L’objectivité du droit dans les cas de désaccord persistant sur le droit entre juges
Frédéric ROUVIÈRE
Professeur, Aix Marseille Université, LTD (Laboratoire de théorie du droit)
Abstract
Intuitively, the disagreement is related to subjectivity. The aim of this paper is to show that the possibility of determining objective reasons explains the objectivity of the law despite of the disagreement. However, there are factors of resistance to the objectification of the reasons which explainthe persistence of the disagreement.
Introduction
1. Le droit est-il encore objectif en cas de désaccord?
Le but de cet article est de montrer que le droit reste objectif en cas de désaccord et même en cas de désaccord persistant. L’argument au soutien de cette thèse est que le droit ne réside pas dans un contenu mais dans la possibilité de produire des raisons objectives pour trancher les désaccords. Ainsi, la persistance d’un désaccord entre juges trouve en partie une explication par des facteurs de résistance à l’objectivation de telles raisons. Cette persistance n’est donc pas seulement liée à la subjectivité des intervenants ou au caractère moral et axiologique des questions discutées.
Pourtant, le désaccord est intuitivement mis en relation avec la subjectivité. En effet, si les juges discutent sur le droit applicable, c’est bien qu’il est difficile à identifier. Sinon quel serait alors l’objet de la discussion ?
Corrélativement, la persistance dans le temps du désaccord devrait s’interpréter comme le signe que le droit est sans doute indéterminable et que l’on pourrait discuter à perte de vue de la règle applicable, à supposer même qu’elle existe. Cette façon d’aborder le problème du rapport entre le désaccord persistant et l’objectivité est évidemment très péjorative. Elle fait penser que certains désaccords s’apparentent à une discussion sur le sexe des anges. Les juristes eux-mêmes n’hésitent pas à parler de distinction1Conclusions du rapporteur public sous CE 12 oct. 2009, n° 315008, « Ce critère d’extériorité n’est pas sans conduire à des distinctions assez byzantines qui peuvent apparaître assez injustifiées aux yeux des intéressés au regard du principe d’égalité »., de jurisprudence2J.-L. Gallet, « Régimes législatifs spéciaux d’indemnisation relevant de la juridiction judiciaire », Répertoire civil Dalloz, 2016, n° 215 « Cette jurisprudence a d’ailleurs conduit à des solutions byzantines, car la distinction entre les différentes causes du dommage n’est pas toujours facile à opérer ». d’analyses3P. Delvolvé, « Les contrats de la “commande publique’’ » RFDA 2106, p. 201 : « Ainsi devraient être évitées ou, en tout cas limitées, les discussions et les analyses parfois byzantines sur l’identification des contrats et des règles qui leur sont applicables ». ou de discussions « byzantines »4C. Saint-Alary-Houin, « Concession immobilière », Ph. Malinvaud (dir.) Droit de la construction, Dalloz action, 2016, n° 200.290 : « La discussion nous paraît un peu byzantine car le concessionnaire désireux de construire pourrait constituer une hypothèque sur le droit de construire afin d’obtenir du crédit, ce qui lui donne les avantages inhérents aux droits réels ». avec une connotation péjorative5Comme la légende le veut, lorsque les Turcs ont attaqué Constantinople (Byzance), un concile s’y déroulait où l’on discutait du sexe des anges. D’où les querelles « byzantines », c’est-à -dire sans rapport avec la réalité à affronter..
Cette analyse semble postuler a contrario qu’en l’absence de désaccord le droit serait objectif et clairement identifiable. Pourtant, cela est loin d’aller de soi. Le courant du réalisme juridique, ou du moins celui des études critiques du droit6D. Kennedy, « Form and substance in private law adjudiciation », Harvard Law Review 1976, n° 89, p. 1685-1778. (Critical Legal Studies) laisse entendre que toute discussion juridique présente une teneur évanescente et sans consistance. Le raisonnement juridique serait en définitive un raisonnement politique et rien d’autre7M. Thusnet, « Survey article : Critical Legal Theory (without modifiers) in the United States », Journal of political philosophy, 2005, n° 13, p. 99..
L’enjeu du problème tient au fait de savoir si le désaccord persistant est le signe seulement apparent d’un désaccord politique ou éthique (et en ce cas, le droit n’est absolument pas objectif) ou bien s’il peut au contraire se terminer en découvrant une solution qui satisfasse tout le monde (et en ce cas le droit redevient objectif grâce à la controverse qui s’éteint alors d’elle-même). Derrière ce problème se cache ainsi d’importantes questions tenant au pouvoir du juge, à la détermination du droit et même à son ontologie. En effet, si le droit n’est plus objectif alors la controverse ne peut pas se clore par un acte de connaissance mais seulement par un acte de volonté, par une décision (éventuellement suprême) qui viendra mettre fin au débat. De même, si le droit ne peut jamais être objectif car présentant toujours un certain degré d’indétermination, alors à partir de quel moment le désaccord devient raisonnable ? Cette dernière question a fait l’objet d’une précédente contribution8F. Rouvière, « Le désaccord raisonnable en droit : le point de vue de l’argumentation », RRJ : Cahiers de Méthodologie Juridique, 2016, p. 2097-2115.. Aussi, dans cette étude, nous nous concentrerons sur la question de savoir ce que le désaccord persistant nous révèle à propos de l’objectivité du droit. Un tel désaccord confirme-t-il que le droit est, en réalité, toujours subjectif ? Au contraire, cela signifie-t-il qu’il ne le devient que dans ce cas ? Enfin, peut-on soutenir que le droit est toujours objectif en dépit d’un désaccord durable ?
