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Les méthodes de construction de l’accord et du désaccord par les juges

Jean-Yves CHÉROT

Aix Marseille Université, Laboratoire de théorie du droit (LTD)

Un schéma trop simple qui se contenterait de rappeler que le juge répond aux désaccords en droit portés devant lui par les parties en disant le droit, en ayant ainsi renvoyé l’une des parties (ou les deux) à son (leur) erreur(s) manquerait d’être suffisant pour comprendre les enjeux du désaccord en droit. On ne peut s’arrêter à cette expression – dire le droit – et à ce qu’elle donne à penser, que la réponse du juge est celle qui vient, non seulement apaiser le litige, mais aussi distinguer entre les thèses sur le droit, celle d’une partie ou celles des deux parties (car l’erreur peut être plurielle) qui sont erronées et celle (une seule !) qui est ou serait exacte.

Le traitement du désaccord est bien plus complexe que cette présentation ne le suggère, y compris parce que le traitement du désaccord peut, dans certains cas du moins, dans des cas peut-être peu nombreux mais significatifs, emporter un désaccord entre les juges sans qu’il puisse être pensé que les uns seraient dans l’erreur et que les autres (ceux qui seraient dans la majorité ?) auraient raison.

Les désaccords portés devant le juge par les parties à un litige ne sont pas seulement des désaccords d’intérêts limités aux parties, à des intérêts privés; ils reflètent aussi, de façon plus ou moins fréquente selon les contentieux, des conflits d’intérêts et de valeur assez profonds au sein même de la société pour se présenter aussi sous la forme de désaccords sur les droits et cela a été facilité et peut-être profondément modifié par le processus de constitutionnalisation, c’est-à-dire par un processus à la fois de transformation de nombreuses questions de droit en questions de droit constitutionnel et l’aptitude toute particulière des questions de droit constitutionnel à intégrer les débats de politiques, d’éthique et de justice. Ce facteur se retrouve naturellement développé dans le système juridique de l’Union européenne et dans l’internationalisation judicaire des droits de l’homme. Une partie des désaccords sur le droit porté par les parties est ainsi le reflet du « fait du pluralisme » ou du « fait de la diversité » dans la société, notamment dans les conceptions sur le bien, ou encore, ce qui est différent, dans les conceptions sur ce qui est juste et se retrouvent ainsi, parfois, dans des désaccords sur le droit entre les juges. Le désaccord sur le droit est ainsi un point d’entrée extrêmement important du point de vue de la politique, de la philosophie morale et de l’éthique.

Le droit n’a-t-il pas pourtant précisément pour but de laisser à la porte les différentes conceptions du bien à l’appréciation personnelle de chacun, la politique et le droit devant dans une société libérale ne pas intervenir dans les conceptions de la bonne vie qui appartiennent à chacun de nous? Mais c’est bien une question controversée d’être en mesure de dire dans de nombreux cas problématiques les enjeux de la démocratie libérale. Les questions de droit portées devant les juges n’ont-elles pas vocation à laisser à la porte les questions de justice relevant, surtout dans une société plurale, de la compétence des parlements? D’ailleurs, le désaccord dont nous parlons et porté devant les juges est-il encore un désaccord sur le droit, dès lors que l’on peut précisément penser que, dans ces cas, le droit n’est pas encore déterminé ? Mais cette dernière question est plus théorique que pratique, car, de fait, ces désaccords sont portés devant les juges et la question est de savoir comment ils les tranchent. Le désaccord porté devant les juges peut alors révéler, un autre type de désaccord, dans une autre controverse, celle qui porte avec plus ou moins d’intensité, selon les moments et selon les systèmes ou ordres juridiques, sur la légitimité des juges à trancher certains désaccords en empiétant sur l’appréciation de ce qui a été déjà ou qui n’a pas été encore décidé par le législateur ou par le gouvernement.

L’un des points d’entrée est de regarder l’argumentation des juges, leurs décisions et leurs méthodes comme un champ clef aussi bien dans la construction de l’accord que de la construction du désaccord dans nos sociétés. C’était l’objet du colloque organisé par le Laboratoire de théorie du droit qui s’est tenu à la Faculté de droit d’Aix-Marseille le 26 novembre 2016 de montrer que la construction de l’accord et du désaccord au sein des cours de justice pouvait et devrait être un thème central à la fois dans l’analyse du raisonnement et de l’argumentation juridiques, de l’institution de la justice et dans la théorie de la démocratie délibérative.

