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Le désaccord sur le concept de retenue judiciaire devant la Cour suprême

Cahiers N°30 - RRJ - 2016-5

FASSASSI Idris

LL. M. Harvard Law School, Maître de conférences, Université Panthéon-Assas (Paris II), membre du Centre de droit public comparé

Abstract

“Activism” and “restraint” are terms frequently used to qualify a judge’s decision, despite the profound ambiguity of these words and the subjectivity of their use. “Activist” is often an alternative way of expressing a substantial disagreement with a particular decision, while qualifying a decision as one made with “restraint” often reveals a positive appreciation of that decision. At a time when these terms are increasingly used in French legal literature, this article analyzes the disagreement on the meaning and use of these notions as they relate to Supreme Court decisions in American constitutional scholarship, where they first appeared. Part one explains the construction and the deconstruction of the concept of judicial restraint through a historical and theoretical panorama. Part two analyzes more specifically key moments, in the 1960’s and today, in which deep ideological tensions led to a redefinition of these terms and the weakening of their meaning. Given this history, the article ultimately questions the utility of these expressions going forward.

Introduction

Le désaccord peut se définir comme la divergence de vues sur un objet donné. Dans une société démocratique, le désaccord, pour autant qu’il demeure inscrit dans le débat d’idées, s’appréhende a priori comme un signe de vitalité et de bon fonctionnement de la société. Il est en effet la marque du pluralisme sans lequel il n’est, pour reprendre la formule employée par la Cour européenne des droits de l’homme, « pas de société démocratique »1CEDH, Handyside c. Royaume-Uni, 1976, para. 49, requête n° 5493/72. . En droit, le désaccord est une notion structurante, ne serait-ce que parce que tout litige oppose des parties ayant des prétentions opposées. Celles-ci peuvent ainsi être en désaccord sur les sources du droit qui gouvernent le litige ainsi que sur leur interprétation.

Ce désaccord se retrouve également au niveau des juges et peut s’illustrer, dans les systèmes qui le prévoient, par la rédaction d’opinions concordantes et, surtout, dissidentes. Il est sur ce point singulier de constater à la lecture de ces opinions que, bien souvent, alors que les juges de la majorité affirmeront dans leur opinion avoir fait preuve de retenue, d’autolimitation et n’avoir fait qu’appliquer le droit, les juges dissidents soutiendront au contraire que ces juges ont outrepassé les limites de leur pouvoir et ont fait œuvre créatrice2Voir notamment United States v. Butler, 297 U.S. 1 (1936); Miranda v. Arizona, 384 U.S. 436 (1966). .

Cette opposition entre activisme et retenue renvoie à la question des frontières de l’exercice légitime de la fonction juridictionnelle, à la question des excès de pouvoir du juge. La problématique est ancienne et s’illustre pleinement en France à travers l’expression « gouvernement des juges »3É. Lambert, Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux États-Unis. L’expérience américaine du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois, Giard, Paris, 1921, 276 p., mais on ne peut que constater l’emploi croissant dans la littérature juridique francophone des termes « activisme » et « retenue » pour la traiter, en s’appuyant d’ailleurs sur l’origine américaine des termes4Cf. « Il me semble que, sur la durée, la CEDH a su naviguer, pour employer des expressions utilisées pour la Cour suprême des États-Unis, entre l’écueil de l’activisme judiciaire et celui d’un excessif self-restraint », J.-P. Costa, « La Cour européenne des droits de l’homme », Commentaire, n° 155, 2016, p. 520 ; B. Delzangles, Activisme et autolimitation de la Cour européenne des droits de l’homme, Fondation Varenne, Clermont-Ferrand, 2009, p. 12 ; A. Abat i Ninet, « L’activisme judiciaire en Espagne », Politeia, 2014, p. 90. . Ces qualificatifs qui peuvent servir à décrire l’action du juge en général sont ainsi fréquemment déclinés à l’égard du juge constitutionnel, de la Cour de Justice de l’Union européenne, de la Cour européenne des droits de l’homme, du juge judiciaire ou administratif, etc.5Voir, à titre d’illustration, G. Canivet, « Activisme judiciaire et prudence interprétative », La Création du droit par le juge, Arch. phil. droit, n° 50, Paris, Dalloz, 2007, p. ; A. Dyèvre, L’activisme juridictionnel en droit constitutionnel comparé: France, États-Unis, Allemagne, Thèse Droit, Paris I – Panthéon-Sorbonne, 2008, 537 p.

Deux remarques s’imposent. La première tient aux désaccords manifestes au sein de la doctrine sur la dimension activiste ou non de l’action du juge, d’un point de vue descriptif. Les uns perçoivent de la retenue là où les autres déplorent de l’activisme. Les vives réactions doctrinales faisant suite aux décisions du Conseil constitutionnel en 2011 et 2013 relatives au mariage entre personnes de même sexe6Cons. const., déc. n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011 ; Cons. const., déc. n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe sont à ce titre révélatrices et traduisent déjà une certaine partialité de la critique7Dans les deux décisions, le Conseil met en exergue qu’« il ne lui appartient pas […] de substituer son appréciation à celle du législateur » et valide aussi bien la non ouverture du mariage aux couples de même sexe que son ouverture prévue par la loi. Non seulement chacune des décisions a été perçue différemment (retenue pour les uns, activisme masqué pour les autres) mais on n’est pas loin de percevoir des contradictions internes chez certains, qui approuvent la retenue dans un cas, et dénoncent l’activisme dans l’autre.

Non seulement les auteurs divergent dans leur appréciation de l’éventuelle dimension activiste de ce que fait le juge, mais ils sont aussi en désaccord, d’un point de vue prescriptif cette fois-ci, sur l’opportunité d’adopter une jurisprudence activiste. Si, a priori, la retenue judiciaire est traditionnellement louée et prônée, en ce qu’elle permet de respecter les prérogatives des autres branches et ainsi de ne pas étouffer le politique8D. de Béchillon, « Le Conseil est-il mou ? », Commentaire, n° 138, 2012, p. 479. , l’activisme, particulièrement en matière de protection des droits fondamentaux, est parfois préconisé9Voir E. Picard, « Les droits de l’homme et l’activisme judiciaire », Pouvoirs, n° 93, 2000, p. 113-143. . Les décisions du Conseil constitutionnel relatives à l’état d’urgence ont d’ailleurs pu être critiquées en raison de la trop grande retenue dont aurait fait preuve le Conseil, retenue qui peut même s’envisage comme… une forme d’activisme10Voir infra. Voir P. Blachèr, « Le Conseil constitutionnel en fait-il trop ? », Pouvoirs, n° 105, 2003, p. 23.. Il apparaît alors que c’est bien souvent un juste milieu vertueux qui est recherché, « à mi-chemin entre l’activisme et la retenue, entre aller trop loin et ne pas aller assez loin »11J. P. Costa, La Cour européenne des droits de l’homme, Des juges pour la liberté, Paris, Dalloz, 2013, p. 256 mais la détermination concrète de ce juste milieu demeure problématique en raison précisément du caractère indéterminé de ce cadre. C’est donc peu dire qu’un grand flou règne en la matière, lié notamment à l’imprécision et l’ambivalence des termes activiste et retenue, de sorte que, pour reprendre les mots célèbres de Jean Rivero, les « chameaux » et les « moustiques » que le juge filtre ou laisse passer s’apprécient de manière très subjective12Cf. J. Rivero, « À propos de la loi Sécurité et liberté : filtrer le moustique et laisser passer le chameau. À propos de la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 1981 », AJDA, 1981, p. 275.. Il est dès lors utile d’envisager le sens de ces termes et de la critique en activisme ou en excès de retenue à l’égard de la jurisprudence de la Cour suprême aux États-Unis, qui constituent le cadre au sein duquel ces expressions sont apparues et sont le plus souvent mobilisées. Les termes « activisme judiciaire » et « retenue judiciaire » sont immanquablement liés, dans la mesure ils sont souvent appréhendés négativement, l’un par rapport à l’autre. La retenue est ce qui n’est pas activiste, et réciproquement. L’expression « activisme judiciaire » apparaît aux États-Unis en 1947, sous la plume d’Arthur Schlesinger qui ne la définit pourtant pas13A. Schlesinger, « The Supreme Court: 1947 », Fortune, Vol. 35, 1947, p. 73.. On peut considérer, selon une définition très générale, que les juges activistes sont ceux qui « légifèrent depuis le prétoire » et laissent leurs conceptions idéologiques prévaloir dans l’opération de jugement, tandis que la retenue judiciaire serait le propre des juges qui ne feraient qu’appliquer le droit ou qui, dans une seconde acception, feraient preuve de retenue en apportant un correctif prudentiel précisément afin de ne pas aller trop loin14Il y a ainsi dans l’activisme une dimension institutionnelle (légiférer depuis le prétoire) et une dimension idéologique, qui sont d’ailleurs liées dans la mesure où c’est l’influence du facteur idéologique pour obtenir une solution particulière qui conduirait le juge à outrepasser ses prérogatives.. L’activisme renvoie ainsi à l’idée du franchissement d’une ligne qui marquerait les frontières de l’intervention légitime du juge, et à ce qu’on appelle aux États-Unis la difficulté contre-majoritaire, c’est-à-dire la problématique du gouvernement des juges15Voir notre étude, La légitimité du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois. Étude critique de l’argument contre-majoritaire, Dalloz, Paris, 2017, 767 p.

