Économie et fonctionnement de la reconnaissance mutuelle dans les règlements Bruxelles II et Bruxelles II bis*
Cyril NOURISSAT
Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3
*Préambule
Le style oral de l’intervention a été conservé. Ont été ajoutés quelques éléments d’actualisation ainsi que les notes de bas de page.
Introduction
Les règlements Bruxelles II et Bruxelles II bis1Règlement (CE) 2201/2003 du Conseil du 27 nov. 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (dit Bruxelles II). touchent au droit de la famille, au droit extrapatrimonial de la famille, plus précisément à la matière matrimoniale et à la responsabilité parentale. Parler de reconnaissance mutuelle, de confiance mutuelle dans cette sphère de la matière matrimoniale, de la responsabilité parentale peut a priori surprendre, dès lors qu’il est souligné que cette discipline, cette branche du droit demeure assez atypique au sein d’un titre IV du traité instituant la Communauté européenne qui, lui-même, est marqué par une originalité certaine.
En effet, évoquer le droit de la famille et plus précisément, pour reprendre les termes du traité, « les aspects du droit de la famille ayant une incidence transfrontière », oblige à constater que la matière requiert, et c’est la seule, l’unanimité des États membres pour pouvoir adopter des instruments, par exemple des règlements portant conflits de lois ou conflits de juridictions ; le Parlement européen n’étant associé que par le biais d’un simple avis. Le traité de Lisbonne, qui pourtant comporte un nombre important de bouleversements à propos de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, ne revient pas sur cette spécificité.
Donc, envisager une question de reconnaissance, de confiance, dans ces matières familiales, matrimoniales, peut surprendre. L’unanimité, qui est requise par le traité, trouve cependant ses limites en ce qu’elle conduit au minimum aujourd’hui à discuter de la nature familiale de telle ou telle institution avec, parfois, une réponse positive – c’est le tout récent règlement sur les obligations alimentaires évoqué précédemment2Règlement (CE) 4/2009 du Conseil du 18 déc. 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires ; sur ce règlement, cf. not. C. NOURISSAT, « Le règlement (CE) no 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires », Procédures 2009, chron. 6. –, parfois, une réponse négative – c’est ce que soutient actuellement la Commission européenne à propos de la proposition de règlement sur les successions3Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, COM(2009) 154 final, 14 octobre 2009 ; sur cette proposition de règlement, cf. C. NOURISSAT, « Le futur droit des successions internationales de l’Union européenne. À propos de la proposition de règlement du 14 octobre 2009 », Defrénois 2010, art. 39072..
Peut-on véritablement concevoir une reconnaissance mutuelle, une confiance mutuelle dans ces matières familiales alors qu’il se vérifie, au-delà , que les États membres ou, du moins, certains d’entre eux, semblent extrêmement sourcilleux de la préservation de leurs droits nationaux de la famille ? Preuve en est qu’il n’est pas impossible que cette « arlésienne » que constitue la coopération renforcée trouve, précisément et enfin, un terrain d’expérimentation dans cette matière. C’est, ici, renvoyer à l’hypothétique règlement Rome III, consacré notamment à la loi applicable au divorce mais aussi à l’instauration de clauses attributives de juridiction en matière matrimoniale4Proposition de Règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) no 2201/2003 en ce qui concerne la compétence et instituant des règles relatives à la loi applicable en matière matrimoniale, COM(2006) 399 final, 17 juillet 2006. Cf. depuis Proposition de règlement mettant en oeuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, COM(2010) 105 final, 24 mars 2010.. Observations complémentaire peut être faite que la Cour de justice s’inscrit d’une certaine manière dans ce registre lorsqu’elle a pu considérer, par exemple, que « la définition du mariage est une question de droit de la famille et que dès lors elle relève de la seule compétence des États membres »5CJCE, 7 janv. 2004, K.B., C-117/01, Rec. I- 541., ce qui lui permet en réalité et fort opportunément de ne pas avoir à répondre à une question un peu sensible tenant à l’analyse d’un partenariat conclu entre des personnes de même sexe.