La construction de l’accord est naturellement recherchée par les juges, mais c’est là un rôle qui est loin d’être banal, non seulement parce qu’il est parfois difficile mais aussi dans ce qu’il révèle des méthodes pour y parvenir, de leur évolution et parfois de leur échec ou tout simplement de leur caractère problématique ou encore contesté.

La construction de l’accord se poursuit parfois en cas de trop fort désaccord par le recours à ce qu’on appelle et que le juge lui-même appelle la « marge d’appréciation ». Cette méthode n’est pas réservée à ce que la CEDH appelle la marge nationale d’appréciation, mais se retrouve aussi, ce qui est souvent moins remarqué, dans la politique jurisprudentielle de la Cour de Justice de l’Union européenne. L’accord se construit aussi devant le juge national en laissant une marge d’appréciation, on pense notamment au juge de constitutionnalité de la loi, au législateur. Il se construit encore avec le déplacement de l’évaluation de la correction (constitutionnalité, conventionalité) de la loi elle-même vers l’évaluation, moins Avant-propos 1885 problématique pour l’équilibre entre juge et législateur, des cas d’application de la loi, avec un mode de raisonnement par cas et ainsi avec le développement de la prise en considération d’exceptions.1La règle n’est pas déclarée inconstitutionnelle ou non conventionnelles, mais elle est « défaite » dans tel ou tel cas parce qu’elle serait si elle était appliquée dans ces cas, profondément injuste, ou absurde ou encore disproportionnée. Le traitement du désaccord peut ainsi être mis en relation avec la théorie de la défaisabilité. Sur la théorie de la défaisabilité, V. M. Carpentier, Norme et exception. Essai sur la défaisabilité en droit, Institut universitaire Varenne, 2014.

Naturellement, on ne peut pas ignorer non plus le fait que la construction de l’accord par les juges passe encore par la construction de compromis, par recoupement entre leurs opinions divergentes sur le droit, dans le choix de la décision comme dans la présentation des raisons et justification de la décision, un compromis permis par le recours à des théories de moyenne portée, des « arguments incomplètement théorisés » 2Pour reprendre l’expression de C. Sunstein, « Incompletely Theorized Agreements », in Legal Reasoning and Political Conflict, Oxford U.P., 1996, p. 35 s.. Il s’agit de rien de moins que de l’exercice par les juges de leur responsabilité de rendre une décision dans des délais raisonnables et parfois de leur responsabilité dans la recherche de l’apaisement de conflits trop violents dans une société. L’un des meilleurs exemples de l’exercice de cette responsabilité est encore la construction d’une décision unanime des juges de la Cour suprême des États-Unis par un compromis dans la très célèbre l’affaire Brown v. Board of Education jugé en 1954.

La Cour de Justice de l’Union européenne a construit dès l’origine une méthode originale et parmi les plus efficaces de construction de l’accord dans un ordre juridique pourtant fait pour susciter des conflits territoriaux et politiques entre États et des conflits d’intérêts et de valeurs entre des groupes sociaux gagnants et perdants. Cette méthode a consisté, comme le montre Loïc Azoulai, à déconstruire les désaccords sur le droit nés de ces conflits en cherchant à dépasser ce que Pierre Pescatore dénonçait comme un « schéma de pensée dichotomique » et à mettre en scène le système général de valeurs à l’intérieur duquel les problèmes juridiques, et les conflits qui allaient avec, devaient être posés, en se fondant « sur le fait que les normes du droit de l’Union ne prennent sens que sur le fond du cadre institutionnel et axiologique qui a déterminé leur production » (Loïc Azoulai, « Culture de l’argumentation et déconstruction du désaccord dans la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne »).