Au fond, ces trois questions renvoient à trois prises de positions très célèbres. Un droit toujours subjectif est un droit où l’interprétation est un acte de volonté et non de connaissance : c’est la position, entre autres, de Kelsen9H. Kelsen, Théorie pure du droit, Bruylant, LGDJ, trad. Ch. Eisenmann, 1999, p. 339-340.. Un droit parfois objectif et parfois subjectif est un droit où, en présence d’une certaine indétermination, les juges disposent d’un pouvoir discrétionnaire : c’est notamment la thèse de Hart10H. Hart, Le concept de droit, Bruxelles, Faculté universitaire de Saint-Louis, trad. M. van de Kerchove, 2e éd., 2005, p. 290.. Enfin, un droit objectif malgré un désaccord persistant est un droit où la réponse juridique doit être découverte et s’impose objectivement : on a cette fois reconnu la thèse de Dworkin11R. Dworkin, Une question de principe, PUF, trad. par A. Guillain, Recherches philosophiques, 1996, p. 181-182..
Chacune de ces thèses repose sur un même couple de concepts qui est celui de la volonté et de la connaissance. Soit la volonté prime (Kelsen), soit la connaissance prime (Dworkin), soit c’est un mélange des deux (Hart) ce qui revient dans cette dernière hypothèse à distinguer entre cas faciles et difficiles. On s’aperçoit en définitive que l’objectivité s’oppose à la subjectivité de la même façon que la connaissance s’oppose à la volonté ou le savoir au pouvoir. Nous pouvons donc en conclure qu’il y a objectivité à condition que la solution du litige ne dépende pas du seul exercice de la volonté. Autrement dit, l’objectivité découle de la possibilité de trancher la difficulté, c’est-à -dire de choisir l’une ou l’autre solution, à partir d’éléments indépendants de la volonté du juge.
Soutenir que la volonté prime a pour inconvénient de dissoudre le droit dans la volonté et donc de nier l’intérêt même de discuter de la solution applicable. Soutenir que la volonté est tempérée par la connaissance concède en vérité peu de choses car un désaccord sur un cas facile ou évident n’est certainement pas raisonnable12Une nouvelle fois c’est le thème de notre contribution précédente : F. Rouvière, « Le désaccord raisonnable en droit : le point de vue de l’argumentation », RRJ : Cahiers de Méthodologie Juridique, 2016, p. 2097-2115.. Soutenir que la connaissance prime est la position de Dworkin : le droit intégrité signifie que la bonne réponse existe indépendamment des convictions et des opinions des juges13R. Dworkin, « No Right Answer?» in PMS Hacker & J Raz (eds), Law, Morality, and Society: Essays in Honour of HLA Hart, Oxford, Clarendon Press, 1977, 58, p. 58-84.. Seulement, une telle position implique d’adhérer à une philosophie morale et une théorie de la connaissance qui n’ont rien d’évidents : les valeurs morales sont-elles connaissables ? Existe-t-il vraiment des principes indépendants du sujet connaissant dans la réalité juridique ?
Aussi, nous voudrions proposer une quatrième solution qui soit une reformulation moins radicale de la thèse dworkinienne et qui viendrait s’insérer entre les positions de Hart et de Dworkin. Comme Hart, nous pensons que l’existence d’un pouvoir discrétionnaire du juge est une donnée indépassable du système juridique. Le nier semble nous faire basculer dans un monde d’idées pures qui correspond peu à la pratique judiciaire quotidienne. Toutefois, comme Dworkin, nous pensons également qu’il existe une objectivité, c’est-à -dire la possibilité que la décision judicaire soit toujours fondée sur le droit en vigueur. En effet, les données du droit ne dépendent pas de la volonté des juges. À cet égard, il existe au moins une objectivité des textes, des règles et des solutions que le raisonnement est appelé à prolonger.