Malgré ce constat, c’est pourtant précisément dans cette matière du droit de la famille, dans cette matière matrimoniale, qu’est apparu le premier règlement, du moins sur un plan chronologique, de l’espace judiciaire européen posant le principe de reconnaissance mutuelle entre des systèmes conçus comme a priori très différents. Différence marquée, qu’on envisage ces systèmes sous un angle substantiel – ce qui vient d’être évoqué – ou qu’on les analyse sous un angle procédural, comme il convient de le faire désormais.
Pour présenter l’économie, le fonctionnement de la reconnaissance dans les règlements Bruxelles II et Bruxelles II bis, sachant qu’à partir de maintenant référence sera faite principalement au règlement Bruxelles II bis, il est possible de se livrer à un commentaire analytique des principales dispositions du règlement, singulièrement du chapitre 3 de ce règlement. Et d’évoquer l’article 21 qui dispose que « les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une aucune procédure ». Et de s’interroger, après d’autres, sur le sens et la portée de l’article 46 qui dispose que « les actes authentiques reçus et exécutoires dans un État membre ainsi que les accords entre parties exécutoires dans l’État membre d’origine sont reconnus et rendus exécutoires dans les mêmes conditions que des décisions ».
Par ailleurs, plutôt que d’insister sur la coexistence au sein d’un même instrument de différentes voies de reconnaissance et d’exécution, à savoir, une voie traditionnelle – inspirée du modèle de la Convention de Bruxelles de 1968 et passant par un exequatur allégé –, une voie beaucoup plus nouvelle voire novatrice puisqu’elle inaugurait avant la lettre la voie dessinée depuis par le titre exécutoire européen6On pense, ici, aux règlements « TEE », « IPE » et « small claims »., il est apparu souhaitable, en s’inspirant de l’intitulé de cette première session qui nous réunit, de répondre à la question suivante : le règlement Bruxelles II bis fait-il appel à la confiance mutuelle, traduit-il la confiance mutuelle ? Plus encore, la pratique de ce règlement Bruxelles II bis, qui est aujourd’hui examinée sur près de trois ans, témoigne-t-elle de cette confiance mutuelle ? En d’autres termes, au travers des mécanismes de compétence, de reconnaissance qui sont édictés par le règlement et qui sont appliqués par le juge, la confiance mutuelle transparaît- elle et, au-delà , une culture judiciaire européenne commune se fait-elle jour au fil de l’abondante jurisprudence (publiée) à laquelle donne naissance ce règlement ?
La réponse paraît devoir être positive, à quelques nuances près. Pour donner et justifier cette réponse positive, des observations d’ordre général, puis, des observations particulières doivent être formulées. Les observations générales tenteront de montrer qu’existe une « économie planifiée » de la confiance mutuelle (I). Les observations particulières tenteront de montrer qu’existe une « économie dirigée » de la reconnaissance mutuelle (II).
I. Les observations générales ou l’« économie planifiée » de la reconnaissance mutuelle
Le règlement de Bruxelles II bis a donc comme objet, entre autres, d’assurer entre les États membres la libre circulation des décisions qui sont prononcées en matière matrimoniale, en matière de responsabilité parentale et ce, par le biais d’un mécanisme de reconnaissance automatique, d’une reconnaissance de plein droit. Dans une formule prudente, le règlement Bruxelles II bis énonce la raison d’être de cette reconnaissance de plein droit. C’est le considérant 21 : « la reconnaissance et l’exécution des décisions rendues dans un État membre devraient reposer sur le principe de confiance mutuelle et les motifs de non-reconnaissance devraient être réduits au minimum nécessaire ».