Mais ces méthodes de construction de l’accord sont fragiles. Nous parlions à peine quelques lignes plus haut d’une méthode de construction de l’accord par le recours des juges à une certaine retenue dans le contrôle de l’appréciation du législateur. Mais il n’y a pas d’accord, non seulement sur la question de la déférence que doivent des juges envers le législatif et même envers l’exécutif dans certains cas, mais encore, pas plus, pour reconnaître ce que seraient les critères de la retenue ou de la réserve judiciaire à l’égard des décisions politiques du législateur ou de l’exécutif, dès lors que, comme le montre le rapport d’Idris Fassassi, quelle que soit la décision des juges, leur attitude peut être, selon le point de vue subjectif auquel on se place, regardée comme activiste ou passiviste et que les méthodes même revendiquant une approche respectueuse de l’intention du législateur, comme l’originalisme, peuvent devenir des instruments d’empiètement à l’endroit des choix du politique (Idris Fassassi, « Le désaccord sur le concept de retenu judiciaire devant la Cour suprême des États-Unis »). Le déplacement du contrôle de la règle vers un contrôle par cas, notamment dans l’exercice du raisonnement de proportionnalité, peut aussi être le lieu de nouvelles formulations du désaccord non seulement entre les parties mais aussi entre les juges, cette méthode multipliant les possibilités de « narration » des faits comme de la question de droit dans la recherche de la balance entre des intérêts à l’occasion de l’application à un cas complexe de la loi. Ainsi, comme le note Mathieu Devinat, qui en donne un exemple parfait dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, le cas litigieux causé par la construction d’un dispositif religieux sur un balcon dans une copropriété relève pour les juges de la majorité du « respect des minorités religieuses qui est une des caractéristiques essentielles d’une démocratie moderne » alors que les juges qui rédigent l’opinion dissidente y voient une affaire mettant en cause des parties privées dans une copropriété, qui pose la difficile conciliation de la liberté de religions des uns et du droit des autres à la propriété privée, à la sécurité et au respect des contrats » (voir le rapport de Mathieu Devinat, « Réflexions sur la narration judiciaire dans les jugements de la Cour suprême du Canada » qui propose bien d’autres exemples illustrant aussi ce point).

La méthode de la Cour de Justice de l’Union européenne n’échappe pas non plus à ses propres limites. Elle a bien jusqu’à peu poursuivi ses objectifs en créant « l’illusion d’un nouvel ordre juridique, autonome et stable, porteur d’un ordre socio-économique crédible et cohérent », écrit Loïc Azoulai (article précité), par son action consistant à « déconstruire les désaccords, transcender les différences idéologiques et les conflits politiques, économiques et sociaux qui colonisent le processus d’intégration » « Tel fut bien le cas », rappelle Loïc Azoulai. Car « en dépit des crises, des résistances et de fortes oppositions ponctuelles, il faut admettre que le processus d’intégration a rencontré l’adhésion et les intérêts de ses participants. Cependant cette période paraît aujourd’hui révolue » et « la dialectique idéale décrite par Pierre Pescatore apparaît prise dans un champ agonistique, une lutte d’intérêts et d’acteurs institutionnels intervenant en amont et en aval ». Renversant le point de vue et explorant « la jurisprudence de la Cour de Justice d’un point de vue non-dialectique », Loïc Azoulai découvre alors, sous jacentes à la grande théorie dialectique, les méthodes tout à fait différentes non de « déconstruction » mais de « transformation » des désaccords et permettant d’observer des « opérations de codage, de contextualisation et de délocalisation », des méthodes de traitement du désaccord partagées avec d’autres juridictions.

Aussi bien les juges participent aussi à la construction du désaccord. Construction du désaccord parfois nécessaire pour respecter la nature même de l’argumentation ascendante et nécessaire encore lorsqu’il s’agit de regarder, avec Rawls ou encore avec Dworkin, les juges comme des participants utiles au forum des principes » dans une société qui assure l’égale considération et respect à chacun de ses membres (voir le rapport de Jean-Yves Chérot, « Éloge de la théorie »), et encore nécessaire à travers le respect du dissent qui reste un des instruments marquant de toute société libérale et ouverte en ce qu’il alerte, contre la majorité, sur ce qui peut avoir été oublié, sur ce qui est injuste, sur des erreurs, et peut annoncer les solutions de demain. L’opinion dissidente, libérée de la nécessité de chercher l’accord, peut librement déployer toutes les potentialités d’une argumentation juridique ascendante, à la Dworkin, ce qu’il est plus difficile de proposer pour le juge qui rédige l’opinion majoritaire sur laquelle il doit chercher à rassembler. Mais notons aussi que le développement des opinions dissidentes et des opinions concurrentes pourrait aussi finir par libérer l’argumentation de l’opinion du juge qui rédige pour la majorité et conduire à rendre plus difficile la construction d’un accord dans une culture juridique donnée.

