemble de juristes tels que Raymond Saleilles, François Gény, Maurice Hauriou, Léon Duguit ou encore Édouard Lambert qui ont invité la doctrine à prendre de la distance avec le formalisme pour participer à la réflexion sociale33V. notamment N. Hakim et F. Melleray, Le renouveau de la doctrine française. Les grands auteurs de la pensée juridique au tournant du xxe siècle, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 2009.. Ces auteurs dénoncent que la rigueur conceptuelle et l’exactitude des raisonnements soient privilégiés par rapport aux contingences des réalités34V. Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, op. cit., n° 92, p. 66.. François Gény soulevait ainsi, par exemple, l’intellectualisme juridique trop « abstrait »35F. Gény, Science et technique en droit privé positif, T. 1, Position actuelle du problème du droit positif et éléments de sa solution, Sirey, 1921, p. 161. des juristes français et en décalage avec la réalité sociale, historique et politique. Il observait la tendance à privilégier l’esprit de logique, la systématisation et l’abstraction sur l’analyse du réel36François Gény dénonce alors « l’emploi des conceptions pures, développées par une logique toute abstraite, et considérées comme instruments nécessaires, de fécondation des textes légaux, ou d’élaboration d’idées juridiques indépendantes » : F. Gény, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, Préf. R. Saleilles, T. 1, LGDJ, 2e éd., 1954, n° 60, p. 124-125.. Pour dépasser ces écueils, une dynamique d’ouverture du champ juridique aux sciences sociales a été envisagée à la fin du XIXe siècle. L’idée défendue était de « faire rentrer le droit dans l’ère sociale »37F. Audren, « L’invention de la « technique juridique » », Conférence prononcée le 18 mars 2019 (en ligne). en quittant la méthode conceptuelle au profit d’une méthode empirique. La volonté d’établir la vérité scientifique autrement que par l’esprit émerge à l’aube du XXe siècle38G. Bligh, « L’analogie perdue entre la nature et le droit. L’influence sur la pensée juridique du tournant empirico-logique au début du xxe siècle », in T. Pouthier (dir.), Le droit constitutionnel et les sciences de la nature, de Bacon à Kelsen, p. 151-183, spéc. n° 25 (en ligne sans pagination). au moyen d’un détour vers la méthode qui consiste à privilégier l’analyse du réel à l’analyse dogmatique. Véronique Champeil-Desplats présente dans le dossier l’appel des juristes français à l’ouverture à la sociologie à la fin du XIXe siècle et notamment celui de Léon Duguit pour redynamiser, voire redéfinir, la discipline quant à ses méthodes et à son objet. Laetitia Guerlain fait également état de la proposition, en 1889, de Léonce Manouvrier d’ouvrir la voie à une anthropologie juridique pour orienter le sens des lois par la « science ». L’ouverture n’aura pourtant constitué qu’un « moment » dont on se rappelle au passé39V. O. Jouanjan, E. Z oller, Le « moment 1900 ». Critique sociale et critique sociologique du droit en Europe et aux États-Unis, éd. Panthéon-Assas, 2015.. Tout se passe, encore aujourd’hui, comme si la controverse soulevée par François Gény au début du XXe siècle avait été oubliée40V. la contribution de Pierre-Emmanuel Audit dans le dossier.. Par la voie de la recherche en droit, les chercheurs continuent à reconnaître aux concepts des propriétés intrinsèques et une réalité positive. Les écueils de la démarche doctrinale persistent.
Cet attachement au formalisme s’explique par la structuration du champ juridique et notamment par une « lutte de territoires académiques »41J. Commaille, A quoi nous sert le droit ?, op. cit., p. 21. Cité par Anne-Sophie Chambost dans le dossier.. Pour fixer leurs propres règles de fonctionnement, les enseignants-chercheurs des facultés de droit ont souhaité se réserver un espace d’autonomie en restant à l’écart des sciences sociales. Comme le rappelle l’analyse de Pierre Bourdieu sur le champ juridique, l’autonomie disciplinaire des juristes est une stratégie de pouvoir42P. Bourdieu, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », in Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 64, De quel droit ?, 1986, p. 3.. Malgré la controverse du « moment 1900 »43V. O. Jouanjan, E. Z oller, op. cit. V. également C. Jamin, « Dix-neuf cent : crise et renouveau dans la culture juridique », in D. Alland et S. Rials (dir.), op. cit., p. 380-384., qui aurait pu faire prendre au champ juridique le tournant des sciences sociales, la production d’un savoir doctrinal va être privilégiée44Sur la doctrine comme pouvoir, v. P. Jestaz, C. Jamin, « L’entité doctrinale française », op. cit.. C’est ce qui explique que cette approche hypertrophique pèse très fortement sur les attentes qui portent sur les jeunes chercheurs en droit. Le renouvellement méthodologique se heurte aux résistances d’un habitus disciplinaire bien ancré45P. Bourdieu, Homo Academicus, Les éditions de Minuit, 1984, p. 30.. Les travaux sur l’histoire des facultés de droit nous rappellent que, pour conserver leur autonomie, les acteurs de ces institutions ont fait le choix de former leurs étudiants par un savoir technique46V. F. Audren, « L’invention de la “technique juridique” », op. cit., et non par les sciences sociales47V. O. Jouanjan, E. Z oller, op. cit., renforçant l’aveuglement au formalisme juridique au XXe siècle. Ce choix de la technique s’est réalisé en empruntant aux anciennes écoles de droit leur finalité praticienne et en faisant prévaloir l’enseignement du Code civil et les techniques d’interprétation exégétiques48K. Brémond, Une histoire politique des facultés de droit : l’image des facultés de droit dans la presse quotidienne d’information nationale sous la Troisième République (1870-1940), Thèse, Bordeaux, 2018, p. 23. V. également J. Chevallier, « Doctrine juridique et science juridique », op. cit. p. 113-114.. À l’Université, à partir de l’entre-deux-guerres, les étudiants vont se former à apprendre un métier en se voyant dispenser un enseignement à la fois technique et formel49V. F. Audren, « L’invention de la “technique juridique” », op. cit.. Le savoir des juristes va alors se confondre avec leur savoir-faire, en laissant de côté les disciplines extérieures qui invitent à porter un regard contextuel sur le droit. C’est pourquoi en partie, au milieu du XXe siècle, l’économie et la science politique s’émanciperont du droit pour constituer leur propre champ disciplinaire. À l’aune de l’histoire des idées, Anne-Sophie Chambost expose dans le dossier comment la science politique va s’émanciper du droit, après avoir longtemps été rattachée au droit public. Le choix de la sociologie et donc du contexte, va permettre aux politistes de consommer le divorce avec les juristes publicistes auxquels ils laisseront le positivisme et la technique juridique pour étudier, pourtant, le même objet : l’État. Ce choix de la technique juridique effectué par les facultés de droit en France explique l’orientation actuelle de la recherche tant en droit privé qu’en droit public. Arrivé en thèse, le doctorant est très marqué par sa formation praticienne et technicienne. Comme l’observe Xavier Bioy, « il est (en effet) difficile, pour le jeune chercheur arrivé en doctorat, de s’extraire des réflexes des praticiens, acquis pendant cinq longues années, pour mettre à distance son objet et l’aborder “de l’extérieur” »50X. Bioy, « La signification du terme “recherche” dans le champ de la science juridique », in B. Sergues (dir.), La recherche juridique vue par ses acteurs, op. cit., p. 7-15, n° 5.. Malgré tout, la démarche du jeune chercheur va l’emmener à explorer de nouveaux champs qui lui étaient jusqu’à lors inconnus durant sa formation. Pour cerner toutes les dimensions heuristiques de son objet, le doctorant va souvent être amené à introduire de la contextualisation et à prendre de la distance avec le formalisme juridique. S’il se laisse happé par cette découverte, il est probable qu’ils se retrouve confronté à un dilemme : privilégier une connaissance désintéressée de son objet ou faire le choix d’une connaissance appliquée.