La Cour de justice des Communautés européennes, interrogée récemment sur ce règlement dans le cadre d’une importante affaire concernant un déplacement illicite d’enfant77 CJCE, 11 juillet 2008, Inga Rinau, C-195/08, Rec. I-5271., est, elle, beaucoup plus catégorique, beaucoup plus directe. Elle était, en l’espèce, confrontée à la question de savoir si, en définitive, un juge requis pouvait connaître d’une opposition formée devant lui à l’égard d’une décision de retour immédiat ou, ce qu’elle a estimé, s’il devait simplement constater la force exécutoire de la décision certifiée dans l’État d’origine et, donc, faire droit immédiatement au retour de l’enfant. La Cour rappelle, tout d’abord, que la Convention de Bruxelles de 1968 a « introduit des règles de compétence, des règles de procédure, de reconnaissance et d’exécution des décisions, et que ces règles étaient fondées sur le principe de la confiance des juridictions d’un État contractant dans les décisions prises par les juridictions d’un autre État contractant et réciproquement ». Elle poursuit en soulignant que l’orientation de cette Convention a été reprise en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale par le règlement Bruxelles II bis. Elle estime, alors, et c’est là l’essentiel que, conformément au considérant 21, le règlement « est fondé sur la conception selon laquelle la reconnaissance et l’exécution des décisions rendues dans un État membre doivent8Souligné par nous. reposer sur le principe de la confiance mutuelle et les motifs de non-reconnaissance doivent être réduits au minimum nécessaire ». Le règlement dit « devraient », la Cour de justice dit « doivent », la conjugaison n’est pas la même, le conditionnel pour l’un – le règlement –, l’indicatif pour l’autre – la Cour de justice9On observera que ce constat n’est pas démenti par l’examen d’une autre version linguistique du règlement et de l’arrêt. Là où le règlement utilise « should », l’arrêt retient « must ».. Et chacun sait que l’indicatif vaut l’impératif !
Pour la Cour, il ne fait donc aucun doute que la confiance mutuelle est la source de la reconnaissance mutuelle : si le législateur communautaire est suggestif, le juge communautaire, lui, semble tout aussi réceptif. Si la confiance mutuelle est clairement revendiquée, elle se présente ensuite comme de nature à orienter la reconnaissance mutuelle en ne laissant, en définitive, que peu d’initiative au juge national, nonobstant le principe d’autonomie procédurale qui est certes rappelé par la Cour dans l’arrêt Rinau au point 82, mais immédiatement contrebalancé par le célèbre effet utile du droit communautaire. Il est frappant de constater que le juge national lui-même semble prêt à y sacrifier de manière volontaire, dans une sorte de logique de coopération loyale d’ailleurs inscrite dans les traités. Ce n’est peut être pas le seul motif, la seule raison d’être de son attitude, mais en tout état de cause il y a là une explication possible de sa démarche. Ainsi ce juge peut-il, de lui-même, adopter la posture selon laquelle il doit faire confiance aux juridictions des autres États membres, pour reprendre la formule de la Cour de justice des Communautés européennes.
D’autres manifestations, plus informelles, peuvent d’ailleurs être relevées dans la jurisprudence nationale prononcée en application du règlement Bruxelles II bis. Un exemple peut en être donné, tiré de la notion clef, du critère central de rattachement utilisé par le règlement Bruxelles II bis : la résidence habituelle. Le règlement ne définit pas la notion de résidence habituelle et la Cour de justice n’en a pas encore donné de définition autonome10Depuis cette intervention, la CJCE a été amenée à se prononcer sur la résidence habituelle de l’enfant dans le règlement Bruxelles II bis ; CJCE, 2 avr. 2009, A., C-523/07, Rec. I-2805.. C’est donc le juge national, le juge de droit commun du droit communautaire, qui s’est acquitté de cette mission. Au cas particulier, la Cour de cassation française, dans un arrêt du 14 décembre 200511Civ. 1ère, 14 déc. 2005, Bull. civ. I, no 506., a pu saisir l’occasion qui lui était donnée et décider que, dans le contexte du règlement Bruxelles II, la résidence habituelle est « une notion autonome du droit communautaire » et « se définit comme le lieu où l’intéressé a fixé avec la volonté de lui conférer un caractère stable le centre permanent et habituel de ses intérêts ». Est alors remarquable que, 18 mois plus tard, la cour d’appel de Luxembourg, dans un arrêt du 6 juin 200712C. A. Luxembourg, 6 juin 2007, F. K. c/ U. S., no 31642., va suivre la même approche et d’ailleurs se référer explicitement dans le corps de sa décision à la solution dégagée par l’arrêt de la Cour de cassation française. Elle peut alors conclure que la résidence habituelle d’un diplomate n’a pas changé du fait de son affectation à l’étranger, qu’il a toujours conservé sa résidence au Luxembourg. La Cour évoque les « contraintes légales et politiques que la qualité d’ambassadeur implique ». Et quelques mois plus tard, le 3 septembre 2007, c’est au tour du juge anglais13Marinos v. Marinos [2007] EWHC 204. de s’inscrire dans cette ligne tracée par le juge français. Là encore, dans le corps même de la décision, la High Court of Justice se réfère à la définition dégagée par son homologue du Quai de l’horloge et, surtout, elle suit le raisonnement adopté par la cour française.