Notre thèse sera donc bien intermédiaire entre Hart et Dworkin. Nous concédons à Hart que le droit est indéterminé en raison de sa texture ouverte. Mais nous concédons aussi à Dworkin que le droit est toujours déterminable. Comment échapper alors à ce paradoxe apparent où le droit est à la fois indéterminé et déterminable ? Précisément en refusant une position ontologique forte affirmant que le droit est ou n’est pas déterminé. Pour cela, nous adopterons plutôt le point de vue du raisonnement juridique lui-même car c’est en définitive celui du juge qui doit motiver sa décision. De la sorte, nous pouvons affirmer sans contradiction que le droit n’est pas déterminé mais qu’il est déterminable. L’objet du désaccord est constitué par cette tension entre indétermination et déterminabilité. La persistance du désaccord (son caractère durable) ne tiendrait alors qu’à des variables particulières qui ne remettraient pas en cause la fonction déterminante du raisonnement juridique, dans tous les sens du terme.
Ainsi, la possibilité de déterminer des raisons objectives explique l’objectivité du droit en dépit du désaccord (I). Cependant, il existe des facteurs de résistance à l’objectivation des raisons qui expliquent cette fois la persistance du désaccord (II)
I. La possibilité de raisons objectives
2. L’objectivité des raisons malgré l’indétermination du droit
La thèse de l’indétermination du droit soutient précisément que le droit ne peut pas être fixé intégralement par avance et cela pour deux raisons principales. D’une part, en raison de la texture ouverte du droit qui pose en principe son indétermination native14H. Hart, Le concept de droit, précité, p. 142-143. découlant elle-même de l’indétermination du langage15H. Hart, Le concept de droit, précité, p. 147..
D’autre part, en raison du fait que nous ne sommes pas omniscients et que nous ne pouvons pas tout prévoir16H. Hart, précité.. Aussi, il existe des cas typiques (clairs et certains) et des cas imprévus17H. Hart, Le concept de droit, précité, p. 148.. Même s’il existe des « exemples indiscutables »18H. Hart, Le concept de droit, précité, p. 150. d’application, il y aura toujours des hypothèses douteuses. Ce serait justement dans ces hypothèses douteuses que les tribunaux auraient un pouvoir de création19H. Hart, Le concept de droit, précité, p. 164.. Selon ce point de vue, la persistance du désaccord s’explique par l’indétermination du droit lui-même. En l’absence de cas objectifs, clairs et précis, les juges entrent alors dans un conflit d’opinions et de volontés qui rendent le droit totalement subjectif.
Pour réfuter une telle position, il faudrait prouver que le langage n’est pas indéterminé et que nous sommes comme des dieux pouvant tout savoir. La première proposition est pourtant attestée par l’expérience : le langage ne se comprend qu’en contexte, il possède toujours un certain degré d’indétermination, sans quoi il n’y aurait jamais de quiproquos. La seconde proposition est, hélas, également une donnée d’expérience : nous ne sommes bien que des hommes. Aussi, il paraît vain de s’attaquer aux prémisses de la thèse de l’indétermination du droit. En revanche, il est possible de proposer une autre position en conservant exactement les mêmes prémisses, à savoir que le droit est indéterminé et que nous ne pouvons pas tout prévoir.
En effet, ce n’est pas parce que le droit est indéterminé qu’il n’est pas déterminable. Ceci revient à dire que si tout n’est pas prévu, on peut pourtant tout prévoir. Or c’est ici que nous retrouvons deux réponses possibles pour cette prévision : soit celle d’un certain réalisme qui propose de s’intéresser aux déterminants sociaux de la décision en se fondant sur l’idée que les mêmes causes produisent les mêmes effets ; soit celle d’un Dworkin qui pose en principe qu’il existe d’avance une seule bonne solution. Entre l’idée que tout est décision ou que tout est connaissance, entre l’indétermination radicale des règles et leur détermination absolue, il existe une voie intermédiaire. Cette voie est celle de l’argumentation où les prémisses du débat sont connaissables et les raisons objectivables. De ce point de vue, il y aurait toujours de bonnes raisons d’opter en faveur d’une thèse plutôt qu’une autre. La persistance du désaccord s’expliquerait alors par la difficulté à identifier ces raisons, non pas dans l’absolu, mais au regard du droit positif sur lequel les juges raisonnent. Ainsi, l’objectivité est forcément relative au contenu positif des règles et la persistance du désaccord s’expliquerait alors par la difficulté à discerner la meilleure raison.