II. Les incertitudes liées à l’éloignement des cadres dominants de la discipline

    A.   De la difficulté à s’éloigner d’une recherche formaliste au profit d’une recherche contextualiste

L’orientation à donner à la recherche ressort comme une autre difficulté méthodologique importante du parcours de la thèse. Les jeunes chercheurs se questionnent sur ce qu’il est admissible et légitime de faire dans le cadre d’une recherche en droit. Ces interrogations se présentent dès lors qu’ils sont amenés à s’éloigner d’une démarche essentiellement formaliste qui les destine à œuvrer à un meilleur fonctionnement de l’ordre juridique, et qu’ils souhaitent embrasser une démarche plus contextualiste qui les destine à analyser leur objet dans son environnement historique, social, économique et politique avec une finalité plus analytique. Amina Ali Said évoque ainsi sa difficulté à s’éloigner des cadres disciplinaires du droit privé pour adopter une démarche d’analyse contextuelle propre aux sciences sociales afin d’étudier son objet de recherche, la fiducie. Alors que la dimension technique de l’institution étudiée la prédestinait a priori à proposer une amélioration du régime juridique prévu dans le Code civil, sa comparaison des différents systèmes de la zone de l’Océan Indien l’a plutôt amenée à insister sur l’importance des contextes politiques, historiques et juridiques pour expliquer les différences avec la France. Dans ces circonstances, peut-on s’autoriser et se contenter d’adopter une démarche descriptive pour expliquer les singularités contextuelles, en s’éloignant alors de la démarche prescriptive dominante du champ ? Dans le cadre de notre discussion croisée avec Amina Ali Said, nous nous sommes interrogées sur la finalité de la recherche, et notamment sur l’injonction à son applicabilité, alors qu’une démarche intellectuelle déchargée des attentes utilitaristes peut se révéler plus heuristique pour la science.
Ce sont aussi ces mêmes interrogations sur la légitimité de la recherche menée, qui ont conduit Vanille Ruiller à se demander s’il lui était possible de faire une étude sur un objet partagé par les sciences sociales et, qui plus est, une expression mobilisée telle quelle par les acteurs dans la compétition politique (au sens de politics) : les valeurs de la République. Les objets d’étude dits multidimentionnels, amènent à mobiliser des ressources, des concepts et des démarches propres à d’autres disciplines scientifiques. L’intérêt du traitement de ces sujets pour la recherche juridique réside dans l’intégration des dimensions extrajuridiques de l’objet pour en proposer une analyse juridique pertinente. Toutefois, par habitus disciplinaire, les doctorants qui s’y confrontent peuvent errer dans leur démarche en cherchant à « dépolitiser » leur sujet ou encore à le « juridiciser », en le rattachant exclusivement aux manifestations expresses et formelles du droit. Cette attitude s’explique parce que l’euphémisation des enjeux politiques du droit pèse encore durablement sur la recherche en droit51Sur l’euphémisation des enjeux politiques du droit et l’apolitisme du savoir juridique, V. la contribution d’Anne-Sophie Chambost dans le dossier.. La légitimité du traitement de sujets partagés par les sciences sociales, la juridicité des modes de questionnement, le positionnement du chercheur par rapport à son champ de connaissance, sont alors autant de thématiques qui ont animé les échanges de Vanille Rullier et de Véronique Champeil-Desplats sur la base de ces difficultés méthodologiques.
Bien que répandue par son ancienneté52V. notamment Clio@themis n° 13 Du comparatisme au droit comparé, Regards historiques, octobre 2017. V. également Y. Falélavaki, L’histoire d’une conversion : la doctrine française du xixe siècle et le recours à la comparaison juridique, Thèse, Rennes, 2016., la démarche comparative soulève des interrogations nombreuses dans l’espace juridique. Parce qu’elle invite à procéder à l’explication des différences entre les ordres juridiques en étudiant la structure des sociétés concernées, leurs idéologies et leurs croyances53H. Muir Watt, « Droit- Droit comparé », Encyclopædia Universalis. https://www.universalis.fr/encyclopedie/droit-droit-compare/., l’enjeu de la comparaison se cristallise plus sur la production de connaissances sur le droit et moins sur une mise en ordre de l’ordre juridique – même si elle peut y aboutir54H. Muir Watt, « Droit- Droit comparé », Encyclopædia Universalis. https://www.universalis.fr/encyclopedie/droit-droit-compare/.. Marie-Claire Ponthoreau observe en ce sens comment la doctrine comparatiste a connu au cours des années 2000 son « methodological turn » invitant à privilégier l’ouverture aux sciences sociales, en articulant la norme juridique aux différents contextes (linguistique, historique, social, politique…), et à se détourner ainsi de la démarche positiviste et techniciste. Or, cette approche est très peu encouragée et valorisée dans le champ juridique car elle s’éloigne des orientations de la discipline. Si l’on rajoute à ce constat que la comparaison requiert beaucoup de temps et d’application, on comprendra qu’elle soit si peu plébiscitée dans le champ juridique. Tout en observant une nette évolution ces dernières années, Agnès Vidot et Wanda Mastor s’interrogent sur le fait que les doctorants ne soient nullement encouragés à adopter une démarche comparative en France, alors que cette démarche est au cœur de la recherche scientifique et empruntée, à ce titre, très largement dans les thèses en sciences sociales55V. O. R enaud, J.-F. S chaub et I. Thireau (dir.) Faire des sciences sociales, T. 2, Comparer, EHESS, Coll. Cas de figure, 2012 (open book)..