Cette logique circulaire – certains diront horizontale – constitue d’une certaine manière une autre voie de rapprochement, une autre voie d’harmonisation dans l’application d’un droit communautaire, concurrençant directement l’interprète « authentique » qu’est la Cour de justice des Communautés européennes, il est vrai difficilement atteignable dans le cas particulier des instruments de coopération judiciaire civile14On se réfère, ici, aux dispositions restrictives de l’article 68 TCE heureusement abandonnées avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009.. Mais, au-delà de ce constat en termes de source du droit européen, la logique de confiance mutuelle, du moins la logique de confiance des juridictions d’un État membre dans les décisions prises par les juridictions d’un autre État membre, se vérifie pleinement. Elle se vérifie encore davantage lorsque l’on s’attache à quelques observations particulières, témoin d’une véritable « économie dirigée » de la confiance mutuelle.
II. Les observations particulières ou l’« économie dirigée » de la reconnaissance mutuelle
La confiance mutuelle qui est affichée, qui est revendiquée, est explicitée en son contenu par le règlement Bruxelles II bis et est traduite en quelques dispositions particulières intéressant la reconnaissance mutuelle. Ainsi, il aurait été possible d’évoquer le mécanisme de forum non conveniens qui est prévu par l’article 15 du règlement Bruxelles II bis et qui instaure une coopération de « juge à juge » dont l’essence est certainement la confiance mutuelle. Deux autres cas de figure particuliers seront privilégiés. L’un est assez classique et, d’une certaine manière, renvoie à la liste des motifs de non-reconnaissance des décisions. L’autre est plus inédit et renvoie à une véritable disposition substantielle de confiance mutuelle évoquée sous le terme sibyllin de « disparités entre les lois applicables ». L’une et l’autre de ces hypothèses seront successivement mais brièvement examinées.
La première hypothèse se présente comme une forme d’effet négatif de la confiance mutuelle et peut être observée à l’article 23 du Règlement Bruxelles II bis qui énonce les motifs de non-reconnaissance des décisions en matière de responsabilité parentale. Cet article 23 dispose notamment qu’« une décision rendue en matière de responsabilité parentale n’est pas reconnue si la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis eu égard aux intérêts supérieurs de l’enfant » ou « si, sauf en cas d’urgence, la décision a été rendue sans que l’enfant, en violation des règles fondamentales de procédure de l’État membre requis, ait eu la possibilité d’être entendu ». L’article s’inspire des dispositions qui viennent d’être présentées de la Convention de Bruxelles, mais la situation est tout de même inédite puisque le texte même du règlement explicite le contenu de l’exception d’ordre public qui jusque-là était laissé à l’appréciation des seuls États membres sous la réserve de ne pas se porter atteinte à l’effet utile et aux principes du droit communautaire. C’était la solution bien connue dégagée, cela a été rappelé tout à l’heure, par l’arrêt Krombach15CJCE, 28 mars 2000, Krombach, C-7/98, Rec. I-1935. et d’une certaine manière confirmé par l’arrêt Wagner de 2007 de la Cour européenne des droits de l’homme16CEDH, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, 28 juin 2007, req. no 76240/01..