Le désaccord persistant découlerait donc de la configuration du système juridique lui-même et non simplement du conflit d’intérêts ponctuel que les parties en litige auraient entre elles. Ainsi, par exemple, le fait de savoir si l’inconstructibilité d’un terrain est une erreur ou un vice caché20F. Rouvière, « L’inconstructibilité entre non-conformité, erreur et vice caché », RDI 2010, p. 253. est un désaccord persistant entre juges depuis plus de trente ans. Parfois, l’impossibilité de construire est qualifiée d’erreur, parfois de vices cachés. Le comble de la confusion a même été atteint dans un arrêt qui a proclamé que l’« erreur était la conséquence d’un vice caché rendant la chose impropre à l’usage auquel elle était destinée »21Cass. civ. 3e 11 fév. 1981, Bull. III, n° 31.. Les deux qualifications sont pourtant incompatibles sur les délais pour agir (respectivement deux et cinq ans). La persistance du désaccord provient moins de l’opinion des juges que de la formulation même de la loi. L’erreur devait porter sur la substance de la chose22Cciv. anc. art. 1110. et désormais sur les qualités essentielles de la prestation23Cciv. art. 1132.. Le vice caché doit porter quant à lui sur un défaut caché qui rend la chose « impropre à l’usage auquel on la destine »24Cciv. art. 1641. ce qui inclut bien évidemment l’usage de construction, usage substantiel ou essentiel. Nous disposons donc de deux prémisses d’égale valeur pour aboutir à deux conséquences incompatibles. Malgré des publications abondantes sur le thème depuis plus de cinquante ans25La question est traitée au moins depuis la thèse de J. Ghestin, La notion d’erreur dans le droit positif actuel, Paris, LGDJ, Bibl. dr. privé, t.41, 1963., la doctrine est incapable de donner un critère efficace de distinction26F. Rouvière, précité, p. 263. Même le raisonnement purement pragmatique selon lequel le délai le plus court est préférable pour éviter le contentieux27Ch. Radé, « L’autonomie de l’action en garantie des vices cachés », JCP 1997, I, 4009, n° 1., n’a jamais suscité un accord durable si bien que les juges persistent dans la voie de la qualification d’erreur sans qu’on puisse savoir si elle est erronée !
Dans cet exemple, la persistance du désaccord ne provient pas de l’indétermination du droit mais plutôt de sa sur-détermination : il y a trop de qualifications disponibles. C’est moins un problème de lacunes qu’un problème de trop-plein. En outre, l’origine du désaccord est objective : elle découle de la difficulté à choisir la prémisse du raisonnement. Est-ce à dire que le droit lui-même n’est pas objectif ? Même en réduisant le droit à un ensemble de règles, la réponse est loin d’être évidente. Les règles sont parfaitement applicables mais le droit est difficile à identifier en l’espèce. Le droit n’est pas indéterminé quant à la solution mais plutôt quant aux raisons du choix de la solution. De même, ici, les juges n’ont pas besoin de créer du droit pour fixer la solution, ils doivent plutôt discerner la règle véritablement applicable. Ils doivent donc entreprendre une recherche des raisons qui peuvent faire basculer leur choix dans un sens ou dans l’autre.
Seulement, l’existence de deux positions également argumentables en droit signifie-t-elle que le choix entre les deux solutions est purement subjectif ou politique ? Cela dépend évidemment de la possibilité de trouver une raison objectivement meilleure qu’une autre. Or cette objectivité relève bien d’un problème de savoir et non de pouvoir. C’est ici qu’on retrouve le thème de la cohérence, si cher à Dworkin, puisque la meilleure raison sera la raison qui permettra de comprendre la totalité du droit sous son meilleur jour c’est-à -dire de maximiser sa cohérence. En effet, la qualification de l’inconstructibilité conduit à manipuler un très grand nombre de concepts et de données : les précédents jurisprudentiels, la distinction de la formation et de l’exécution du contrat, la distinction du droit commun et du droit spécial, les concepts de responsabilité, de faute, de dommage, de consentement et bien d’autres encore.
Sans paradoxe nous pouvons ainsi dire que les juges sont objectivement en désaccord sur un droit objectif. La seule difficulté provient du manque de précision. Pour vider la controverse, il faudrait que le législateur prenne un texte qui dise explicitement que l’inconstructibilité est une erreur ou un vice caché. De cette façon, le cas difficile serait supprimé et deviendrait un cas facile, un cas d’application, clair et typique. Mais on comprend vite que cette façon de procéder ramènerait le législateur à se saisir des problèmes au cas par cas ce qui est plutôt le propre du juge.
Le désaccord persistant est donc moins un problème de précision des règles qu’un problème de précision des raisons. En effet, comme il est impossible au législateur de tout prévoir, il y aura toujours un cas inédit qui mettra à mal la précision des règles. En plaçant le débat sous l’angle des raisons, on admettra que les juges sont obligés de prendre parti certes sur le conflit à trancher, mais encore sur la cohérence du droit. Il faut en effet pouvoir décider de l’insertion des raisons dans un ensemble plus vaste comme peut l’être une branche du droit. Ainsi, il est possible de remarquer que tous les cas d’inconstructibilité qualifiés de vice cachés portent sur un problème inhérent à la chose28F. Rouvière, précité, p. 258 : « présence d’anciennes carrières de gypse qui entraîneraient des mouvements du sol et des désordres immobiliers », « terrassement […] entrepris pour couler les fondations » ; « talus jouxtant la parcelle […] effondré », « terrains […] marécageux et parsemés de trous d’eau ».. La cohérence pourrait donc être rétablie en considérant par symétrie que l’erreur doit porter sur des éléments externes à la chose comme la modification des documents d’urbanisme par exemple. Ce faisant, il faudrait distinguer des hypothèses au sein du cas de l’inconstructibilité en enrichissant les concepts légaux d’erreur et de vices cachés. Il ne s’agit donc pas d’un désaccord sur les faits mais bien sûr le droit, c’est-à -dire sur la façon de découper conceptuellement les faits. De façon assez paradoxale, l’excès de règles est résolu en ajoutant une distinction. Le problème est de savoir si cet ajout est une création du droit manifestant un pouvoir judicaire ou bien s’il est une opération de connaissance du droit.