    B.  Le reflet des tensions entre fermeture et ouverture du champ juridique

En filigrane des questions de légitimité de la recherche, les débats ont souligné le poids des processus de recrutement dans la constitution des choix méthodologiques. En effet, plus qu’une activité de production de connaissances nouvelles, la recherche constitue surtout un véritable « brevet institutionnel »56S. Mouton, « Le rôle du directeur de thèse et de l’enseignant chercheur », in B. Sergues (dir.), op. cit., p. 145-156, n° 13 (en ligne sans pagination)., certifiant que tout un ensemble de codes disciplinaires sont respectés par le chercheur. Une thèse est supposée produire un savoir légitime et labellisé. C’est en observant si les canons de la discipline sont respectés, si la pensée observe certaines exigences, que l’on est en mesure de déterminer si la qualité d’un travail mérite d’être reconnue. Or, derrière le « contrôle de la production du discours »57M. Foucault, L’ordre du discours, Pléiade, 1971, rééd. 2015, p. 240., se joue l’enjeu central de « la reproduction de la culture universitaire dominante »58P. Bourdieu, Homo Academicus, op. cit., p. 30., selon les termes empruntés à Pierre Bourdieu. Si la légitimité de la recherche sur le droit pose question, c’est que les partisans de la recherche doctrinale sont très majoritaires dans le champ59Sur la doctrine juridique comme pouvoir et comme corps, v. P. Jestaz, C. Jamin, « L’entité doctrinale française », op. cit., occupent les positions institutionnelles pour les recrutements et qu’ils n’encouragent donc pas les jeunes chercheurs à s’éloigner de la recherche en droit. La plupart des chercheurs en poste, qui se trouvent en position d’évaluer les travaux des jeunes chercheurs et de les recruter, sont dans l’attente de la production d’un savoir utile pour l’ordre juridique, autrement dit, d’un savoir qui trouve une résonnance dans le droit positif et qui aura vocation à s’appliquer. Ces attentes d’une finalité praticienne et appliquée de la recherche ressortent de la littérature scientifique60V. notamment, H. Croze, « Recherches juridiques et professionnalisation des études de droit », D. 2005, p. 908., notamment de celle qui porte sur la transformation de l’Université61V. notre contribution dans le dossier.. À partir du XIXe siècle, la fonction de recherche à l’Université s’est mise à cohabiter avec les fonctions de transmission et de formation professionnelle dans l’enseignement supérieur62C. Charles et J. Verger, Histoire des universités. xiie-xxie siècles, PUF, coll. Quadrige manuels, 2012, p. 88. de sorte que la profession est venue guider la recherche au détriment de la science. L’enseignement se spécialise, devient plus pratique et utilitariste63Ibid.. Des résultats de l’étude récente menée sur « la recherche juridique vue par ses acteurs »64B. Sergues (dir.), op. cit. et d’autres travaux65V. notamment J.-J. Sueur, S. Farhi, Pratique(s) et enseignement du droit. L’épreuve du réel, Paris, LGDJ, 2016., il ressort que la recherche juridique est particulièrement imbriquée dans la culture praticienne des facultés de droit françaises. Xavier Bioy66X. Bioy, « La signification du terme « recherche » dans le champ de la science juridique », op. cit. et Albane Geslin relèvent ainsi que la méthode de recherche est très étroitement associée à la pratique du droit67A. Geslin, « L’importance de l’épistémologie pour la recherche en droit », in B. Sergues (dir.), op. cit. p. 79-130, n° 72 (en ligne sans pagination).. La propension à s’appliquer de la recherche sera d’autant plus exigée si le directeur de thèse est lui-même un « professionnel » du droit68Sur la qualité de « professionnels du droit » des Professeurs de droit, v. F. Audren, A.-S. Chambost et J.-L. Halpérin, Histoires contemporaines du droit, op. cit., p. 80. et qu’il « cumule »69V. H. Croze, « Confessions d’un cumulard – Essai de schizophrénie juridique », Gaz. Pal., 28-30 oct. 2012, p. 10. la casquette d’enseignant-chercheur et celle de praticien. Dans ces circonstances, Jacques Commaille observe que le jeune juriste chercheur sera amené à jouer sur la subtilité de registre existant entre le monde académique et la pratique professionnelle70J. Commaille, A quoi nous sert le droit ?, op. cit. p. 16..
Ces attentes praticiennes se manifestent sur les méthodes de recherche qui entretiennent une confusion consciente entre la science et la technique71Sur les rapports d’association et de dissociation entre la science et la technique, v. F. Gény, Science et technique en droit privé positif, Nouvelle contribution à la critique de la méthode juridique, Paris, Sirey, 1913.. Il ressort de la littérature scientifique que la méthode de recherche n’est en effet pas distinguée de la méthode de production et d’application du droit72V. de manière significative J.-L. Bergel, « Ébauche d’une définition de la méthodologie juridique », Cahiers de méthodologie Juridique, n° 5, 1990, RRJ 1990-4, réédité in Cahiers de méthodologie Juridique, n° 20, Rétrospectives et perspectives de recherche en méthodologie juridique, RRJ n° spécial, PUAM, 2005 p. 2649. V. également J.-L. Bergel, « Méthodologie juridique », in D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique française, op. cit., p. 1021-1024.. C’est au moyen de la technique juridique qu’il est possible de raisonner en droit : trancher un litige, élaborer une loi, interpréter une loi, emporter la conviction du juge (argumenter, persuader), rédiger et négocier un contrat, ou encore… faire de la recherche pour œuvrer au meilleur fonctionnement de l’ordre juridique. On comprend alors que des doctorants puissent s’interroger sur le fait de « faire du droit », lorsqu’ils s’éloignent de la démarche prescriptive73En ce sens v. notamment A.-S. Chambost, « “Ce n’est pas du droit…”. L’histoire des idées politiques est-elle utile en droit ? », Revue d’histoire des facultés de droit et de la culture juridique, 2015, n° 35, p. 497-538. V. également la réponse de Véronique Champeil-Desplats à Vanille Rullier dans ce dossier.. Contrairement aux pays de common law, le juriste chercheur et universitaire (legal academic ou legal scholar) n’est pas distingué du juriste praticien (lawyer)74R. Encinas de Munagorri, S. H ennette-Vauchez, C. M iguel Herrera, O. L eclerc, L’analyse juridique de (x). Le droit parmi les sciences sociales, Kimé, Paris, 2016, p. 21.. Les codes à acquérir sont donc mêlés d’exigences académiques et de savoir-faire pratique. Le chercheur est ainsi invité à argumenter comme pourrait le faire un avocat et à prendre position – c’est à dire à trancher –, comme pourrait le faire un juge, et non à expliquer un phénomène de façon descriptive comme un scientifique75« Nos “théories” ne sont pas des explications de phénomènes mais des montages argumentatifs qu’utilisent (tout du moins avons-nous la faiblesse de le croire et de l’espérer) implicitement ou explicitement les décideurs (législateurs, administrations, sociétés commerciales ou civiles, avocats, juges, …) » : X. Bioy, « La signification du terme « recherche » dans le champ de la science juridique », op. cit. n° 5 (en ligne sans pagination)..