Les termes « activisme » et « retenue » sont aujourd’hui omniprésents dans le débat constitutionnel américain16Pour la seule période allant de 1990 à 2017, on compte ainsi plus de dix-sept mille articles mobilisant l’expression dans des revues de droit, et trois-cent trente un articles dont le titre contient l’expression « activisme judiciaire ». Recherche menée par nos soins sur la base de données Heinonline.. La difficulté tient toutefois à ce que, au-delà des éléments généraux mentionnés plus haut, la notion d’activisme apparaît extrêmement fuyante et marquée par les jugements de valeur de celui qui s’exprime. Est souvent « activiste » la décision que celui qui s’exprime désapprouve au fond. Certains auteurs ont tenté de mesurer l’activisme du juge de manière objective, en le liant au nombre de lois invalidées ou de précédents renversés17Voir L. Ringhand, « Judicial Activism: An Empirical Examination of Voting Behavior on the Rehnquist Natural Court », Constitutional Commentary, Vol. 24, n° 1, 2007, p. 43-102 ; S. Lindquist, F. Cross, « The Scientific Study of Judicial Activism », Minnesota Law Review, Vol. 91, n° 6, 2007, p. 1752-1784 ; Measuring Judicial Activism, Oxford University Press, New York, 2009, 176 p.. On s’aperçoit néanmoins rapidement des limites d’une telle approche. Imaginons en effet que le Congrès adopte des lois « clairement inconstitutionnelles »18Par « clairement inconstitutionnelles », nous faisons référence, pour les besoins de l’hypothèse, à des lois au sujet desquelles l’ensemble des observateurs s’accordent à dire qu’elles méconnaissent la Constitution, telles que le rétablissement de l’esclavage, en violation du Treizième amendement et supprime la liberté de la presse, en violation du Premier amendement. Une Cour qui invaliderait cette loi serait-elle activiste ? À l’inverse, une Cour qui s’abstiendrait de façon complaisante d’invalider des lois « clairement inconstitutionnelles » ne serait-elle pas aussi activiste, à travers la validation de ces lois? Paradoxalement, la retenue judiciaire peut donc être une forme d’activisme. Les difficultés s’accroissent dangereusement lorsqu’on s’éloigne de ces cas simples pour envisager les hard cases tranchés par la Cour suprême. Le nombre de lois invalidées ou de précédents renversés peut donc servir d’indicateur, mais il faut garder à l’esprit que l’activisme et la retenue ne s’épuisent pas dans une définition quantitative. Ils font nécessairement intervenir des considérations qualitatives relatives à ce qui serait le domaine approprié de l’intervention du juge. Le présent article entend montrer le poids des désaccords en droit constitutionnel américain sur la notion de retenue judiciaire (judicial restraint) et d’activisme (judicial activism), qui conduisent en définitive à s’interroger sur l’utilité de l’emploi de ces expressions, tant elles apparaissent être des coquilles vides, instrumentalisées par les juges et la doctrine. Le moment présent est particulièrement opportun pour mener cette analyse en raison des profondes lignes de fractures qui parcourent le débat constitutionnel aux États-Unis, et qui s’illustrent dans la pratique constitutionnelle elle-même, ainsi qu’en témoigne le récent épisode de la nomination du juge Garland19Il est difficilement contestable que le droit constitutionnel américain traverse une certaine crise liée précisément à la difficulté d’articuler de manière cohérente les dernières évolutions de la jurisprudence, et à l’extrême polarisation idéologique des argumentations. À ce titre, on notera que le Professeur Laurence Tribe, auteur du traité faisant autorité en droit constitutionnel, avait justifié en 2005 sa décision d’abandonner son projet attendu de mise à jour de son ouvrage, alors même que le premier tome de la troisième édition était paru, précisément pour ces raisons. Il est utile ici de reprendre son argumentation dans la lettre qu’il adresse au juge Stephen Breyer et à ses lecteurs: « I’ve suspended work on a revision because, in area after area, we find ourselves at a fork in the road – a point at which it’s fair to say things could go in any of several directions – and because conflict over basic constitutional premises is today at a fever pitch. Ascertaining the text’s meaning; the proper role and likely impact of treaty, international and foreign law; the relationships among constitutional law, constitutional culture, and constitutional politics […] are passionately contested, with little common ground from which to build agreement […] The reason is that we find ourselves at a juncture where profound fault lines have become evident at the very foundations of the enterprise, going to issues as whose truths are to count and sadly, whose truths must be denied ». Ces lettres ont été publiées in L. Tribe, « The Treatise Power », Greenbag, Vol. 8, n° 3, 2005, accessible en ligne sur le site de la revue. Au-delà du débat doctrinal, la pratique elle-même traduit l’ampleur des désaccords et le nouveau degré atteint dans l’affrontement idéologique, à travers notamment l’épisode de la nomination du juge Merrick Garland en remplacement du juge Scalia en 2016, au sujet de laquelle les sénateurs républicains n’ont même pas entendu se prononcer, laissant la Cour avec un siège vacant pendant plus d’un an, en invoquant des arguments non convaincants. Certains sénateurs, dont le sénateur McCain, avaient même indiqué que si Hillary Clinton remportait l’élection, il fallait faire de même pour les quatre années de son mandat et donc bloquer par principe toutes ses nominations, en refusant de se prononcer sur celles-ci, quel que soit le profil du candidat choisi.. Ces fractures sont d’ailleurs bien plus qu’un simple désaccord, car tout désaccord suppose en effet un socle minimal sur lequel des opinions précisément divergentes vont être développées. Les participants à la discussion sont en quelque sorte d’accord, a minima, sur le point sur lequel ils sont en désaccord. Or aujourd’hui, s’agissant de l’intervention de la Cour, les désaccords sont tellement forts outre-Atlantique qu’il est difficile de trouver un point d’ancrage sur la base duquel le débat pourrait véritablement prospérer. La très forte prégnance des considérations subjectives et des appréciations idéologiques est donc un obstacle à la mobilisation constructive des expressions « activisme » ou « retenue ». Il conviendra d‘envisager dans un premier temps la construction puis la déconstruction du concept de retenue judiciaire, à travers un panorama historique et théorique des contours de la notion de retenue judiciaire dans le débat constitutionnel américain (I). À la suite de ce premier mouvement qui opère sur un temps long, il s’agira d’envisager plus particulièrement des moments charnières, au cours desquels des désaccords idéologiques ont conduit à la redéfinition de la notion d’activisme et, en définitive, à son profond affaiblissement (II).

I. La construction et la déconstruction du concept de retenue judiciaire

Le concept de retenue judiciaire a eu dans le passé une acceptation relativement précise. En se plongeant dans l’histoire de la jurisprudence de la Cour suprême et des débats doctrinaux, on peut en effet déceler ce à quoi renvoyaient les expressions « retenue judiciaire » et « activisme judiciaire » au cours des époques classiques, à savoir des interventions du juge relativement bien identifiées (A). La difficulté est qu’aujourd’hui l’action de la Cour suprême n’est plus catégorisable  comme auparavant. L’« activisme », ou ce qui est présenté comme tel, opère en effet tout azimut, parfois sans grande cohérence20Voir note précédente.. Non seulement les décisions de la Cour deviennent difficilement lisibles, mais les efforts des mouvements critiques pointant l’indétermination du droit et la dimension idéologique de la jurisprudence ont d’ailleurs fini de saper la notion même d’activisme qui, parce qu’elle serait partout, résiste à l’effort d’identification (B).