3. L’objectivité des raisons malgré la création du droit
Si les juges ajoutent à la loi une distinction qu’elle ne comporte pas, il paraît difficile de soutenir qu’ils ne créent pas de droit et que cette création n’est pas soumise à leur volonté. En conséquence, la création du droit exclurait toute activité de connaissance. Cette position repose une radicalisation de la distinction entre l’interprétation comme acte de volonté ou comme acte de connaissance. Même Kelsen, promoteur de cette distinction, reconnaît que les choses sont plus nuancées. Citant Kant, il reconnaît que la connaissance elle-même peut être une création29H. Kelsen, Théorie pure du droit, LGDJ, 1999, p. 80 : « conformément à la théorie de la connaissance de Kant, la science du droit en tant que connaissance du droit a, de même que toute connaissance, un caractère constitutif, et qu’elle “crée’’ donc son objet en tant qu’elle le comprend comme un tout présentant une signification, un tout intelligible ».. Toutefois, Kelsen est obligé de soutenir que cette création intellectuelle n’est pas une création du droit afin de maintenir la distinction entre droit et science du droit30H. Kelsen, précité : « c’est seulement au regard de la théorie de la connaissance que l’on peut parler ici de création. Il faut bien le voir, l’opération est d’une nature essentiellement différente de la création du droit par l’autorité juridique, et d’ailleurs aussi de la création d’objets par le travail humain »..
La connaissance n’est donc pas nécessairement la révélation d’une chose déjà existante, d’une entité déjà présente. Cette façon platonicienne de théoriser la connaissance relève une ontologie très particulière qui affirme la réalité d’éléments inobservables au rang desquels se trouvent les « formes intelligibles » ou les « Idées ». La connaissance est pourtant parfaitement théorisable selon un modèle constructiviste où c’est l’activité du sujet connaissant qui produit des concepts31G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, PUF, 1938, I, § 1, p. 14. Cette thèse est totalement transposable en droit32G. Teubner, « Pour une épistémologie constructiviste du droit », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 47e année, trad. N. Boucquey, n° 6, 1992, p. 1149-1169 car les théories sont construites33J. Parain-Vial, « Notes sur l’épistémologie des concepts juridiques », Arch. phil. droit 1959, p. 131 s. et le juriste invente sans cesse des raisons.
Ce qui se brise alors sous nos yeux est la fausse équation entre création et subjectivité. Ce n’est pas parce que les raisons sont créées, inventées ou produites qu’elles sont forcément subjectives. La création du droit n’est donc pas incompatible avec la création de raisons objectives pour tenter de résoudre le désaccord. On pourrait même dire que la persistance du désaccord s’explique justement par la difficulté à inventer ces raisons objectives.
Dans une perspective constructiviste, les concepts sont construits, les interprétations sont des créations, les arguments sont donc proprement inventés. Cependant, ce statut de construction ne signifie pas que n’importe quel argument est valable, bien au contraire. Comme Michel Foucault l’a parfaitement montré, il existe des règles de construction du discours34M. Foucault, Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 141.. Ainsi, la règle formelle de justice selon laquelle il faut traiter les cas semblables de façon identique est la règle fondamentale de construction de tout discours juridique35F. Rouvière, « Le fondement du savoir juridique », RTD civ. 2016, n° 8, p. 286. Le choix des cas de référence pour l’argumentation n’est pas arbitraire non plus, dans la mesure où la théorie des sources a justement pour fonction de désigner les prémisses possibles36S. Goltzberg, Les sources du droit, PUF, Que sais-je ?, 2016, p. 11.. Les règles de droit ont elles-mêmes pour rôle de poser des cas « in abstracto »37G. Cornu, Linguistique juridique, Montchrestien, 2e éd., 2000, n° 71, p. 285 et note 20 : « Il s’agit d’un cas de figure, non d’un cas d’espèce. Mais il est évident que lorsque, dans la réalité, le cas “se présente’’, l’hypothèse “se réalise’’ »..