On observe malgré tout, ces dernières années, que les jeunes chercheurs sont portés vers une dynamique d’ouverture du savoir juridique et notamment vers les sciences sociales. Des travaux récents, encore minoritaires mais de plus en plus nombreux, invitent à sortir des exigences praticiennes de la discipline et surtout de la compartimentation des champs du savoir qui réserverait aux juristes la technique et aux sciences sociales le contexte. Cette dynamique n’est pas sans rappeler l’ouverture des juristes humanistes de la Renaissance qui avaient entrepris une vaste réforme de l’étude du droit pour l’appréhender à l’aide de l’ensemble des savoirs académiques en abolissant les frontières. Xavier Prévost présente cette démarche en démontrant dans quelle mesure elle peut être fructueuse pour la recherche juridique actuelle. Penser sans frontières pour un juriste consiste d’abord à comprendre qu’il n’existe pas d’objet « naturel » à l’analyse juridique76R. Encinas de Munagorri, S. H ennette-Vauchez, C. M iguel Herrera, O. L eclerc, op. cit.,. Le juriste peut seulement être amené à proposer une analyse juridique de son objet en contexte grâce à son outillage conceptuel77Ibid.. Là où cette recherche sur le droit était initialement menée par les chercheurs d’autres disciplines – politistes, sociologues, anthropologues, etc. – dans d’autres structures que les facultés de droit78V. J. Chevallier, « Doctrine juridique et science juridique », op. cit., elle est aujourd’hui plébiscitée par certains juristes et accueillie dans leur institution. Les travaux des jeunes chercheurs prenant l’enseignement et la recherche en droit comme objets d’étude79V. par exemple G. Richard, Enseigner le droit public à Paris sous la Troisième République, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des thèses, vol.150, 2015 ; K. Brémond, Une histoire politique des facultés de droit : l’image des facultés de droit dans la presse quotidienne d’information nationale sous la Troisième République (1870-1940), Thèse, Bordeaux, 2018., faisant directement usage des méthodes empiriques propres aux sciences sociales80V. par exemple, D. Villegas, L’ordre juridique mafieux : étude à partir du cas de l’organisation criminelle colombienne des années 1980 et 1990, Préf. N. Molfessis, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, Vol. 180, Dalloz, 2018., ou encore étudiant les dispositifs normatifs et les concepts juridiques par leurs dimensions idéologiques, sociales et politiques81Pour n’évoquer que des publications très récentes, v. par exemple, C. Morio, L’administré. Essai sur une légende du droit administratif, préf. N. Kada, LGDJ, Coll. Bibliothèque de droit public, T. 320, 2021 ; H. Orizet, Le service public de l’éducation nationale sous la troisième république, préf. G. Bigot, LGDJ, Bibliothèque de droit public, 2021 ; C. Aubry de Maromont, Obligatio, l’idéologie d’un concept, Avant-propos A.-S. Chambost, préf. P. Briand, LGDJ, Bibliothèque d’histoire du droit et de droit romain, à paraître. sont autant d’illustrations récentes de cette ouverture. La réception favorable de ces travaux au sein de la communauté juridique est le signe que les facultés de droit et leurs chercheurs sont dans un mouvement qui transforme les rapports de force du champ82Ou soulignera aussi que des chercheurs formés par d’autres disciplines ont pu être recrutés chez les juristes montrant la volonté de décloisonner les cadres du savoir juridique : V. O. Beaud, « Le regard du juriste », préface à R. Baumert, La découverte du juge constitutionnel, entre science et politique, LGDJ, Fondation Varenne, vol.33, 2009. Olivier Beaud évoque le recrutement de Renaud Baumert, politiste de formation, chez les juristes. On soulignera également que les travaux de chercheurs formés par d’autres disciplines peuvent enrichir la science juridique. V. par exemple G. Sacriste, La république des constitutionnalistes. Professeurs de droit et légitimation de l’État en France (1870-1914), Les Presses de SciencesPo, 2011 ; C. Bovieux-Onyekwelu, Croire en l’État : une genèse de l’idée de service public en France (1873-1940), éd. du Croquant, coll. Sociologie historique, 2020.. Par leur expérience au Conseil National des Universités, plusieurs contributeurs au dossier racontent comment les règles du champ se sont modifiées pour évaluer les travaux dits à la marge ou pluridisciplinaires et comment ils sont actuellement mieux accueillis83V. notamment les contributions de Wanda Mastor et de Véronique Champeil-Desplats dans la première partie du dossier..
Les incertitudes rencontrées par les doctorants sur la légitimité de leur démarche s’expliquent donc parce que les codes de leur discipline ne font pas consensus et qu’ils sont toujours en discussion, sans qu’ils aient seulement conscience de ces enjeux. Comme nous l’avons relevé en introduction, si l’hypertrophie de la recherche doctrinale perdure dans les facultés de droit en France, le champ juridique se reconfigure au gré de l’ouverture progressive du savoir aux sciences sociales. Cette reconfiguration n’est plus la même que celle qui avait été envisagée à la fin du XIXe siècle, car les disciplines se sont transformées et spécialisées84V. G. Calafat, A. Fossier et P. Thévenin, « Droit et sciences sociales : les espaces d’un rapprochement », Tracés. Revue de Sciences humaines, 27, 2014, p. 7-19 ; B. Dupret, Droit et sciences sociales, Armand Colin, 2006 ; F. Audren et J.-L. Halpérin, « La science juridique entre politique et sciences humaines », Revue d’histoire des sciences humaines, 4, 2001, p. 3-7 ; A. Vauchez, « Entre droit et sciences sociales. Retour sur l’histoire du mouvement Law and Society », Genèse. Sciences sociales et histoire, 45, 2001, p. 134-149.. Véronique Champeil-Desplats expose cette évolution dans le dossier en comparant les conceptions de la sociologie de Léon Duguit à la fin du XIXe siècle et celle de Pierre Bourdieu un siècle plus tard. Mais quelle que soit la forme de l’ouverture, elle s’opère bel et bien et les juristes se trouvent aujourd’hui confrontés de façon accrue « à des problématiques d’entrecroisement, de déplacement, voire de dépassement de leur savoir disciplinaire »85V. la contribution de Véronique Champeil-Desplats en réponse à Vanille Rullier dans le dossier.. L’incertitude ressentie par les doctorants est donc bien normale car il n’existe pas une mais plusieurs manières de produire des résultats de recherche86V. Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, op. cit. p. 9..