A. La singularité des époques classiques d’activisme : une relative homogénéité

Plusieurs précisions doivent être apportées sur la notion de retenue judiciaire, qui d’ailleurs illustrent les difficultés pour la saisir. La première tient à ce que la retenue judiciaire ne peut signifier l’inaction ou plus précisément la non-utilisation du pouvoir d’invalider les lois. Une telle approche, appliquée à un juge constitutionnel, conduirait en effet à systématiquement valider les lois soumises à son contrôle, or si un tel contrôle existe dans un système, c’est précisément pour qu’il soit mis en œuvre dans certaines hypothèses. La retenue judiciaire ne saurait donc être l’abdication judiciaire. D’ailleurs, à bien y regarder, la non utilisation de ce pouvoir ne serait pas véritablement une inaction en raison de la portée de la validation et de la légitimation des choix du législateur qui serait alors opérée. La lecture des travaux des auteurs et des juges qui ont prôné la retenue judiciaire révèle qu’ils plaident plutôt pour la limitation des invalidations selon deux approches différentes. La première hypothèse, la plus évidente, envisage le juge empreint de retenue comme celui qui ne fait qu’appliquer le droit, rien que le droit. La retenue tient ici à ce que le juge se confine aux frontières du droit, en s’abstenant de tout choix axiologique et que, pour reprendre la formule du Professeur Thayer, il n’invalidera une loi que dans les cas où son inconstitutionnalité est claire21J. Thayer, « The Origin and Scope of the American Doctrine of Constitutional Law », Harvard Law Review, Vol. 7, n° 3, 1893, p. 143. Cette conception renvoie à un formalisme marqué, auquel il est difficile d’adhérer s’agissant du juge constitutionnel, pour la simple raison que le contentieux constitutionnel porte pour l’essentiel sur des cas où l’inconstitutionnalité n’est pas claire et dans lesquels le juge dispose d’un très large pouvoir discrétionnaire22Le juge Richard Posner affirme même que la Cour suprême dispose d’un pouvoir discrétionnaire comparable à celui du législateur lorsqu’elle se prononce en matière constitutionnelle et que ses décisions sont le fruit d’un jugement politique. Voir R. Posner, « A Political Court », Harvard Law Review, Vol. 119, 2005, p. 40. Sur les limites de l’approche formaliste, voir notre étude, La légitimité du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois. Étude critique de l’argument contre-majoritaire, op. cit., p. 628 et s.. Dans un autre sens, le juge empreint de retenue judiciaire est le juge qui, conscient de la sensibilité de son action, pourra être amené à apporter un correctif prudentiel, de manière par exemple à refuser d’invalider une loi au regard des conséquences que cette invalidation pourrait avoir. Il s’agit ainsi d’un juge « aux mains tremblantes » pour reprendre l’expression de Montesquieu. Les travaux récents de Cass Sunstein sur le minimalisme judiciaire relèvent de cette approche23C. Sunstein, « Foreword : Leaving Things Undecided », Harvard Law Review, Vol. 110, n° 1, 1996, p. 4-101 ; One Case at a Time : Judicial Minimalism on the Supreme Court, Harvard University Press, Cambridge, 2001, 304 p.. On voit ainsi que cette variante est déjà en tension avec la première, puisque le juge pourrait ici ne pas suivre ce que le droit semblerait imposer afin précisément de limiter ses actes.
Ces précisions étant apportées, il convient d’envisager comment la retenue et l’activisme ont été pensé au cours des époques classiques durant lesquelles le pouvoir de la Cour a été discuté. Car si l’expression « activisme judiciaire » a été forgée en 1947, la réalité à laquelle elle renvoie remonte aux origines de la République.
L’époque la plus symbolique de cette discussion est sans doute l’ère Lochner (1890-1937), du nom du célèbre arrêt éponyme de la Cour suprême dans lequel elle invalide une loi de l’État de New York limitant la durée maximale de travail des boulangers à soixante heures par semaine, au motif que la loi méconnaît la liberté contractuelle, une liberté pourtant non-inscrite dans la Constitution24Lochner v. New York, 198 U.S. 45 (1905).. L’ère Lochner renvoie ainsi à une période d’intervention du juge idéologiquement orientée dans un sens conservateur25C’est d’ailleurs cet affrontement entre les cours et le mouvement progressiste que décrit Edouard Lambert dans son ouvrage sur le gouvernement des juges et sur la base duquel il s’appuie pour mettre en garde la doctrine française contre l’importation d’un mécanisme, le contrôle de constitutionnalité des lois, qui fonde selon lui la suprématie politique du pouvoir judiciaire et assure la domination des forces conservatrices., au cours de laquelle les cours, en s’appuyant sur la clause de commerce ou la clause de due process de la Constitution fédérale, s’opposèrent aux législations d’inspiration progressiste visant à limiter les heures de travail dans certaines professions, à garantir un salaire minimum26Adkins v. Children’s Hospital, 261 U.S. 525 (1923)., à interdire le travail des enfants27Hammer v. Dagenhart, 247 U.S. 251 (1918). ou encore à lutter contre les monopoles28United States v. E. C. Knight, 156 U.S. 1 (1890).. Les principes du laissez-faire étaient alors insufflés dans la Constitution par des juges qui s’érigeaient en acteurs déterminants de la politique économique et sociale de la Nation. La mise en exergue de la malléabilité des règles de droit entre les mains de juges désireux de les faire plier participa d’ailleurs de l’apparition du mouvement réaliste dans la doctrine juridique américaine à cette époque.

L’activisme, tel qu’il était perçu dans le débat doctrinal et dénoncé par les auteurs progressistes29Voir L. Boudin, « Government by Judiciary », Political Science Quarterly, Vol. 26, n° 2, 199, p. 253 ; W. Ransom, Majority Rule and the Judiciary, Charles Scribner’s Sons, New York, 1912, 183 p., G. Roe, Our Judicial Oligarchy, B.W. Huebsch, New York, 1912, 239 p., était donc en synthèse un activisme en sens conservateur et la période se comprend aisément sous cet angle de lecture30Naturellement, les juges rejetaient l’argument selon lequel ils allaient trop loin et affirmaient simplement assurer la garantie des droits économiques protégés par la Constitution. Ils estimaient que ce serait manquer à leurs devoirs de juge s’ils faisaient preuve de déférence à l’égard du législateur sur ces questions. Ils affirmaient ainsi ne faire qu’appliquer le droit. Le juge Brewer déclarait ainsi : « It [the police power] is the refuge of timid judges to escape the obligations of denouncing a wrong, in a case in which some supposed general and public good is the object of legislation […] », cité in M. Brodhead, David Brewer : The Life of A Supreme Court Justice, 1837-1910, Southern Illinois University Press, Carbondale, 2006, p. 117. La retenue judiciaire, telle que défendue par le juge Holmes dans son opinion dissidente sous l’arrêt Lochner, se comprend à l’inverse comme une forme de déférence envers les choix du législateur en matière économique et sociale, dans la mesure où la Constitution semble silencieuse sur la question. Dans une opinion dissidente passée à la postérité, il affirme ainsi que « la Constitution n’est pas conçue pour incorporer une théorie économique en particulier », et souligne que son éventuelle approbation ou désapprobation de la loi n’a « aucune incidence sur le droit pour une majorité d’ancrer ses convictions dans le droit ».31Lochner v. New York, 198 U.S. 45, 75 (1905).
Les leçons de l’ère Lochner tiennent donc à ce que le juge doit faire preuve de déférence envers les autres branches du pouvoir en matière économique et sociale. À défaut, le juge s’expose aux contre-mesures du pouvoir, et cela s’est d’ailleurs illustré dans le conflit qui a opposé la Cour au Président Franklin Roosevelt en 1937 au sujet de la constitutionnalité des mesures du New Deal. Si son projet visant à augmenter le nombre de juges à la Cour afin de dissoudre l’opposition de celle-ci a finalement échoué, c’est parce que cette menace avait conduit la Cour à opérer un revirement de jurisprudence et à mettre fin à l’ère Lochner32West Coast Hotel Co. v. Parrish, 300 U.S. 379 (1937).. La Cour elle-même a entériné le changement lorsqu’elle affirme quelques années plus tard que :
« Les doctrines qui prévalurent dans les décisions Lochner […] et des affaires similaires […] ont été depuis longtemps rejetées. Nous sommes revenus aux conceptions constitutionnelles originelles en vertu desquelles les cours ne substituent pas leurs théories économique et sociale aux jugements des corps législatifs […]. Nous refusons d’être une super-législature appréciant la sagesse des lois »33Ferguson v. Skrupa 372 U.S. 726, 7320-732 (1963)..