Ces précisions apportées en termes de confiance mutuelle le sont tant au niveau d’un ordre public de fond que d’un ordre public procédural. Il n’est pas question pour un juge de l’État requis de reconnaître une décision qui porterait atteinte aux intérêts supérieurs de l’enfant et il n’est pas non plus question pour lui de reconnaître des décisions qui porteraient atteinte aux droits procéduraux de l’enfant, c’est-à -dire au droit d’être entendu dans une procédure le concernant. En somme, tout ça n’est pas très original et fleure bon la Convention internationale des droits de l’enfant et témoigne aussi de l’insistance lors de l’élaboration du texte d’un État membre, l’Allemagne, pour de raisons liées à son ordre constitutionnel interne. Mais ce qui retient surtout l’attention, dans la perspective de notre propos, ce sont les conséquences concrètes, les conséquences pratiques qui ont été tirées par certains États membres qui n’avaient pas forcément jusque-là marqué une attention particulièrement décisive à ces questions d’audition de l’enfant. C’est le cas dans un pays comme la France.
On ne peut, sur ce point, que renvoyer à une circulaire de la Direction des Affaires Civiles et du Sceau du 16 mars 200717Circulaire de la DACS no 2007-06 du 16 mars 2007 relative à l’audition de l’enfant pour l’application du règlement « Bruxelles II bis » concernant les décisions sur la responsabilité parentale, NOR : JUSC0720262C. qui, si elle est davantage présentée et justifiée par un souci d’effectivité des décisions françaises que par une logique dite de confiance mutuelle – peut-être que l’une et l’autre des notions sont intimement liées ? –, n’en est pas moins amenée à profondément bouleverser la pratique procédurale nationale, nonobstant le rappel par la circulaire elle-même d’un principe d’autonomie procédurale. On vérifie cette hypothèse à au moins deux reprises. Tout d’abord,
« À peine de s’exposer à un refus de reconnaissance dans l’espace judiciaire européen, l’ensemble 18Souligné par nous. des décisions françaises relative à la responsabilité parentale doit comporter une motivation spécifique sur la question de l’audition de l’enfant, qu’il ait été ou non été procédé à celle-ci au cours de la procédure. Dans la mesure où le caractère transfrontalier de la décision peut ne se révéler qu’après son prononcé, cette obligation de motivation de la décision concerne toutes les décisions relatives à l’autorité parentale et aux modalités de son exercice ».
On voit ici que cette exigence, a priori limitée à un cas transfrontière, est parfaitement et entièrement généralisée à toutes les décisions. La même logique est reprise lorsque la circulaire s’intéresse aux droits purement procéduraux, c’est-à -dire à l’audition directe de l’enfant par le juge :
« Le règlement ne modifie pas les procédures nationales applicables en matière d’audition de l’enfant. Dans ces conditions, la circonstance selon laquelle la juridiction française n’a pas recueilli la parole de l’enfant ne doit pas constituer un obstacle à la reconnaissance et l’exécution de cette décision ».
Mais, immédiatement, la DACS précise que si la nouvelle rédaction de l’art 388-1 du code civil, issue de la loi de 2007, laisse subsister la faculté pour le juge de ne pas entendre lui-même l’enfant et de faire recueillir sa parole par un tiers, « toutefois, ce recours à l’audition indirecte doit désormais être justifié par l’intérêt de l’enfant ». En d’autres termes, le principe est bien l’audition directe par le juge.
Si la confiance mutuelle est une source d’une culture judiciaire commune, force est de s’interroger sur le fait de savoir s’il n’y a pas une forme de glissement vers non plus une culture judiciaire, mais vers une culture juridique commune, ce à quoi les ultimes observations particulières vont tenter de répondre.
La seconde hypothèse incite à davantage parler d’un effet positif de la confiance mutuelle, en analysant l’article 25 du Règlement, article intitulé « Les disparités entre les lois applicables ». Selon cet article,
« la reconnaissance d’une décision ne peut être refusée au motif que la loi de l’État membre requis ne permet pas le divorce, la séparation de corps ou l’annulation du mariage sur la base de faits identiques ».