III. Les difficultés liées à l’utilisation de nouvelles méthodes de recherche

    A.   De la difficulté à emprunter des méthodes de recherche transverses

Si le maintien d’une place hypertrophique de la doctrine au sein du champ juridique fait perdurer des problèmes de méthode anciens, l’ouverture du champ aux sciences sociales fait émerger des enjeux de méthode nouveaux. Les doctorants qui s’éloignent des codes dominants de la discipline cumulent les difficultés puisqu’ils se confrontent aussi aux écueils attachés à l’utilisation des méthodes de recherche qui ne sont pas propres au monde juridique.
En premier lieu, émerge la difficulté de comprendre et de faire comprendre leur démarche. C’est l’un des résultats importants de nos discussions de laboratoire. Guidés par la soif de découverte qu’appelle leur sujet de thèse, les jeunes chercheurs n’ont pas toujours conscience des chemins qu’ils sont en train d’emprunter. Ce constat est renforcé lorsque la recherche les amène à prendre des « lignes transverses »87R. Encinas de Munagorri, S. H hennette-Vauchez, C. miguel Herrera, O. leclerc, op. cit., p. 23. autrement dit à entrecroiser différents domaines du savoir comme le racontent Amina Ali Said et Vanille Rullier. Comment justifier une démarche exclusivement descriptive alors que la recherche en droit repose sur un réflexe prescriptif ? Comment expliquer l’utilisation de ressources, de concepts et de démarches propres à d’autres disciplines alors que l’approche interne au langage du droit est suffisante pour mener une recherche en droit88Sur la logique internaliste du droit, v. par exemple, P. Amseleck, « L’interpellation actuelle de la réflexion philosophique par le droit », Droits, T. 4, 1986, p. 132. ? Comme l’observent les auteurs de L’analyse juridique de (x) : « emprunter des lignes transverses, obliques, voire perpendiculaires ce qui est courant, normal, attendu dans un contexte donné, c’est prendre le risque d’une certaine incompréhension »89R. Encinas de Munagorri, S. H ennette-Vauchez, C. M iguel Herrera, O. L eclerc, op. cit.. On comprend alors mieux pourquoi les introductions de thèse intègrent de plus en plus des développements épistémologiques et méthodologiques destinées à préciser « d’où parle » le chercheur90Sur la « situation » du travail de recherche, v. X. Prévost, « Le droit parmi les sciences humaines et sociales. Quelques considérations d’un historien du droit sur la recherche juridique », Conférence prononcée le 18 novembre 2019 (en ligne). en droit et quel chemin il a adopté91Pour un exemple récent, v. J.-B. Jacob, La valeur dans la jurisprudence constitutionnelle, sous la dir. de D. Rousseau, soutenue en 2019, Université Paris I Panthéon Sorbonne, p. 4.. Comme si ce chemin n’était pas ou plus si évident…
Les doctorants qui s’éloignent des codes dominants de la discipline, peuvent aussi ressentir un certain vertige. S’engager dans d’autres champs de connaissance invite à fournir des efforts importants pour sortir de l’habitus disciplinaire et assimiler des pans entiers de nouveaux savoirs scientifiques92Sur le poids des habitudes dans la façon de penser le droit v. P. Deumier, « L’habitude et les sources vivantes du droit », in C. Aubry de Maromont et F. Dargent (dir.), L’habitude en droit, Institut Universitaire Varenne, coll. Colloques & Essais, 2019, spéc. p. 65, spéc. p. 76.. Au-delà de la perte de repères à laquelle l’ouverture confronte, la singularité du discours scientifique par rapport au discours doctrinal réside dans l’importance accordée à la méthode entendue au sens des procédés utilisés pour produire des connaissances scientifiques93M. Deslandres, « La crise de la science politique. Le problème de méthode », RD publ. 1900, p. 247.. Ces exigences sont au cœur de la littérature académique sur la méthode en sciences et en sciences sociales. La méthode de recherche scientifique, qui se distingue de la technique juridique à laquelle les juristes ont été formés au cours de leurs études, consiste dans la production des connaissances selon certaines règles et certaines procédures rigoureuses et précises (observations, mise à l’épreuve d’hypothèses, constitutions d’échantillons, analyse de discours…)94« […] pour constituer des connaissances valides, du point de vue des sciences sociales, ces connaissances doivent être produites selon certaines règles et certaines procédures rigoureuses auxquelles le sens commun