On ne discute pas, dans ce cadre d’une épistémologie du désaccord en droit, la question de savoir si les décisions, les choix, des raisons et les justifications données par les juges à leurs décisions relèvent de l’ordre de la connaissance ou de la volonté. Il y a manifestement là des choses qui relèvent à la fois de la croyance (belief) et des attitudes et qui fonctionnent de façon complexe, les croyances, qui peuvent être discutées rationnellement, pouvant aussi conduire à modifier les attitudes 3V. C. L. Stevenson, « The Nature of Ethical Disagreement », réédité in S. Mac Cahn, Exploring Philosophy, OUP, 2009, p. 70 s.. Si on fait renvoi ici, de façon malheureusement trop elliptique à l’épistémologie générale du désaccord 4L’importante « épistémologie du désaccord » ne cesse de se développer: V. les indications de C. Tiercelin, « Épistémologie du désaccord », La Lettre du Collège de France, n° 32 ; V. aussi notamment D. Plunkett, T. Sundell, « Disagreement and the Semantic of Normative and Evaluative Terms », Philosophers’ Imprint, vol. 13, n° 23, December 2013, p. 1-37. L’épistémologie du désaccord fournit des instruments utiles de réflexion sur le raisonnement en droit: V. notamment A. Kristan & G. Pravato, « Fautless Disagreement in Matters of Law », Harvard Graduate Legal Philosophy Colloqium, 2014 (à consulter sur www.academia.edu)., on doit considérer que le désaccord entre juges sur le droit, quand il existe, n’est ni seulement un désaccord apparent ou inauthentique (un désaccord qui viendrait de ce que le contexte qui permettrait de rendre compte du désaccord renverrait exclusivement aux attitudes subjectives des uns et des autres), ni, non plus, du moins pas toujours, le résultat d’une erreur sur le droit. Ces désaccords relèveraient, au moins pour certains d’entre eux, de ce que certains épistémologues appellent un fautless disagreement, un désaccord mais authentique, rationnel et raisonnable à la fois et qui pourrait être persistant.

Mais dans quel cadre comprendre l’utilisation ici, en droit, de cette théorie du fautless disagreement, qui peut être appuyée sur des théories de la connaissance bien différentes 5Un fautless disagreement ou un désaccord sans erreurs de part et d’autre est un désaccord par où les deux parties affichent la même attitude à l’égard de deux contenus propositionnels en contradiction l’un avec l’autre et où aucune des deux parties n’est en faute. Les conceptions de ce type de désaccord peuvent être présentés comme des réponses au défi que représente cette notion dès lors qu’il est a priori problématique de concilier à la fois l’idée que deux propositions sont en contradiction et que leur correction ou leur validité puissent être en même temps soutenue par des parties en présence sans qu’aucune des deux ne commettent une faute au sens d’une erreur. Si l’on se refuse à mettre en cause le principe de non contradiction, il reste à affaiblir nos conceptions de ce qu’est la vérité de différentes manières. Une autre façon de traiter la question est de considérer, avec les théories expressivistes et notamment leurs versions émotivistes, que les énoncés des préférences ou des normes ne sont pas des propositions, c’est-à-dire des énoncés susceptibles d’être vrais ou faux. Mais alors, c’est l’idée même qu’un désaccord sur de tels énoncés sans erreurs de part et d’autre puisse avoir encore un sens qui est mise en cause. Pourtant certaines versions de l’expressivisme défendent aussi le thème du fautless disagreement. Sur tous ces points, V. notamment l’article d’Andrej Kristan et de Guila Pravato, précité.. Nous pourrions aller dans deux sens différents 6Pour une approche du fautless disagreement en droit, ici de ce que l’auteur appelle les deep interpretative legal disagreements dans le cadre d’une philosophie pragmatique du langage, V. Vittorio Villa, « Deep Interpretative Disagreements and Theory of Legal Interpretation », in A. Capone and F. Poggi, eds, Pragmatics and Law, Springer, 2016, p. 89-119.. Le premier nous conduirait à faire l’hypothèse que le droit est à la fois quelque chose d’objectif et d’incertain (du moins parfois) ou d’indéterminable. Objectivité dans un certain sens, comme elle est défendue par J. McDowell 7« Non cognitivisme et règles », Archives de philosophie, 64, 2003, n° 1, p. 457-477. et qui laisserait place dans l’application de ces critères de l’objectivité à des désaccords. L’objectivité résiderait ainsi dans le principe de justice : traiter de façon égale les cas semblables (voir le rapport de Frédéric Rouvière, « L’objectivité du droit dans les cas de désaccord persistant sur le droit entre juges ») ou encore dans le renvoi à des principes, dont une argumentation ascendante permettrait de monter, comme chez Dworkin, à la fois la cohérence du droit, mais aussi les différents points de vue ou les différentes conceptions possibles de ce qu’est le droit et les concepts du droit (voir le rapport de Jean-Yves Chérot, précité).