L’ère Lochner se clôt ainsi avec la détermination d’une sphère, d’un champ, la matière économique et sociale, dans laquelle l’intervention de la Cour doit être limitée et dans laquelle doit prévaloir le principe majoritaire. Si aujourd’hui le terme Lochner est utilisé en tant qu’adjectif ou verbe de manière péjorative à l’encontre de toute décision jugée activiste34Lochner est en effet dans le débat américain la figure du contre-modèle, l‘exemple par excellence de la mauvaise décision constitutionnelle. Voir J. Greene, « The Anticanon », Harvard Law Review, Vol. 125, n° 2, 2011, p. 379-475. Il convient néanmoins de noter les efforts depuis une vingtaine d’années d’une partie de la doctrine pour réhabiliter l’arrêt en le présentant comme une simple application du droit, et non comme un acte d’activisme. Voir D. Bernstein, Rehabilitating Lochner : Defending Individual Rights Against Progressive Reform, University of Chicago Press, Chicago, 2011, 208 p. Voir infra., quel que soit son sens ou le champ dans lequel elle intervient, l’activisme de l’ère Lochner renvoyait bien à une intervention particulière du juge.
La deuxième époque classique généralement présentée comme illustrant l’activisme de la Cour suprême est celle de la Cour Warren (1953-1969) du nom du Président Earl Warren. Quelques décennies après la fin de l’ère Lochner, la Cour est de nouveau vivement critiquée pour son intervention au motif qu’elle se substituerait au législateur ou qu’elle aurait quitté le champ du droit pour investir celui de la morale35Voir L. Hand, The Bill of Rights, Atheneum, New York, 1964, p. 73.. La particularité de cette période tient à ce que la Cour était alors dominée par les libéraux et que, pour la première fois de son histoire, l’activisme opérait donc dans un sens libéral36Nous utilisons ici « libéral » dans l’acception américaine du terme (liberal), c’est-à-dire proche de « progressiste ». « Libéral » et « conservateur » constituent les deux grands pôles sur le spectre des préférences idéologiques et ces termes renvoient donc à des philosophies judiciaires distinctes. Cette classification, omniprésente dans le discours constitutionnaliste américain, a le mérite de la simplicité et permet, dans une optique générale, de qualifier la philosophie judiciaire d’un juge. Nous employons les termes de manière descriptive, sans que cela ne traduise un jugement de valeur de notre part. Il est ainsi courant de dire que le juge Neil Gorsuch, nommé par le Président républicain Donald Trump en 2017, est un juge conservateur, de même que la juge Sonia Sotomayor, nommée en 2009 par le Président démocrate Barack Obama est une juge libérale.. La Cour contribua à la transformation fondamentale de la société américaine et rendit d’importantes décisions s’agissant de la lutte contre la ségrégation raciale, de la protection de la liberté d’expression, du droit constitutionnel à la vie privée, de la protection de la liberté d’expression ou encore de la garantie de l’égalité en matière électorale. Ainsi, elle déclara inconstitutionnelle la ségrégation raciale dans les écoles publiques puis dans l’ensemble de l’espace public37Brown v. Board of Education, 347 U.S. 483 (1954)., elle restreignit fortement les pouvoirs des États et du gouvernement fédéral dans la lutte contre les activités subversives38Yates v. United States, 354 U.S. 298 (1957) ; Watkins v. United States, 354 U.S. 178 (1957)., déclara inconstitutionnelle la pratique des prières dans les écoles publiques39Engel v. Vitale, 370 U.S. 421 (1962)., reconnut un droit constitutionnel à la vie privée, non garanti explicitement par la Constitution sur le fondement duquel elle invalida une loi réprimant l’usage de contraceptifs40Griswold v. Connecticut, 381 U.S. 479 (1965). ou encore garantit le principe « un homme, une voix » en matière de découpage électoral41Baker v. Carr, 369 U.S. 186 (1962) ; Reynolds v. Sims, 377 U.S. 533 (1964)..
L’intervention de la Cour fut vivement critiquée par les conservateurs qui y virent l’illustration des penchants jusnaturalistes des juges, mais aussi par une partie des progressistes qui certes appréciaient les solutions rendues sur le fond, mais ne parvenaient pas à les justifier en droit, d’autant plus qu’ils s’étaient construits intellectuellement sous l’ère Lochner en prônant la déférence à l’égard des choix des branches politiques42Voir infra..
Si l’activisme de la Cour Warren, tel qu’il était dénoncé par ses détracteurs y compris certains juges qui précisément mettaient en avant la retenue judiciaire43« These decisions give support to a current mistaken view of the Constitution and the constitutional function of this court. This view, in short, is that every major social ill in this country can find its cure in some constitutional principle and that this court should take the lead in promoting reform when other branches of government fail to act. The Constitution is not a panacea for every blot upon the public welfare nor should this court, ordained as a judicial body, be thought of as a general haven of reform movements », Reynolds v. Sims, 377 U.S. 533, 589 (1964), opinion dissidente du juge Harlan, eut une vaste portée, il s’articulait principalement autour du principe d’égalité et de la protection des droits des personnes favorisées, tel qu’illustré dans les décisions Brown – mettant fin à la ségrégation raciale – ou Baker v. Carr – sur la base duquel sera consacré le principe « un homme, une voix » en matière de découpage électoral – qu’Earl Warren considérait lui-même comme la décision la plus importante que la Cour ait rendue sous sa présidence44E. Warren, The Memoirs of Earl Warren, Doubleday, Garden City, 1977, p. 308..
Les deux grandes périodes d’activisme au cours du XXe siècle étaient ainsi relativement homogènes dans leur orientation idéologique, avec pour la première un activisme conservateur et pour la seconde un activisme en sens libéral, et dans le champ d’application qui était précisément critiqué. À cette relative homogénéité de ces époques classiques, s’oppose la complexité de l’époque actuelle, caractérisée par des accusations en activisme provenant des deux extrémités du spectre idéologique.

B. La complexité du moment présent : la généralisation de l’activisme La complexité de l’emploi des termes « activiste » ou « retenue » est liée à deux mouvements convergents, à savoir la montée en puissance de la Cour et une politisation croissante qui conduit à ce que l’activisme dénoncé résiste à tout effort de définition.

S’agissant du premier mouvement, il suffit ici de rappeler que la Cour n’est plus l’institution faible qu’elle était au début du XVIIIe siècle, qu’Alexander Hamilton qualifiait de branche « la moins redoutable » du pouvoir45A. Hamilton, J. Jay, J. Madison, The Federalist Papers, New York, New American Library, 1961, p. 465 (n° 78).. Il suffit pour cela d’observer la mesure dans laquelle les questions majeures qui divisent la société américaine sont tranchées par la Cour, de la loi sur la réforme de l’assurance santé, à la question de l’interruption volontaire de grossesse, en passant par la peine de mort, le mariage homosexuel, les questions relatives aux programmes d’affirmative action, ou même l’élection présidentielle comme dans l’affaire Bush v. Gore46Bush v. Gore, 531 U.S. 98 (2000).. La Cour moderne rend ainsi chaque année des décisions importantes, dans des matières particulièrement sensibles, à telle enseigne que si on pouvait distinguer auparavant des périodes de crise, liées précisément aux périodes dites d’activisme, aujourd’hui il serait possible d’affirmer que la « crise » liée aux critiques des décisions les plus controversées est devenue une caractéristique presque normale de l’exercice contemporain du contrôle de constitutionnalité des lois. Elle est certes moins aigüe et saillante que sous l’ère Lochner ou la Cour Warren, mais elle est toutefois désormais constamment présente, diffuse dans l’exercice continu du contrôle de constitutionnalité sous sa forme moderne.
La politisation croissante, elle, est la conséquence de ce rôle déterminant joué aujourd’hui par la Cour. Elle est en somme la conséquence de la juridicisation du débat public. Pour paraphraser ce qu’avait déjà perçu Tocqueville, il n’y a pas en effet une question morale ou politique qui ne se résolve tôt ou tard en question judiciaire aux États-Unis47A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Souvenirs, L’Ancien Régime et la Révolution, Robert Laffont, Paris, 1986, p. 258.. Tout désaccord ou toute controverse dans la sphère politique peuvent être transmutés en arguments juridiques, que la Cour accepte le plus souvent d’accueillir. La juridicisation de ces questions a cependant entraîné, en retour, une politisation de la Cour et du système judiciaire dans son ensemble, à mesure que ces questions y prospéraient. Bien que converties en arguments juridiques, les questions politiques n’ont pas perdu leur essence politique et ont en quelque sorte « déteint » sur le processus judiciaire qui devait les résoudre. La Cour est ainsi devenue un enjeu de pouvoir, et cela s’illustre dans le fait que la question des nominations à la Cour soit devenue un enjeu fondamental des élections présidentielles.
Au regard des effets de ce double mouvement, il n’est pas surprenant d’entendre des commentateurs affirmer que l’opposition entre activisme et retenue judiciaire a vécu, de sorte que l’on pourrait affirmer aujourd’hui « nous sommes tous activistes désormais »48A. Lewis « Foreword », in V. Blasi, The Burger Court – The Counter-Revolution That Wasn’t, Yale University Press, 1983, New Haven, p. IX.. Si ce constat fut émis par Anthony Lewis dès les années 1980, il est singulier de noter que l’ensemble de la doctrine ou presque s’accorde à reconnaître que la Cour est aujourd’hui activiste et que certains évoquent la fin du concept même de retenue judiciaire49Le juge Wilkinson, qui officie à la Cour d’appel du quatrième circuit, affirmait ainsi : « The problem here is that everybody loves their own rights ; it’s just the other person’s rights that we have qualms about. Frankly, we are all activists until our own ox is gored », Showcase Panel IV : « An Examination of Substantive Due Process and Judicial Activism », Texas Review of Law and Politics, Vol. 17, n° 2, 2013, p. 319. Voir également R. Posner, « The Rise and Fall of Judicial Self-Restraint », California Law Review, Vol. 100, 2012, p. 519 et s.. La différence porte sur les appréciations selon que l’activisme dénoncé opère dans un sens libéral ou conservateur, mais rares sont ceux qui voient dans la Cour moderne une Cour imprégnée des préceptes de la retenue judiciaire. Cet activisme se caractériserait par la protection de certains droits fondamentaux, au détriment du principe majoritaire et en fonction de préférences idéologiques ; le droit à l’avortement pour les uns, le droit individuel de détenir des armes à feu pour les autres50Roe v. Wade, l’arrêt protégeant le choix de recourir à l’avortement, et l’arrêt Heller, garantissant le droit de détenir individuellement des armes à feu, sont ainsi présentés comme les deux faces d’un même activisme, simplement mises en oeuvre au service de choix axiologiques différents. Voir J. Harvie Wilkinson, « Of Guns, Abortions, and the Unraveling Rule of Law », Va. L. Rev., Vol. 95, 2009, p. 253 et s.. La situation se complexifie assurément lorsqu’une même décision est à la fois perçue par les libéraux comme illustrant l’activisme conservateur, et par les conservateurs comme révélant l’activisme libéral, tandis que le juge l’ayant rendu lui affirme avoir fait preuve de retenue judiciaire, comme ce fut le cas dans l’importante décision sur la constitutionnalité de la réforme santé au sujet de l’opinion rendue par le Chief Justice Roberts51National Federation of Independent Business v. Sebelius, 132 S. Ct. 2566 (2012)..
La raison de ce « brouillage » tient à ce que la Cour moderne, bien que résolument conservatrice, rend néanmoins certains des décisions libérales, en matière d’avortement ou sur la question des droits des homosexuels qui heurtent les sensibilités conservatrices52Cela s’explique notamment au regard de la composition de la Cour suprême. Ces dernières années, jusqu’au décès du juge Scalia le 13 février 2016, la Cour suprême était divisée entre l’aile conservatrice, composée du Chief Justice Roberts, des juges Scalia, Thomas, Alito et Kennedy, et l’aile libérale composée des juges Ginsburg, Breyer, Sotomayor et Kagan. Le juge Kennedy est le juge pivot, c’est-à-dire le centre de gravité idéologique de la Cour. Il vote le plus souvent avec l’aile conservatrice, même s’il rejoint l’aile libérale dans certaines affaires. Le remplacement récent du juge Scalia par le juge Gorsuch ne modifie pas le rapport de forces idéologique au sein de la Cour.. En cela, la Cour ouvre un front de critiques générales mais place aussi chacun des deux camps face à ses propres contradictions. Deux affaires récentes, rendues toutes deux en 2013, à quelques jours d’intervalle, sont révélatrices de la complexité de la situation actuelle et qui illustrent à quel point l’activisme des uns est la retenue des autres.