n’est pas tenu (problématique argumentée, définition précise des concepts, mis à l’épreuve d’hypothèses, constitution d’échantillon, observations systématiques, etc.). C’est ce caractère méthodologique construit […] qui confère à la connaissance scientifique, dans les sciences sociales comme dans d’autres disciplines, sa validité propre, à laquelle le sens commun ne saurait prétendre » : L. van Campenhoudt et R. Quivy, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod, 4e éd., 2011, note 1, p. 19. mais aussi à inscrire ces connaissances dans un cadre d’analyse précis pour structurer la recherche95« Le cadre théorique sert de cadre de référence pour confronter les données observées dans le réel au moyen de méthodes d’investigation précises en vue de proposer des réponses savantes aux questions de recherche formulées par le biais de la problématique » : ibid., p. 88. : celui de controverses scientifiques permettant, à partir d’une maîtrise de l’état de la littérature existant, de discuter et de faire avancer le savoir. Les sciences sociales, par exemple, en valorisant l’empirie, ont ainsi recourt à des méthodes d’investigation spécifiques, à des procédures formalisées de production et d’interprétation des résultats et des techniques de récolte et d’analyse des données (approches qualitatives et quantitatives, entretiens semi-directifs, étude des archives, observation de lieux, etc.)96V. M. Grawitz, Méthode des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2001 (avec R. Pinto, 1re éd., 1964 ; 2e éd., 1967).. Ces outils visent d’abord à produire des informations et à disposer des données nécessaires à la description des phénomènes sociaux observés. Ils servent ensuite comme éléments de preuve afin de valider ou d’invalider des hypothèses posées.
Face à ces nouveaux champs d’investigations, les doctorants du Centre de Recherche Juridique se sont demandé si le défaut de maîtrise de la méthode ne constituait pas un obstacle sérieux à leur démarche97V. notamment le cas d’étude posé par Vanille Rullier dans le dossier.. Combiner des approches plurielles, utiliser des ressources extra-juridiques ou encore des concepts de disciplines voisines, met le jeune chercheur à rude épreuve intellectuelle. Plus matériellement, l’accès aux sources se présente aussi comme un obstacle majeur parce que le doctorant ne saura pas nécessairement où chercher, ni comment accéder aux données. Mais les contributeurs au dossier relativisent ces craintes en rappelant que l’utilisation des sciences sociales ne peut se réaliser qu’en tenant compte des spécificités du champ juridique. Si elle suppose nécessairement un degré d’initiation, elle invite surtout à la prudence98V. la contribution de Véronique Champeil-Desplats en réponse à Vanille Rullier dans la première partie du dossier. et à l’humilité. L’entrecroisement des différents champs du savoir doit être raisonné et justifié. À l’occasion d’un entretien que Diana Villagas a bien voulu nous accorder pour nous faire part de son expérience de thèse de droit privé l’ayant amenée à recourir à des méthodes empiriques99La thèse de Diana Villegas qui porte sur « L’ordre juridique Mafieux », récemment soutenue et publiée (op. cit.), repose sur l’usage d’archives et d’entretiens pour traiter du pluralisme juridique et envisager les rapports entretenus entre les différents groupes sociaux et l’État. Diana Villegas a dépouillé des dossiers judiciaires, mené des entretiens avec des juges, des avocats, des journalistes, des habitants de quartiers. Elle analyse ainsi les discours et les représentations dont ils sont porteurs., l’exigence de justification et d’explication de la démarche a été sans cesse rappelée100Entretien réalisé par skype le lundi 7 décembre 2020.. Diana Villegas a, en outre, mis en avant l’importance de croiser les méthodes observationnelles avec une démarche plus classique et familière aux juristes eu égard aux attentes et contraintes du champ juridique. Là encore, l’introduction de la thèse aura un rôle fondamental à jouer dans la justification de la démarche. Les juristes ne sont pas des chercheurs en sciences sociales comme les autres, nous rappelle Yannick Ganne en prenant l’exemple des juristes américains dont le champ est ouvert aux sciences sociales depuis longtemps. On ne peut donc pas attendre – et tant mieux ! – qu’ils se réinventent en sociologues, en politistes ou encore en anthropologues.