Ainsi, la création d’une distinction fondée sur des concepts déjà admis peut bel et bien mettre fin à un désaccord persistant. Ce fût le cas avec la thèse de Christian Mouly sur les causes d’extinction du cautionnement38Ch. Mouly, Les causes d’extinction du cautionnement, Thèse, Montpellier, Litec, 1979. Jusqu’alors, les juges hésitaient sur le sort des dettes prises en charge par la caution en cas de décès du débiteur principal. Fallait-il que la caution continue de payer ? Cela paraissait absurde puisque le contrat principal était souvent éteint par le décès. Fallait-il alors, en raison de l’accessoire, considérer que le contrat de cautionnement était éteint ? C’était tout aussi absurde car la caution était libérée du cautionnement sans que celui-ci ne serve à rien. Le désaccord a été soldé en distinguant l’obligation de couverture de la caution qui vise les dettes futures et l’obligation de règlement qui vise les dettes passées. Ainsi, le décès du débiteur principal libère la caution pour l’avenir mais non pour le passé. C’est la production de cette raison objective de distinction qui a mis fin au débat. Cette raison n’existait pas dans la loi mais elle a été dérivée de l’étude d’un grand nombre de textes légaux et jurisprudentiels et rattachée à des concepts déjà existants comme ceux d’obligation ou de contenu du contrat. Cette distinction est désormais parfaitement intégrée dans le droit du cautionnement et continue de permettre de trancher des litiges. C’est la création d’une raison objective, c’est-à -dire appuyée sur des données objectives, qui a mis fin au désaccord.
4. L’objectivation de l’implicite
Tout l’enjeu du désaccord persistant tient dans l’objectivation de l’implicite. Pour le comprendre, il suffit de prendre comme point de départ la distinction intuitive entre les cas faciles et difficiles. Il ne peut pas y avoir désaccord sur les cas faciles car l’identification du précédent qui sert de raison de décider est totalement explicite. Critiquer un cas prévu explicitement par la lettre de la loi revient à sortir du cadre du désaccord raisonnable39F. Rouvière, « Le désaccord raisonnable en droit : le point de vue de l’argumentation », RRJ : Cahiers de Méthodologie Juridique, 2016, p. 2097-2115..
Autrement dit, le désaccord ne peut prospérer et durer qu’à la condition que le cas qui sert de précédent soit implicite. Au sens propre du terme, « implicite » a la même racine qu’impliquer40Emprunté au latin classique implicitus « enveloppé », une des formes du participe passé de implicare (d’où impliquer) : c’est donc ce qu’on peut découvrir comme étant virtuellement contenu dans la lettre de la loi ou dans le système juridique41A. Marmor, « Can the law imply more than it says ? On some pragmatic aspects of strategic speech », in A. Marmor et S. Soames (dir.), Philosophical foundations of the language in the law, Oxford, Oxford university press, 2011, p. 83 et s.. L’implicite ne se superpose pas forcément avec une lacune. La lacune relève certes de l’implicite mais toute règle générale contient un implicite qui n’est pas une lacune mais plutôt une conséquence de sa généralité. Le général est ce qui englobe virtuellement une série indéfinie de cas.
En ce sens, si le droit créé pour mettre fin au désaccord est nouveau, il conserve un caractère objectif. En effet, l’objectivité découle du fait que la solution est appuyée sur des précédents jurisprudentiels ou des catégories légales qui constituent une chaîne continue de raisons. La contrainte argumentative est donc interne au discours juridique lui-même.
En cas de désaccord persistant, le droit n’est donc pas plus subjectif, il est plus difficilement objectivable. La persistance du désaccord résulte d’un manque de précision du droit qui n’est pas pathologique mais qui découle de sa nécessaire généralité. Le droit demeure objectif (indépendant de la volonté du juge) car l’argumentation ne se fonde que sur les données du droit positif42J. Ghestin, « Les données du droit positif », RTD civ. 2002, p. 11 et s..
5. La gestion des cas inédits
L’objectivité du droit en cas de désaccord résulte de la gestion des cas inédits. Comment assimiler à un cas non prévu par les textes (loi ou jurisprudence) à un cas déjà prévu ?43Ch. Atias, « Jurisdictio : redire l’inédit », D. 1992, p. 281 Tel est le problème de base qui explique la possibilité d’invoquer des précédents différents et des lois différentes. L’idée même d’inédit a pu être nié dans la mesure où le droit serait complet44L’idée de complétude est très ancienne et remonterait à Guillaume d’Occam : G. Samuel, Epistemology and Method in Law, Chippenham, Ashgate Publishing, 2003, p. 68 et s. ; la critique des lacunes a été reprise par Kelsen (précité, p. 245 et s.) et contiendrait forcément la solution à tous les problèmes45R. Dworkin, « La complétude du droit », Controverses autour de l’ontologie du droit, P. Amselek et Ch. Grzegorczyk, Paris, 1989, p. 127 et s.. La persistance du désaccord s’expliquerait alors dans cette hypothèse par l’échec d’un des discutants à discerner la bonne solution.
Cette vue paraît conduire implicitement à considérer que seule l’une des deux solutions était vraie. En vérité, deux ou trois solutions peuvent être vraies au sens où elles peuvent se prévaloir de précédents différents et de qualifications différentes. Le problème n’est donc pas de savoir si une solution est plus vraie en soi que l’autre mais de savoir si les raisons invoquées possèdent plus de poids au regard de celles qui lui sont opposées. Autrement dit, il s’agit toujours d’une évaluation de la cohérence du système juridique qui est menée en termes de force des arguments.