Dans la première affaire, US. v. Windsor53United States v. Windsor, 133 S.Ct. 2675 (2013). Voir notre commentaire in RFDC, n° 105, 2016, p. 211 et s., la Cour juge en l’espèce, par cinq voix contre quatre, que la loi fédérale DOMA (Defense of Marriage Act), qui limite la reconnaissance de l’union maritale et la jouissance des droits et avantages qui en découlent au niveau fédéral aux seuls couples hétérosexuels, est inconstitutionnelle. Le juge Antonin Scalia a rédigé une opinion dissidente particulièrement critique de l’opinion de la majorité. Selon lui, celle-ci « augmente le pouvoir de la Cour » au détriment du « pouvoir pour le peuple de se gouverner lui-même ». Il affirme que la Cour ne pouvait pas « invalider cette loi adoptée démocratiquement » et que l’erreur des juges provient d’une « conception hypertrophiée du rôle de la Cour ». Selon lui :
« [L’opinion de la majorité] est stupéfiante. Il s’agit d’une affirmation de la suprématie du pouvoir judiciaire sur les représentants du peuple au Congrès et sur l’Exécutif. […] Ceux qui ont rédigé et ratifié notre charte nationale n’auraient pas reconnu une telle image de la Cour […]. Nous aurions pu nous couvrir d’honneur aujourd’hui, en promettant à toutes les parties au débat qu’il leur revenait de le trancher et que nous respecterions leur décision. Nous aurions pu laisser le Peuple décider. Mais la majorité en a décidé autrement »54United States v. Windsor, 133 S.Ct. 2675, 2698, 2711 (2013)..
Le juge Scalia dénonce ainsi l’arrogance de l’opinion majoritaire et affirme que la Cour aurait dû laisser le peuple, à travers les branches politiques, décider. Il met ainsi en exergue la retenue judiciaire, elle-même liée à la protection du principe majoritaire et dénonce l’intervention indue de la Cour. Il est toutefois difficile de concilier la position du juge Scalia dans l’affaire Windsor avec celle qu’il défend un jour plus tôt, dans l’affaire Shelby County55Shelby County v. Holder, 133 S. Ct. 2612 (2013).. En l’espèce, était en cause la constitutionnalité d’une disposition majeure du Voting Rights Act, une loi votée en 1965 visant à protéger le droit de vote des minorités raciales. Elle interdit toute restriction ou privation du droit de vote fondée sur la race ou la couleur de peau et impose un régime particulier à certains États et entités – du sud essentiellement – au passé sensible sur la question raciale – qui ne pourront modifier leur réglementation en matière électorale qu’à la condition d’obtenir en amont l’autorisation de l’Attorney General (ministre de la Justice) ou d’un panel de juges fédéraux. Le VRA prévoit toutefois que ces États et entités peuvent être libérés de cette tutelle à condition de remplir certains critères. Cette loi avait été renouvelée en 1970, 1975, 1982, et en 2006, à une écrasante majorité, pour une durée de vingt-cinq ans.

Dans l’arrêt Shelby, la Cour, soutenue par le juge Scalia, juge que la mesure n’est plus justifiée au regard de l’évolution des rapports raciaux. Les temps ont changé, et les mesures exceptionnelles du passé ne sont donc plus justifiées aujourd’hui. Cette invalidation soulève toutefois une difficulté particulière parce que le Congrès a adopté ces mesures sur le fondement de ses pouvoirs tirés du Quinzième amendement protégeant le droit de vote. Le texte, qui autorise explicitement le Congrès à intervenir pour « donner effet » à l’amendement par une législation appropriée, fonde un pouvoir majeur, à l’égard duquel la Cour suprême fait traditionnellement preuve de déférence. La question fondamentale posée par l’affaire porte en effet sur le point de savoir qui est compétent pour déterminer si le VRA est toujours justifié aujourd’hui dans certaines régions. Le juge dispose-t-il d’un pouvoir d’appréciation identique à celui du Congrès en la matière ?
Une Cour qui, contre l’avis quasi unanime des élus du Congrès, estime que le Voting Rights Act n’est plus nécessaire et qui se fait ainsi le juge de l’état de la discrimination raciale aux États-Unis n’est pas la Cour humble et modeste érigée en modèle par le juge Scalia dans l’affaire Windsor. On a peine à voir, en effet, comment l’emphase sur le principe majoritaire et la démocratie dans Windsor est compatible avec l’intervention judiciaire qu’il défend dans Shelby. Le problème de la retenue judiciaire invoquée par Antonin Scalia tient donc à ce qu’elle est à géométrie variable et qu’elle épouse ses propres choix de valeurs. On pourrait également opposer son argumentation dans l’affaire Shelby, à la position de la Cour, qu’il soutient, dans l’affaire Citizens United56Citizens United v. Federal Election Commission, 558 U.S. 310 (2010). Voir notre commentaire, RFDC, n° 86, 2011, p. 324 et s..
Un des arguments au soutien de la position du juge Scalia consisterait à soutenir, en invoquant une des axes de la retenue judiciaire, qu’il n’a fait qu’appliquer le droit, et que celui-ci imposait de ne pas invalider le Defense of Mariage Act mais imposait d’invalider le Voting Rights Act. Les éléments qui ressortent néanmoins de la juxtaposition des affaires sont la profonde subjectivité des raisonnements et l’absence de cohérence interne57Voir nos commentaires précités de ces décisions.. Cette thèse a été développée par les mouvements critiques, tels que les critical legal studies (CLS), pour qui le droit, et en particulier la jurisprudence constitutionnelle de la Cour suprême, n’est autre que de la politique sous une autre forme58Voir M. Kelman, A Guide to Critical Legal Studies, Harvard University Press, Cambridge, 1990, 327 p. Et pour utiliser un terme cher aux membres des CLS, on assiste aujourd’hui à la déconstruction des notions d’activisme et de retenue judiciaire sous l’effet des tensions, de l’instrumentalisation et des désaccords marqués qui empêchent de penser la notion de manière constructive. De l’activisme, on pourrait ainsi dire, à la manière du juge Stewart qui cherchait à définir l’obscénité dans une affaire célèbre, « je le reconnais quand je le vois »59« I shall not today attempt further to define the kinds of material I understand to be embraced within that shorthand description ; and perhaps I could never succeed in intelligibly doing so. But I know it when I see it, and the motion picture involved in this case is not that », Jacobellis v. Ohio, 378 U.S. 184, 197 (1964) nous soulignons. L’activisme et la retenue, en particulier aujourd’hui, sont ainsi dans l’oeil de celui qui regarde.
Ce premier temps de l’analyse a permis d’envisager le temps long et la perte de sens des termes « activiste » et « retenue ». Il convient désormais d’envisager les redéfinitions ponctuelles et opportunistes des notions d’activisme et de retenue judiciaire qui ont eu lieu lors de certains moments charnières

 

 

II. Les redéfinitions opportunistes du concept de retenue judiciaire

Il est singulier de constater la mesure et la manière selon laquelle le binôme activisme-retenue a été repensé, délaissé ou retrouvé, au cours de certaines périodes, donnant lieu à des inversions paradoxales qui illustrent, une fois de plus, la prégnance des considérations idéologiques dans l’usage de ces termes. Le premier moment, particulièrement révélateur, correspond au dilemme des auteurs libéraux au cours des années 60, lorsque, après avoir dénoncé l’activisme de la Cour sous l’ère Lochner pendant plusieurs décennies, ils se retrouvent confrontés à l’activisme, libéral, cette fois-ci de la Cour Warren (A). Le second moment qu’il convient d’envisager se produit actuellement au sein du mouvement conservateur, avec le rejet de la retenue judiciaire, qui a pourtant longtemps été un marqueur du conservatisme juridique, au moins dans la rhétorique, au profit du concept émergent d’engagement judiciaire (B). Dans les deux cas, des désaccords autour des notions d’activisme et de retenue provoquent des scissions en doctrine, et des redéfinitions opportunistes.
A. Le dilemme des libéraux sur la retenue judiciaire au cours des années 60
Les positions des libéraux vis-à-vis du pouvoir judiciaire avant la Cour Warren (1953-1969) peuvent être résumées de manière assez simple : les libéraux étaient traditionnellement hostiles à un pouvoir fort des cours. Ceci s’explique de manière assez logique puisque celles-ci étaient principalement dominées par les conservateurs60Sur l’inclinaison conservatrice des juristes et des juges, voir A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Souvenirs, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., p. 253. Cette position des libéraux s’ancre et se cristallise sous l’ère Lochner, en réaction à ce qui est perçu comme étant l’activisme conservateur des juges61Voir supra.. Les auteurs libéraux vont alors critiquer cette jurisprudence de différentes manières.