    B.   Le reflet des tensions entre le maintien d’une formation juridique doctrinale et une pression forte vers l’ouverture aux sciences sociales

Si des difficultés attachées à l’usage de nouvelles méthodes de recherche se posent, c’est que les juristes n’y sont pas formés, mais que la tension de l’ouverture est trop forte pour résister à l’emprunt des lignes transverses. La formation à la méthode de recherche scientifique n’est pas promue au sein des facultés de droit françaises, contrairement à d’autres parcours, notamment en sciences sociales. Ce constat est corrélé à la faible place faite à l’interdisciplinarité101A. Bailleux, F. O ost, « Droit, contexte et interdisciplinarité : refondation d’une démarche », op. cit.. La situation est différente dans d’autres pays, aux États-Unis ou encore en Colombie par exemple, où les étudiants en droit sont formés aux sciences sociales. C’est après avoir été initiée aux études de terrain en Colombie, que Diana Villegas a eu le réflexe méthodologique mais surtout la compétence de pouvoir recourir aux entretiens semi-directifs et à la démarche observationnelle pour sa thèse. Mener une recherche scientifique sans empirie était inenvisageable pour elle. Si ces réflexes ne sont pas adoptés par les doctorants français, du moins en première intention, c’est qu’ils sont formés par un enseignement doctrinal et technique qui ne les y prépare pas. C’est ce malaise qui a, entre autres, été soulevé par les créateurs de l’École de droit de Sciences Po102V. C. Jamin, La cuisine du droit. L’École de Droit de Science Po : une expérimentation française, op. cit. V. également les trois lectures croisées de l’ouvrage de Christophe Jamin de la revue Grief (2014, 1) : F. Belivier (« Sciences Po cuisiné par la faculté (et vice versa) »), M. Xifaras (« Ce que l’école de droit de Sciences Po n’est pas »), L. Israël (« Le goût des autres. La Cuisine du droit vue par une sociologue »). et notamment par Christophe Jamin afin de proposer une alternative à la formation française des juristes par la doctrine. Si la situation des facultés de droit n’a guère changé depuis, on observe pourtant que l’ouverture s’effectue sans réforme fondamentale de la formation parce que les jeunes chercheurs trouvent, en bricolant, à s’inspirer d’autres modèles, promus par d’autres institutions françaises ou étrangères, mais aussi parce que l’open access révolutionne l’accès au savoir et à la méthode103Sur les liens entre savoir juridique et science ouverte v. les recherches bibliométriques : A. Sahu, et P. Jena, « Growth of Open Access Law Research Articles seen through DOAJ : A Bibliometric Analysis », in Library Philosophy and Practice (e-journal) [en ligne]. 1er janvier 2020. Disponible à l’adresse : https://digitalcommons.unl.edu/libphilprac/4725 ; U.-Y. Shah, F.-A. Loan et N. Jan, « Open Access Legal Studies Journals », in DOAJ An Analytical Study. 2018 5th International Symposium on Emerging Trends and Technologies in Libraries and Information Services (ETTLIS). février 2018. p. 217220. V. également du point de vue de la loi pour une République numérique : L. Maurel, « Quelles perspectives pour l’Open Access en sciences juridiques après la loi « République numérique » ? », in Journal of Open Access to Law [en ligne]. 2017. Vol. 5, n° 1, Disponible à l’adresse : https://hal.parisnanterre.fr//hal-01574798. Sur la pratique d’accès ouvert des chercheurs, toutes disciplines confondues, v. enfin, F. Rousseau-Hans, C. O llendorff et V. Harnais, « Les pratiques de publications et d’accès ouvert des chercheurs français en 2019 » Analyse de l’enquête 2019, Consortium Couperin. Les rapports Couperin 2020 Disponible à l’adresse : https://hal-cea.archives-ouvertes.fr/cea-02450324v2/document.
Certaines missions confiées aux universitaires par des instances publiques invitent en outre les juristes à travailler de concert avec des universitaires d’autres disciplines et à emprunter eux-mêmes la démarche des sciences sociales pour participer à l’action publique. Ils endossent alors la casquette d’« ingénieurs du social » selon l’expression usitée par toute une série de juristes du début du XXe siècle. En prenant pour appui les recherches financées par la mission droit et justice (dans le cadre des Groupements d’Intérêt Public), Stéphane Gerry-Vernières expose ainsi comment les juristes peuvent être amenés à emprunter une démarche empirique. La recherche actuellement en cours sur la place de la coutume à Mayotte qui mobilise plusieurs chercheurs de l’Université de La Réunion et d’autres Universités, juristes, anthropologues et sociologues, se réalise ainsi au moyen d’une démarche observationnelle et d’entretiens semi-directifs, encouragés par les modalités et les exigences de cet instrument104Ce GIP, qui s’inscrit dans le cadre de la mission de recherche droit et justice, a été lancé au cours de l’année 2018 et devrait s’achever au cours de l’année 2022. Il est codirigé par Hugues Fulchiron de l’Université de Lyon III, Étienne Cornut de l’Université de Nouvelle-Calédonie, Aurélien Siri du centre Universitaire de Mayotte et Élise Ralser de l’Université de La Réunion.. Il est extrêmement intéressant d’observer, dans un contexte de réduction des financements de l’État et de réformes néolibérales du secteur de l’enseignement supérieur, comment les instruments de financement de la recherche publique peuvent organiser et influencer les méthodologies des chercheurs. Des trajectoires plus personnelles et notamment des rencontres et voyages (programme Erasmus, échanges et déplacements de chercheurs, thèses de droit comparé, colloques internationaux etc.), peuvent, enfin, amener à se confronter et à importer de nouvelles façons de faire de la recherche et de comprendre le droit. Il n’est pas anodin que plusieurs contributeurs de ce numéro, qui sont aussi des acteurs de cette dynamique d’ouverture, aient été amenés à transformer leur façon de concevoir le droit et la science du droit après un séjour à l’étranger105Nous pensons notamment à Pierre-Emmanuel Audit, Yannick Ganne, Wanda Mastor, Agnès Vidot, ou encore à Diana Villegas.. Les savoirs circulent parce que les juristes voyagent106Sur « Le juriste en voyageur » v. F. Audren, A.-S. Chambost et J.-L. Halpérin, Histoires contemporaines du droit, op. cit., p. 267.. Il n’est pas non plus anodin que l’initiative de notre recherche collective soit partie d’un laboratoire à la fois pluridisciplinaire mais aussi géographiquement situé loin de la métropole, au cœur de l’Océan Indien et où le contexte est probablement plus favorable aux démarches comparatives et pluralistes du droit107On soulignera notamment les activités de l’association LEXOI, « Le droit dans l’Océan indien » qui a pour objet de promouvoir le droit dans l’Océan Indien sous toutes ses formes, en partenariat avec l’Université de La Réunion et la Société de législation comparée : https://droit-oi.univ-reunion.fr/.
Au-delà des mutations institutionnelles et des trajectoires personnelles qui invitent à l’ouverture des méthodes, c’est notre objet d’étude lui-même, le droit, qui y contraint. À la conception d’un droit produit exclusivement par l’État, et pensé en surplomb de la société (top down), s’est substitué, ces dernières années, la conception d’un droit émanant de la société (bottom up ou from bellow), c’est à dire des acteurs du bas, par l’action de tout un ensemble de parties prenantes108Sur l’arme de revendication que constitue le droit, v. C. Herrera, Par le droit, au delà du droit. Textes sur le socialisme juridique, Paris, Kimé, 2002 ; L. Israël, L’arme du droit, Paris, Les Presses de Sciences po, 2009.. Or, si la démarche doctrinale s’accommode bien d’une dimension verticale du droit et des politiques publiques, elle s’accommode bien moins d’un droit plus horizontal, émanant de la société et pensé comme un instrument de la gouvernance au service de l’action publique109V. C. Aubry de Maromont, « La discipline juridique à l’épreuve du biodroit », in C. Pomart et C. Kuhn (dir.), Corps humain, technologies et Droit, Institut Universitaire Varenne, coll. Colloques & Essais, 2021, à paraître.. Comme l’observe Mauricio Garcia Villegas dans son étude comparée des champs juridiques en France et aux États-Unis,