La disposition est d’importance et pas uniquement parce qu’il y est indiqué qu’il y aurait là un motif inopérant pour bloquer la reconnaissance comme l’est, par exemple, celui tiré de l’incompétence de la juridiction de l’État d’origine. Elle est probablement de loin l’une des illustrations les plus parlantes, les plus manifestes de la logique de reconnaissance mutuelle, de la méthode de la reconnaissance. Cette dernière est au cœur de débats nourris, aujourd’hui, dans les colonnes des revues et dans les principaux Mélanges consacrés au droit international privé. Il ne saurait être question d’évoquer les débats méthodologiques, sémantiques, techniques et même ontologiques qui ont été et sont encore suscités par la question de la reconnaissance mutuelle dans le champ du droit international privé. Plus simplement, ici, le règlement fait sienne l’idée parfaitement systématisée par le Professeur Paul Lagarde dans un article récent, selon laquelle ce qui est en jeu, ce qui est en cause, c’est la continuité des statuts personnels, c’est la conception selon laquelle il y davantage intérêt à reconnaître qu’à ne pas reconnaître des situations cristallisées dans un État autre que l’État requis19P. LAGARDE, « La reconnaissance, mode d’emploi », Liber amicorum Hélène Gaudemet-Tallon, Dalloz, Paris, 2008, p. 481.. Une thèse qui est illustrée, d’une certaine manière, par quelques arrêts récents de la Cour et comment ne pas penser à l’arrêt Grunkin Paul20CJCE, 14 octobre 2008, Grunkin Paul, C-353/06, Rec. I-7639. rendu en matière de nom de famille. Avec l’article 25 du Règlement, l’État requis est laissé sans voix, si l’on ose dire ! La décision de divorce qui est prononcée dans un État membre doit toujours être reconnue dans un autre État membre, peu important le fait que l’ordre juridique de l’État requis ne connaisse pas l’institution. La situation juridique valablement acquise dans l’État d’origine s’impose d’elle-même à l’État d’accueil. Et le glissement réside peut-être là : même si l’article 25 du Règlement n’évoque que la reconnaissance de la « décision » de divorce, c’est peut-être davantage la reconnaissance de la « situation » de divorce qui transparaît, pour reprendre une notion essentielle qui a été mise en lumière par le Professeur Pierre Mayer21P. MAYER, « Les méthodes de reconnaissance en droit international privé », Mélanges Paul Lagarde, Paris, Dalloz, 2005, p. 547s.. On vérifie alors le lien consubstantiel entre la reconnaissance mutuelle, la confiance mutuelle et l’intégration. Comme un auteur a pu le dire récemment, le sens profond de l’Union européenne, c’est la création d’une communauté juridique fondée sur la confiance mutuelle et favorisant ainsi, la reconnaissance22Ch. PAMBOUKIS, « La renaissance-métamorphose de la méthode de la reconnaissance », Rev. crit. DIP 2008.513, spéc. p. 521.. L’homogénéité est assurée, tout en sauvegardant la différence. C’est peut-être cela « l’unité dans la diversité ». Ce n’est plus seulement de culture judiciaire européenne commune dont il est question, mais peut être de culture juridique européenne commune.
Conclusions
Le paradoxe évoqué en introduction à propos de la matière familiale et de la reconnaissance mutuelle est donc en réalité purement apparent, puisqu’il permet de vérifier une des manifestations les plus nettes, bien que subtile, semble-t-il, de la portée de cette méthode qui paraît vouloir trouver traduction dans l’ordre juridique communautaire. Concluant leur analyse de la notion et de la méthode de la reconnaissance, d’aucuns ont pu écrire que « la méthode de la reconnaissance est séduisante mais elle n’est véritablement apte à atteindre son objectif premier de coordination des solutions que si elle est consacrée par un instrument international ou communautaire, de manière à imposer que la situation ainsi créée soit bien reconnue dans tous les autres États et à définir les effets précis que cette reconnaissance doit produire »23M.-L. NIBOYET, G. DE GEOUFFRE DE LA PRADELLE, Droit international privé, 2o éd., LGDJ, 2009, spéc. no 235.. Le règlement Bruxelles II bis en est le premier exemple manifeste, ainsi qu’il a été tenté de le montrer.