Une première forme de cette « révolte » tient à l’apparition du mouvement réaliste, en réaction à la fiction formaliste mise en avant par les juges selon lesquels ils ne faisaient qu’appliquer le droit62Voir M. White, Social Thought in America : The Revolt Against Formalism, Beacon Press, Boston, 1957, 301 p. ; M. Horwitz, The Transformation of American Law : 1870-1960, Oxford University Press, Oxford-New York, 1992, p. 169 et s. La critique réaliste vise ainsi à dévoiler le poids des considérations personnelles et des biais idéologiques dans le processus d’interprétation, derrière la neutralité affichée et entretenue par le mythe d’une application mécanique de la règle de droit. Le raisonnement juridique est présenté comme un masque venant justifier a posteriori des choix idéologiques, rendus possibles par la marge de manoeuvre qu’ouvre l’indétermination des dispositions constitutionnelles que les juges doivent interpréter.
Une autre forme de réaction des auteurs libéraux a consisté à militer fortement pour la retenue judiciaire, c’est-à-dire, telle qu’elle était comprise à l’époque, un rôle limité des cours. De grands juristes comme le Professeur James Bradley Thayer à Harvard, les juges Oliver Wendell Holmes et Louis Brandeis à la Cour suprême mettent ainsi en exergue et théorisent la nécessité d’un usage restreint et prudent du contrôle de constitutionnalité des lois, afin notamment de respecter le « droit pour une majorité d’ancrer ses conceptions dans le droit »63Lochner v. New York, 198 U.S. 45, 75 (1905).. L’opinion concordante du juge Louis Brandeis dans l’affaire Ashwander64Ashwander v. Tennessee Valley Authority, 297 U.S. 288 (1936)., dans laquelle il rédigea un plaidoyer en faveur de la retenue judiciaire, était ainsi considérée comme le modèle à suivre65Voir É. Zoller, Les grands arrêts de la Cour suprême des États-Unis, op. cit., p. 242. En l’espèce, le juge avait, entre autres, posé la doctrine de l’évitement (constitutional avoidance), en vertu de laquelle la Cour ne saurait se prononcer sur une question de droit constitutionnel, quand bien même elle serait soulevée, s’il existe une autre base juridique permettant de résoudre l’affaire66« The Court will not pass upon a constitutional question although properly presented by the record, if there is also present some other ground upon which the case may be disposed of », Ashwander v. Tennessee Valley Auth., 297 U.S. 288, 347 (1936).. L’idée force du mouvement reposait ainsi sur une stricte limitation de l’intervention du juge constitutionnel. Ces auteurs retiennent ainsi une conception défensive de la légitimité du juge, caractérisée par ce qu’il s’abstient de faire. Dans les années 50, la Cour Warren, par sa jurisprudence activiste et d’orientation libérale, mit à l’épreuve cette posture traditionnelle en faveur de la limitation du pouvoir judiciaire. Le dilemme posé par les décisions de la Cour Warren aux auteurs libéraux des années 1950 est le suivant : que faire face à cette Cour dont ils approuvent les solutions au fond, mais dont le caractère activiste heurte leurs conceptions du rôle de la Cour ? Cette vive tension s’illustre ainsi dans un article fondamental du Professeur Wechsler dans lequel, tout en critiquant les décisions de la Cour en matière de ségrégation raciale, il reconnaît qu’elles sont celles qui ont les meilleures chances de contribuer durablement au progrès de la société américaine67H. Wechsler, « Toward Neutral Principles of Constitutional Law », Harvard Law Review, Vol. 73, n° 1, 1959, p. 1-35..
Face à cette nouvelle Cour, une partie des libéraux, la vielle garde progressiste, marquée par l’ère Lochner, fit le choix de la cohérence théorique, c’est-à-dire le rejet du nouvel activisme. Learned Hand et Felix Frankfurter défendirent ainsi résolument le principe de la retenue judiciaire, en critiquant au besoin les décisions de la Cour Warren68Voir L. Hand, The Bill of Rights, op. cit. Felix Frankfurter manifesta son opposition aux décisions de la Cour dans laquelle il siégeait de manière directe, à travers ses opinions dissidentes. Voir en particulier son opinion dissidente sous l’arrêt Baker v. Carr, 369 U.S. 186 (1962), dans laquelle il dénonce « la futilité d’une intervention judiciaire dans ce qui est essentiellement un conflit politique », ibid. p. 267. Il usa également de moyens indirects, notamment en encourageant ses anciens assistants, devenus les chefs de file d’école processualiste à Harvard (legal process school) tels que Henry Hart et Albert Sacks, à lancer la charge contre la Cour dans les revues de droit. Voir W Wiecek, « American Jurisprudence after the War : Reason Called Law », Tulsa Law Review, Vol. 37, n° 4, 2002, p. 871.. C’était tout autant une exigence de cohérence qu’une illustration de leur approche défensive de la légitimité du juge constitutionnel. La difficulté tenait pour eux à justifier « objectivement » le double standard à l’oeuvre – la déférence en matière économique et sociale, et le contrôle plus poussé en matière de liberté fondamentales autres qu’économiques. À leurs yeux, il était difficile de justifier les arrêts Brown69Brown v. Board of Education, 347 U.S. 483 (1954). – mettant fin à la ségrégation raciale dans les écoles publiques – ou Griswold70Griswold v. Connecticut, 381 U.S. 479 (1965). – reconnaissant un droit constitutionnel à la vie privée sur la base duquel sera ultérieurement protéger le choix de recourir à l’interruption volontaire de grossesse – sans réhabiliter Lochner. Pour Felix Frankfurter, les évènements de 1937 – à savoir les mesures offensives du Président Roosevelt contre la Cour – avaient illustré les dangers qui guettent une Cour trop audacieuse. Ceci se ressent distinctement dans son opinion dans la décision Dennis lorsqu’il écrit que « l’histoire enseigne que l’indépendance du pouvoir judiciaire est en péril lorsque les cours se trouvent mêlées aux passions du moment et endossent la responsabilité première dans les choix parmi les contraintes politiques, économiques et sociales »71« History teaches that the independence of the judiciary is jeopardized when courts become embroiled in the passions of the day and assume primary responsibility in choosing between competing political, economic and social pressures », Dennis v. United States, 341 U.S. 494, 525 (1951). ou encore dans son opinion dissidente sous l’arrêt Baker lorsqu’il énonce que «l’autorité de la Cour – qui ne possède ni la bourse ni l’épée – repose en dernier ressort sur la confiance continue du public à travers son approbation morale. De tels sentiments doivent être nourris par le détachement complet de la Cour, en apparence et en fait, à l’égard de toute compromission politique, ainsi que par le renoncement à se projeter dans les conflits politiques »72« The Court’s authority – possessed of neither the purse nor the sword – ultimately rests on sustained public confidence in its moral sanction. Such feeling must be nourished by the Court’s complete detachment, in fact and in appearance, from political entanglements and by abstention from injecting itself into the clash of political forces in political settlements », Baker v. Carr, 369 U.S. 186, 267 (1962)..
Le juge Frankfurter livre donc une défense de la retenue judiciaire pour des motifs à la fois de respect des institutions démocratiques – et donc du principe majoritaire – mais surtout de protection de l’institution judiciaire. C’est ainsi que s’explique ce que l’on pourrait nommer le « paradoxe Felix Frankfurter », icône du mouvement progressiste sous l’ère Lochner et qui devint pourtant une figure du conservatisme judiciaire sous la Cour Warren. Dans un monde en mutation, sous l’effet des reconfigurations provoquées par l’activisme libéral de la Cour Warren, le juge Frankfurter s’est efforcé de rester fidèle à la retenue judiciaire.
À l’inverse, une nouvelle génération d’auteurs, promis à un brillant avenir tels que Laurence Tribe, Bruce Ackerman, Frank Michelman ou Ronald Dworkin, s’affranchit de l’héritage intellectuel progressiste de l’ère Lochner. Convaincus par les résultats de la Cour, ils défendent et développent des théories afin de justifier l’activisme juridictionnel73Le Professeur Wechsler pouvait ainsi affirmer à propos du Professeur Tribe : « Voici quelqu’un qui n’était pas né quand les problèmes dont je parle apparurent [il fait référence ici à la crise du New Deal] et dont l’attitude vis-à-vis de l’activisme est par conséquent plus tolérante », in N. Silber, G. Miller, « Toward Neutral Principles in the Law : Selections from the Oral History of Herbert Wechsler », Colum. L. Rev., Vol. 93, 1993, p. 924. D’ailleurs dans la préface de la première édition de son traité de droit constitutionnel, le Professeur Tribe affiche clairement sa position et rejette l’idée de la retenue judiciaire, qui est selon lui une autre forme d’activisme masqué – dans la mesure où décider de ne pas décider est déjà un choix qui règle le litige du requérant. Selon lui, le rôle de la Cour n’est pas de préserver l’intégrité ou la crédibilité du pouvoir judiciaire, mais, en reprenant les termes de la Constitution, de « former une union plus parfaite ». Dans ce cadre, il revendique ses choix de valeur et rejette expréssement l’illusion de la neutralité : « I reject the assumptions characteristic of Justices like Felix Frankfurter and scholars like Alexander Bickel : the highest mission of the Supreme Court, in my view, is not to conserve judicial credibility, but in the Constitution’s own phrase, to “form a more perfect Union” between right and rights within that charter’s necessary evolutionary design” […] For me the morality of responsible scholarship points not at all to the classic formula of supposedly value-free detachment and allegedly unbiased description […] I am convinced that attempts to treat constitutional doctrine neutrally elide important questions and obscure available answers », L. Tribe, American Constitutional Law, Foundation Press, New York, 1978, p. ii.. Contrairement à leurs aînés, ils n’ont pas connu l’ère Lochner. Leur référentiel est l’arrêt Brown, et le progrès qu’il représentait, non pas la crise de 1937, qui appartenait déjà à l’histoire. Ils peuvent donc défendre un rôle plus engagé du juge constitutionnel sans se contredire directement.
À leurs yeux, la difficulté contre-majoritaire n’est pas si « difficile » que cela. Le problème de l’ère Lochner n’est donc pas que la Cour a usurpé les pouvoirs du législateur et du peuple en invalidant les réformes progressistes au nom de la protection de la liberté contractuelle. Le problème est tout simplement que la Cour a protégé les « mauvais » droits74Voir L. Tribe, American Constitutional Law, 3e ed., p. 1370.. Dès lors, selon eux, la question que doivent se poser les juges n’est pas de savoir s’ils doivent ou non intervenir, mais plutôt comment ils doivent le faire. Le débat sur les valeurs constitutionnelles que le juge doit défendre l’emporte ainsi sur celui relatif à la préservation de la légitimité institutionnelle du juge constitutionnel. En d’autres termes, contrairement à leurs aînés, la nouvelle génération de juristes libéraux produits par la Cour Warren développe une conception offensive de la légitimité du juge et non pas défensive. C’est par ses actions et ses interventions que le juge remplit sa mission, non par la déférence envers le législateur et l’inaction.
De manière ironique, ce débat a commencé à se jouer en sens inverse il y a quelques années. Face aux décisions conservatrices de la Cour Rehnquist et de la Cour Roberts, des auteurs libéraux réunis sous la bannière du « constitutionnalisme populaire »75Voir notre étude, La légitimité du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois. Étude critique de l’argument contre-majoritaire p. 249 et s., prônent à nouveau la retenue judiciaire, ce qui a d’ailleurs provoqué une nouvelle scission au sein du mouvement libéral. Ces tensions s’illustrent à travers le désaccord entre Laurence Tribe et le Doyen Larry Kramer, exprimé dans les pages du New York Times en 200476Voir L. Tribe, « The People’s Court », The New York Times, 24 octobre 2004, p. 32. Laurence Tribe émet ici une critique au vitriol de l’ouvrage de Larry Kramer, The People Themselves. Popular Constitutionalism and Judicial Review, Oxford University Press, New York, 2004, 376 p. Voir également L. Tribe, « To the Editor, Kramer v. Tribe », The New York Times, 21 novembre 2004 et L. Kramer, « To the Editor, Kramer v. Tribe », id.