La cohérence des raisons n’est pas déjà donnée, déjà présente et seulement à découvrir. L’objet même du débat est construire et créer cette cohérence. Nous ne pouvons donc soutenir que le droit est complet. Au contraire, l’une des propriétés remarquables des systèmes juridiques est qu’ils sont incomplets. Mais cette propriété s’accompagne d’une caractéristique non moins remarquable qui est la possibilité de compléter les règles par le raisonnement46J.-L. Gardies, « Une particularité du raisonnement juridique : la présence de fonctions complétives », Le raisonnement juridique, Actes du congrès mondial de philosophie du droit et de philosophie sociale, Bruxelles, Bruylant, 1971, p. 64.. En droit, ce n’est donc pas que tout est prévu mais c’est plutôt qu’on peut tout prévoir. Le problème n’est pas de savoir quelle est la solution applicable mais bien plutôt pourquoi nous n’arrivons pas à la désigner comme étant la solution préférable. C’est le problème de la résistance à l’objectivation des raisons.
II. Les facteurs de résistance à l’objectivation des raisons
6. L’insuffisance des règles et/ou des précédents
La faiblesse des ressources du système juridique peut expliquer la difficulté à avancer des raisons objectives c’est-à -dire appartenant au système juridique lui-même. Ainsi, la persistance du désaccord s’expliquerait par la difficulté à identifier les raisons pertinentes de décider en faveur d’une solution ou d’une autre.
Ainsi, par exemple, les juges se sont longtemps demandé si le paiement était un fait juridique (preuve par tous moyens) ou un acte juridique (preuve par écrit). Ce problème a perdu tout son enjeu depuis que la réforme des obligations considère que le paiement se prouve par tout moyen47CCiv. Art. 1342-8. Le cas difficile a été transformé en cas facile, simplement parce que le désaccord n’avait plus d’enjeu. En supprimant l’implicite, le législateur supprime du même coup l’intérêt du débat. Certes, on pourrait continuer la discussion pour le plaisir, mais ce serait alors purement théorique et sans conséquence pratique sur la question de la preuve. En revanche, le problème peut se reporter sur un autre point : il se pose à propos de l’annulation du paiement. En effet, si le paiement est un fait juridique, il est absurde d’en demander l’annulation. En revanche, s’il un acte juridique, l’annulation est possible. Du coup, si l’on admet cette dernière possibilité, on pourrait être étonné qu’un acte juridique puisse se prouver par tout moyen. Le désaccord persiste ainsi sur la nature juridique du paiement même si la solution quant au régime probatoire est désormais totalement objective. Comme le législateur prévoit qu’il faut être capable pour recevoir le paiement48CCiv. Art. 1342-2, il paraît admettre qu’il est un acte juridique. Il faudrait donc, pour retrouver une comptabilité entre ces différents énoncés, trouver une distinction qui concilie de façon optimale la distribution des différents régimes juridiques.
De façon générale, si le système juridique ne pose que des directives très générales, sous la forme de concepts indéterminés ou très peu déterminés, les juges pourront être enclins à réviser systématiquement leurs définitions au fur et à mesure des cas d’application. Une hypothèse exemplaire de cette situation nous est fournie par une très longue hésitation jurisprudentielle sur la question de l’exonération du commettant lorsque le préposé a agi hors de ses fonctions. En effet, dans ce cas, l’employeur n’est plus responsable du fait de son salarié car une telle responsabilité du fait d’autrui suppose que le salarié ait bien agi sous la direction et le contrôle de l’employeur. Seulement, le texte légal se contente de faire référence aux fonctions dans lesquelles le préposé est employé sans autre précision49CCiv. art. 1242 al. 5. La Cour de cassation a alors dû construire quasiment de toutes pièces le concept d’abus de fonctions.
Pour cela, la Cour de cassation a dû réunir pas moins de quatre assemblées plénières pour répondre à cette question, étant entendu qu’une seule assemblée plénière est censée mettre fin à la divergence entre chambres. Le critère de l’abus de fonctions a d’abord été défini comme une action réalisée « sans autorisation et à des fins personnelles »50Ass. Plén. 10 juin 1977 D. 1977, p. 465, note Larroumet ; JCP 1977 II 18730, concl. Gulphe dans le cas où un salarié avait utilisé le véhicule de l’entreprise pour se promener et avait provoqué un accident mortel. Mais la Cour de cassation a eu à juger le cas d’un chauffeur voulant voler du fuel mais qui a paniqué et déversé celui-ci dans une carrière en polluant tout le réservoir d’eau d’une commune. Il n’avait pas agi à des fins personnelles, aussi la Cour de cassation a rectifié sa précédente définition en considérant qu’il s’agissait « d’un acte délibéré, étranger à ses fonctions »51Ass. Plén. 17 juin 1983 JCP 1983. II. 20120, concl. Sadon, note Chabas ; RTD civ. 1983, p. 749, obs. Durry. Toutefois, lorsque deux ans plus tard un vigile a incendié volontairement l’usine qu’il devait surveiller, il s’agissait d’un acte délibéré rentrant dans le cadre temporel de ses fonctions. La Cour de cassation est alors revenue vers sa première définition pour l’amender en posant que la personne a agi « sans autorisation, à des fins étrangères à ses attributions »52Ass. Plén. 17 nov. 1985 D. 1986. 81, note J.-L. Aubert ; JCP 1986. II. 20568, note Viney ; RTD civ. 1986, p. 128, obs. Huet et a ainsi pu exonérer le commettant. Par un ultime rebondissement, les juges ont réalisé une synthèse de tous ces critères dans le cas d’un prospecteur en assurances qui avait détourné des sommes à son profit. Le commettant a été considéré cette fois responsable car il fallait que le préposé agisse « hors fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions »53Ass. Plén. 19 mai 1988 Gaz. Pal. 1988. 2. 640, concl. Dorwling-Carter ; RTD civ. 1989, p. 89, obs. Jourdain.