L’objectivité (dans un certain sens) du droit est encore présentée comme inhérente à une analyse juridique sachant tenir compte du contexte (y compris le contexte de la recherche de l’intention du législateur) et veillant à ne pas introduire sans nécessité des concepts extérieurs aux sources du droit. Franck Haid en se plaçant sur le terrain de la philosophie du langage, souligne que ce qui est présenté comme une explication majeure du désaccord devant les juges, et qui réside dans la relative imprécision et indétermination du langage et dans l’application de la règle à certains cas qui se situent dans la zone d’ombre de la règle, n’empêche ni de dessiner des frontières dans l’application des règles ni de s’opposer, grâce au contexte, à la discrétion totale du juge dans la détermination des significations des concepts (Franck Haid, « En marche derrière Hart. Retour sur les désaccords générés par l’imprécision terminologique des textes normatifs »). Stefan Goltzberg plaide également pour une « attitude prudente et économique à l’endroit des notions confuses » en droit. « En un mot », écrit-il, se tenant à l’écart ainsi de la célébration postmoderne des notions floues et indéfinissables,

« le fait qu’il existe une confusion irréductible dans la langue ne constitue pas une raison pour ne pas mettre tout en œuvre pour limiter cette confusion. Que la mission d’élimination des notions confuses soit impossible à atteindre ne doit pas délégitimer le travail de clarification ».

Mais la recherche de la clarification ne passe pas nécessairement par le recours à l’outil philosophique 8Conseil inestimable dans un colloque de philosophie du droit! . Encore faut-il que le recours à de telles notions soit utile pour le chercheur en droit pour résoudre un problème particulier. C’est bien cette question qui doit être posée, selon l’auteur, si l’on pense pourvoir trouver toute faite une réponse utile pour la théorie du droit dans le recours à la notion de « concepts essentiellement contestés » 9Telle que proposée par W. B. Gallie. pour clarifier l’usage de nos concepts suscitant du fait de leur ouverture une controverse ou un désaccord dans leur application (voir le rapport de Stefan Goltzberg, « Confusion de concepts, concepts essentiellement contestés et définition »).

Mais une telle objectivité dans un certain sens n’est-elle pas une chimère ? La tentative même de la CJUE pour construire une telle objectivité, de faire renvoi (la doctrine « communautariste ») aux objectifs et à la structure des Communautés européennes, puis de l’Union, n’est-elle pas une illustration de la fragilité d’une telle démarche devant les faits. Pierre Pescatore soulignait, rappelle Loïc Azoulai, que chaque cas poserait un problème spécifique pour lequel plusieurs solutions sont envisageables, mais que, dans ce contexte, la tâche du juge (de l’Union) est d’opérer un choix entre ces solutions possibles en fonction des répercussions de celles-ci et en tenant compte des « exigences de justice générale », c’est-à-dire en faisant prévaloir le système général de valeurs à l’intérieur duquel le problème se trouve posé, défendant ainsi ce qu’il appelait aussi un « processus de dialectique multipolaire » opposé à un « schéma de pensée dichotomique » consistant à considérer les différences catégorielles, c’est-à-dire les conflits politiques et sociaux qui nourrissent le contentieux, comme des données indépassables de l’analyse juridique. Loïc Azoulai (rapport précité) propose, au contraire, de remettre au centre les conflits pour révéler leur gestion plus fluide dans la construction d’accords instables. On retrouve aussi très bien la fragilité de la gestion de l’accord dans le traitement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel face aux conflits politiques (ceux générés par l’affaire des nationalisations en 1982, cas emblématique au sein des décisions du Conseil) par le recours, comme le propose Olivier Tholozan, à l’existence de communautés interprétatives (voir le rapport d’Olivier Tholozan, « Les communautés interprétatives et la liberté constitutionnelle française d’entreprendre »).

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