Alors que Larry Kramer apporte une réponse institutionnelle au problème posé par l’activisme conservateur de la Cour contemporaine, en prônant la mise en retrait du juge constitutionnel, Laurence Tribe entend mener le combat sur le plan de la substance, en contestant non pas le pouvoir de la Cour, mais simplement le sens dans lequel celui-ci est exercé. Laurence Tribe est ainsi fidèle à la position qu’il adopte depuis les années 197077Voir supra. La controverse Larry Kramer – Laurence Tribe du début du XXI siècle reproduit ainsi en sens inverse la querelle doctrinale des années 1950, qui avait divisé les libéraux au sujet de la jurisprudence constitutionnelle de la Cour Warren. À l’époque, à partir d’une doctrine largement favorable à la retenue judiciaire78Parce que cette position lui avait été inculquée par ses maîtres tout au long de l’ère Lochner, et donc circonspecte face aux audaces jurisprudentielles de la Cour Warren, un groupe de jeunes auteurs progressistes s’était affranchi de cet héritage intellectuel en embrassant la défense d’un rôle étendu du juge constitutionnel. Aujourd’hui, à partir d’une doctrine largement favorable à l’intervention poussée du juge, certains auteurs libéraux, revenus du mirage de la Cour Warren, prônent la limitation sinon l’élimination des pouvoirs du juge constitutionnel.

On pourrait objecter que cette nouvelle défense de la retenue judiciaire est sincère et qu’elle n’est pas liée au fait que la Cour soit aujourd’hui dominée par les conservateurs. Néanmoins, les juristes se livrant à une réflexion sur la justice constitutionnelle le font presque nécessairement en réponse à la manière dont celle-ci est exercée, c’est-à-dire en réponse aux décisions de la Cour suprême du moment. Toute réflexion en la matière, aussi sophistiquée soit-elle, peut difficilement échapper aux réalités des controverses constitutionnelles du moment. D’ailleurs, une des figures de proue du constitutionnalisme populaire, le Professeur Mark Tushnet à Harvard, a reconnu avec une franchise déconcertante que s’il pouvait s’assurer que les juges partageait ses vues libérales, il serait un ardent défenseur du contrôle de constitutionnalité79« And of course if I could guarantee that five justices held exactly the views I have, I would be wildly in favor of judicial review », M. Tushnet, Taking the Constitution Away From the Courts, Princeton University Press, Princeton, 1999, p. 155. Voir également M. Tushnet, « Is Judicial Review Good for the Left ? », Dissent, Vol. 45, n° 1, 1998, p. 65-70, et « Democracy Versus Judicial Review », art. cit., articles dans lesquels Mark Tushnet affirme clairement que l’élimination du judicial review servirait les intérêts des libéraux.. Cela signifie bien que son engagement en faveur de la retenue judiciaire n’est pas un engagement de principe, mais est bien circonstanciel.
Ce réflexe opportuniste n’est pas l’apanage des libéraux. Un virage comparable a d’ailleurs lieu en ce moment chez les conservateurs.

B. Le revirement contemporain des conservateurs : la défense de l’engagement judiciaire
Dans le discours conservateur classique, l’activisme est une insulte et renvoie aux excès de la Cour Warren. Les juges de la Cour Warren sont dans cette optique des contre-modèles dont l’activisme menace la démocratie américaine. En 1968, le candidat Richard Nixon illustre cette idée lorsqu’il affirme vouloir nommer
« des juges qui envisageront leurs fonctions comme étant celle d’interpréter strictement le droit, et non de le créer. Ils se verront comme les gardiens de la Constitution et les serviteurs du peuple non pas comme une super législature, ayant carte blanche pour imposer ses conceptions politiques et sociales au peuple américain »80Richard Nixon, propos rapportés in D. Stephenson, Campaigns and the Court : The U.S. Supreme Court in Presidential Elections, Columbia University Press, New York, 1999, p. 181.

Le mouvement juridique conservateur moderne apparaît d’ailleurs dans les années 60, précisément en tant que réaction à la jurisprudence libérale de la Cour Warren. Le mouvement s’organise autour de grandes figures intellectuelles, notamment les juges Robert Bork et Antonin Scalia. Il se structure avec la création en 1982 de la Federalist Society, une organisation influente qui va diffuser les thèses conservatrices dans les écoles de droit et dans le milieu juridique dans son ensemble. Ce mouvement aura également une déclinaison théorique, à savoir l’originalisme en tant que méthode d’interprétation de la Constitution qui, en théorie du moins, prône un rôle limité du juge81Voir notre étude, La légitimité du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois. Étude critique de l’argument contre-majoritaire p. 401 et s..
Un des marqueurs du conservatisme juridique est la mise en exergue de la retenue judiciaire en lien avec le principe majoritaire. Si le juge doit faire preuve de retenue, et s’en remettre au sens originaire des dispositions constitutionnelles, c’est précisément pour ne pas se laisser « séduire par la politique » et ne pas empiéter sur les prérogatives des branches politiques. Comme l’écrit Robert Bork, le système américain suppose que, dans de larges domaines, la majorité doit l’emporter pour la seule raison qu’elle est la majorité82R. Bork, The Tempting of America. The Political Seduction of the Law, Free Press, New York, 1990, p. 139, raison pour laquelle l’intervention contre-majoritaire du juge doit être limitée. Lors de son audition devant le Comité judiciaire du Sénat, John Roberts exprime l’orthodoxie conservatrice (et formaliste)83Il convient de préciser que les juges conservateurs n’ont pas l’apanage de ce genre de propos formaliste. Les juges libéraux, lors de leurs auditions, tiennent peu ou prou le même discours. Sonia Sotomayor affirma ainsi : « Ma philosophie judiciaire est simple : fidélité au droit. Le rôle du juge n’est pas de créer le droit – il s’agit d’appliquer le droit », Confirmation Hearing on the Nomination of Sonia Sotomayor to be an Associate Justice of the Supreme Court of the United States : Hearing Before the S. Comm. on the Judiciary, 111th Cong., 2009, p. 59. Il n’est guère surprenant que les juges relaient cette vision formaliste. En revanche, s’agissant de la doctrine, le discours autour de la retenue et d’un juge qui ne fait qu’appliquer le droit est prédominant chez les conservateurs, ainsi qu’en témoigne le succès de l’originalisme en affirmant que
« les juges sont comme des arbitres. Les arbitres ne créent pas les règles ; ils les appliquent. Le rôle de l’arbitre et du juge est essentiel. Ils assurent tous deux que le monde obéit aux règles mais c’est un rôle limité […] Mon rôle est d’arbitrer, pas de jouer »84Confirmation Hearing on the Nomination of John Roberts to Be Chief Justice of the Supreme Court of the United States : Hearing Before the S. Comm. on the Judiciary, 109th Cong., 2005, p. 55-56.
On le voit, la référence à la retenue judiciaire constitue un point clé du conservatisme juridique traditionnel. Toutefois, un nouveau terme est apparu récemment dans les milieux conservateur et libertarien qui remet en cause cette posture traditionnelle : il s’agit du terme d’engagement judiciaire (judicial engagement). L’expression constitue, en quelque sorte, le « bon activisme », l’activisme vertueux, mais le terme « activisme » est trop connoté péjorativement pour pouvoir être mobilisé, de sorte qu’il fallait le remplacer. L’engagement judiciaire est ainsi l’habit neuf de l’activisme.