« Plus le droit est proche du pouvoir, plus il sera autonome et plus la connexion entre le droit et les sciences sociales sera faible. À l’opposé, plus le droit est proche de la société et du marché, plus sera faible l’autonomie de la doctrine juridique et plus sera forte la connexion entre le droit et les sciences sociales »110M. Garcia Villegas, « Champ juridique et sciences sociales en France et aux États-Unis », in L’année sociologique, 2009/1, vol. 59, p. 29-62, spéc. p. 55..

Les transformations de la conception du droit, par les évolutions, sur le temps long, des modalités d’intervention de l’État, influent sur la science du droit111Sur les interactions du droit et de la science du droit, v. R. Baumert, « Les programmes doctrinaux en droit constitutionnel », Jus Politicum, n° 24, http://juspoliticum.com/article/Les-programmes-doctrinaux-en-droit-constitutionnel-1338.html. C’est ce résultat très stimulant que propose Mauricio Garcia Villegas à la communauté scientifique. Pour ce dossier, nous n’avons malheureusement pas trouvé de contributeur pour explorer cette dimension de l’ouverture du droit au regard de la trajectoire historique et sociale de l’État. Il nous semble pourtant que ce résultat mériterait d’être plus systématiquement testé, parce que les mutations de la conception du droit de la verticalité à l’horizontalité font consensus dans la littérature scientifique. Les importants travaux menés, notamment, par les écoles de norme sur la transformation des sources du droit112V. la publication la plus récente : C. Thibierge et alii, La garantie normative. Exploration d’une notion-fonction, Mare&Martin, 2021 ; V. également N. Martial-Braz, J.-F. R iffFFard, M. Behar-Touchais, Les mutations de la norme. Le renouvellement des sources du droit, 2011., sur le droit souple113V. notamment C. Thibierge, « Le droit souple, réflexion sur les textures du droit », RTD civ. 2003, p. 599., le droit global114V. notamment B. Frydman, Comment penser le droit global ?, Working Papers du Centre Perelman de Philosophie du Droit, 2012/01, http://wwwphilodroit.be., le droit vivant115V. notamment P. Deumier, Le droit spontané, préf. J.-M. Jacquet, Économica, coll. Recherches Juridiques, 2002., mais aussi l’interactionnisme116E. Jeuland et E. Picavet, Interactionnisme et norme. Approche transdisciplinaire, IRJS éditions, Coll. Bibliothèque de l’IRJS – André Tunc, T. 68, 2016., en sont le reflet le plus significatif. Ces recherches invitent à basculer vers une étude d’un « droit en train de se faire », d’un « droit en action »117B. Latour, La science en action, Introduction à la sociologie des sciences, La découverte, Folio, 1989 (Science in Action – Haw to Follow Scientits and Engineers throught Society, Cambridge and London, Harvard UP, 1987). que les méthodes contextuelles du droit permettent de réaliser. Pour illustrer mais aussi encourager ces mutations, Anne-Marie Ho Dinh et Diana Villegas proposent d’intégrer des sources audiovisuelles dans la recherche juridique française. Ces sources sont particulièrement intéressantes pour le chercheur en droit qui souhaite s’ouvrir au contexte d’élaboration et d’application de la norme. Elles permettent de dépasser l’approche exclusive de l’écrit qui s’accommode très bien de l’approche formelle et doctrinale mais beaucoup moins d’une approche contextuelle et interdisciplinaire. Le droit est une construction sociale en pleine mutation qui transforme la science qui s’y rapporte.

Conclusion

Les études sur la méthode de recherche en droit sont promises à un bel et heureux avenir dans les facultés de droit françaises. Le champ à explorer est encore immense. Ce dossier ne propose qu’une contribution marginale à une littérature en plein essor. Son originalité est surtout d’associer l’observation en laboratoire, les retours d’expériences et les réflexions épistémologiques des chercheurs sur le savoir juridique en faisant des allers-retours réguliers entre cette observation et la littérature académique sur le champ. Il sera intéressant d’observer quelles formes vont prendre les réflexions sur la méthode dans les années à venir et si elles permettront d’accélérer la dynamique de transformation du champ juridique. Ce sont là nos intuitions mais elles demeurent mêlées d’incertitudes et probablement de souhaits non objectifs. Il ne faut pas perdre de vue que les méthodes sont toujours le produit des rapports de force et des jeux de pouvoir entre les acteurs qui maîtrisent et organisent les règles du champ. Nous conclurons donc nos propos en empruntant ceux de Jacques Commaille : « Les certitudes du droit doivent désormais se confronter aux incertitudes du monde dans lequel il officie et dans lequel il évolue »118J. Commaille, Avant-propos de la thèse de A.-M. Ho Dinh, Les frontières de la science du droit. Essai sur la dynamique juridique, Préf. N. Molfessis, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, T. 583, 2018, p. VII..

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