Ce terme apparaît au début des années 2010 dans les travaux de différents think tanks et groupes de réflexion tels que le CATO Institute, ou l’Institute for Justice et a rapidement fait florès85Voir C. Neily, Terms of Engagement : How Our Courts Should Enforce the Constitution’s Promise of Limited Government, Encounter books, New York, 2013, 232 p.. L’Institute for Justice a d’ailleurs créé un Centre pour l’engagement judiciaire (Center for Judicial Engagement), mettant en exergue la nécessité de mettre en oeuvre le contrôle de constitutionnalité des lois et fustigeant la déférence comme une forme d’abdication. Il s’agit rien de plus que d’un virage à cent quatre-vingt degrés par rapport à la position traditionnelle du conservatisme juridique, à travers une défense exacerbée du contrôle de constitutionnalité. La déclaration du Centre pour l’engagement judiciaire énonce ainsi qu’« invalider des lois et s’opposer aux actions illégitimes du gouvernement n’est pas de l’activisme, mais de l’engagement : c’est la mise en oeuvre justifiée des limites sur le pouvoir politique »86Declaration of the Center for Judicial Engagement, accessible à l’adresse suivante : http://ij.org/center-for-judicial-engagement/programs/declaration-of-the-center-for-judicial-engagement/. Dans cette optique, la retenue judiciaire est perçue comme une faute, une sorte de déni de justice constitutionnelle. Un rapport de l’Institute for Justice s’ouvre ainsi par le constat, chiffres à l’appui, que la Cour n’invalide pas suffisamment de lois, et ne protège ainsi pas les libertés auxquelles les lois validées portent atteinte87Institute for Justice, Government Unchecked. The False Problem of « Judicial Activism » and the Need for Judicial Engagement, 2011, 20 p., accessible en ligne.
L’expression « engagement judiciaire » a gagné les prétoires et on la retrouve dans l’opinion d’une Cour d’appel fédérale déclarant inconstitutionnelle la réforme de l’assurance santé votée en 2010 : « Lorsque le Congrès outrepasse ses limites, la Constitution requiert l’engagement judiciaire, non l’abdication judiciaire »88Florida ex rel. Atty. Gen. v. U.S. Dept. of Health and Human Services, 648 F.3d 1235, 1284 (11th Cir. 2011).
La difficulté, bien entendu, est de déterminer quels sont les champs dans lesquels l’engagement judiciaire doit opérer, quels sont les droits fondamentaux non prévus explicitement par la Constitution89La déclaration du Centre pour l’engagement judiciaire met en exergue la protection des droits non écrits que le juge doit protéger ? Les conservateurs prônant cet engagement judiciaire mettent de façon non surprenante l’accent sur les libertés économiques et la propriété privée, et ce mouvement doit être mis en parallèle avec la littérature récente visant à réhabiliter l’arrêt Lochner90Voir T. Colby, « The Return of Lochner », Cornell Law Review, Vol. 100, 2015, p. 5267-602. Naturellement, les libéraux mettraient eux l’accent sur le droit au respect de la vie privée, protégeant ainsi le choix de recourir à l’avortement, de sorte que l’on retombe sur une opposition Lochner contre Roe91Roe v. Wade, 410 U.S. 113 (1973), arrêt dans lequel la Cour garantit le droit pour une femme du choix de recourir à l’avortement.
Ce renouveau de l’engouement pour l’intervention du juge crée une tension au sein du mouvement conservateur qui se retrouve divisé, à la manière de la scission qu’a connue le mouvement libéral dans les années 60. L’affaire récente NFIB v. Sebelius, la première décision de la Cour suprême sur la constitutionnalité de la réforme de l’assurance santé, est à ce titre particulièrement révélatrice92National Federation of Independent Business v. Sebelius, 132 S. Ct. 2566 (2012).Voir nottre comentaire, RFDC, n° 97, 21014, p. 185 et s. En l’espèce, au terme d’une longue et complexe décision, la Cour, par cinq voix contre quatre, valide la disposition centrale de la loi avec, fait surprenant, le Président de la Cour John Roberts qui rejoint l’aile libérale. La surprise provient du fait que c’est généralement le juge Kennedy, le juge pivot, qui rejoint l’aile libérale pour faire basculer la Cour dans certains contentieux. Le raisonnement du juge Roberts est le suivant. L’obligation de s’assurer prévue par la loi ne peut pas être fondée sur les pouvoir du Congrès tirés de la clause de commerce, mais il est possible de la fonder sur les pouvoirs fiscaux du Congrès, même si ce n’est pas l’interprétation la plus évidente. On peut ainsi y recourir pour sauver la loi.
Pour avoir voté avec les libéraux et validé la loi, le Président Roberts a été considéré comme un traître par les conservateurs93C. Camia, « Chief justice takes fire for health care ruling », USA Today, 28 juin 2012, accessible en ligne. D’ailleurs, lors des débats durant la campagne présidentielle de 2016, les candidats républicains Ted Cruz et Donald Trump ont tenté de rassurer leur base conservatrice en précisant qu’ils ne nommeraient pas des juges comme John Roberts. Pourtant, à bien y regarder, l’argumentation de John Robert correspond à ce qui était il n’y a pas si longtemps l’orthodoxie de la pensée constitutionnelle conservatrice.
La décision rédigée par John Roberts est en effet parsemée de références à la retenue judiciaire. Il rappelle « qu’entre deux interprétations possibles d’une loi, le devoir de la Cour est d’opter pour celle qui sauve la loi d’une déclaration d’inconstitutionnalité »94National Federation of Independent Business v. Sebelius, 132 S. Ct. 2566, 2593 (2012).. Il conclue sur le même ton en affirmant que « la Cour ne s’est pas prononcé sur la sagesse de la loi car ce jugement est réservé au peuple en vertu de la Constitution »95Ibid., p. 2608-2609. Cette conception limitée du rôle du juge, c’est celle que les conservateurs ont traditionnellement défendu. C’est celle qu’ils ont mis en avant face à ce qu’ils considéraient être les excès de la Cour Warren.

À l’inverse, les quatre juges conservateurs dans la minorité, qui estiment que l’obligation de s’assurer est inconstitutionnelle, dénoncent l’opinion de John Roberts. Ils disent qu’en fait de modestie, la décision traduit plutôt un excès de pouvoir judiciaire. On a là deux conceptions qui s’affrontent : une en vertu de laquelle les cours ont un rôle limité et il leur appartient d’éviter dans la mesure du possible d’invalider une loi, une autre plus offensive, en vertu de laquelle il n’appartient pas au juge d’essayer de dégager une interprétation raisonnable pour sauver la loi. En cela, l’arrêt traduit à la fois une crise et une transition au sein du mouvement conservateur. Cette évolution au sein du mouvement juridique conservateur se retrouve également, sur un plan plus théorique, dans les nouvelles versions de l’originalisme développée en doctrine, qui prônent un usage plus offensif du contrôle de constitutionnalité des lois96Voir R. Barnett, Restoring the Lost Constitution : The Presumption of Liberty, Princeton University Press, Princeton, 2005, 366 p.
Les évolutions et volte-faces au sein du mouvement conservateur, traduites par l’émergence contemporaine du concept d’engagement judiciaire, qui serait ainsi la forme vertueuse de l’activisme, traduisent, une fois de plus la nature protéiforme et insaisissable de la retenue judiciaire.

***
La référence à l’activisme ou à la retenue judiciaire obscurcit la discussion plus qu’elle ne l’éclaire, en raison de la profonde indétermination de ces termes. Les désaccords idéologiques, les nombreux revirements, les incohérences internes au sein d’un même argumentaire illustrent ainsi que l’activisme est dans l’oeil de celui qui regarde et qui, le plus souvent, désapprouve la décision qu’il qualifie ainsi. Jean Rivero affirmait que les « mots dont la définition varie avec ceux qui les emploient inspirent un sentiment d’insécurité »97J. Rivero, « Consensus et légitimité », Pouvoirs, n° 5, 1978, p. 57. Assurément, la « retenue judiciaire » et l’« activisme » sont de ces mots. Plus que d’insécurité, sans doute faut-il mieux évoquer une inintelligibilité du discours. À l’aune de ce constat, il serait sans doute préférable d’abandonner l’usage de ces termes et la présente étude aurait pu avoir pour sous-titre « Pour en finir avec l’activisme et la retenue judiciaire ». La difficulté, néanmoins, est que ces expressions ne manqueraient pas d’être remplacées par des formules tout aussi problématiques, telle que l’émergence de l’« engagement judiciaire » l’illustre, de sorte que les nouveaux mots seraient affectés des mêmes maux. La nature a horreur du vide et il est sans doute illusoire de penser que le débat puisse se passer de termes visant à qualifier l’intervention du juge. En dernière analyse, ce ne sont d’ailleurs pas tant les expressions elles-mêmes qui sont en cause, mais bien l’intensité des lignes de faille qui parcourent le débat constitutionnel contemporain, des passions évoquées par Laurence Tribe98Voir supra note 19. qui, précisément, laissent peu de place à l’accord.

 

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