Cas après cas, les juges ont sans cesse révisé le concept d’abus de fonction, sans même aujourd’hui encore être parvenus à éteindre le débat sur ce point. Une hypothèse, fort répandue, fait encore difficulté. Il s’agit du cas où le client d’une banque est victime des agissements indélicats d’un employé qui détourne les fonds qui lui ont été remis. Dans ce cas de figure, le contrat qui existe entre le client et son agence bancaire, dont l’employé est le préposé, engendre une responsabilité contractuelle. Du coup, le commettant ne devrait pas pouvoir se prévaloir de l’abus de fonctions. Ainsi, en contrepoint, les juges ont inventé la notion d’apparence en se demandant si la victime pouvait se douter des agissements irréguliers du préposé54Cass. civ. 2e, 29 mai 1996, n° 94-15460, Bull. civ. II, n° 118. Des éléments matériels pourront la plupart du temps conforter cette conviction de la victime : le préposé s’est servi d’imprimés officiels (Paris, 10 oct. 1989, RCA 1990, n° 52), ou était un interlocuteur habituel (civ. 2e, 11 juin 1992, n° 91-10.281, Bull. civ. II, n° 164 ; RTD civ. 1993, p. 371, obs. Jourdain). À l’inverse, le caractère inhabituel d’une transaction bancaire (Cass. civ. 2e, 7 juill. 1993, n° 91-21.118, RCA 1993, n° 330) ou le fait de déposer une somme en espèce, contre l’espérance d’une rémunération particulièrement élevée (Civ. 2e, 19 nov. 1997, n° 95-18.438, RCA 1998, n° 74, pour une rémunération de 20 %. – civ. 2e, 24 juin 1998, n° 96-12.781, RCA 1998, n° 293).
On le voit, la question de l’abus de fonctions n’est toujours pas tranchée et fait l’objet d’un désaccord persistant. Pour autant, le droit applicable demeure objectif en ce sens qu’il n’a pas cessé d’être précisé au fur et à mesure des hypothèses de fait dont les juges ont eu à connaître. Il est certes aujourd’hui impossible de prédire avec une certitude parfaite ce que le juge décidera dans tel ou tel cas. Mais la certitude s’accroît avec la possibilité d’invoquer des précédents semblables. Autrement dit, l’indétermination conceptuelle n’est pas ici seule en cause. Il faut aussi compter avec les cas inédits, présentant des singularités telles que leur assimilation à des cas déjà jugés fait difficulté.
La persistance du désaccord s’explique alors moins par l’absence de définition que par la gestion inévitable des situations nouvelles qui ne correspondent jamais exactement avec celles qui ont déjà été tranchées. À ceci s’ajoute le fait que les distinctions juridiques, comme celle de la responsabilité contractuelle et délictuelle, complexifient le débat. Les juges doivent alors articuler à la fois les précédents entre eux tout en respectant les contraintes conceptuelles qui permettent de distribuer l’application des régimes délictuel et contractuel. Aussi, il n’est guère étonnant que toute variation infime sur l’un de ses points puisse par une espèce « d’effet papillon » conduire à reconsidérer les définitions et les organisations des autres séries jurisprudentielles ou des concepts eux-mêmes. En résumé, le droit est un mouvement perpétuel d’objectivation : ce mouvement est certes un horizon sans fin mais il lui permet de garder un cap.
7. Le caractère moral du problème
Le caractère moral (ou éthique) d’un problème peut expliquer la difficulté à trouver des raisons objectives. Il est acquis que des notions comme la dignité humaine, le caractère raisonnable d’un comportement, la gravité d’un comportement, l’intérêt de l’enfant appellent de la part des juges une évaluation qui est avant tout qualitative55F. Haid, Les notions indéterminées dans la loi, thèse, Aix-en-Provence 2005, p. 248.. Selon cette analyse, la persistance du désaccord s’expliquerait avant tout parce que des valeurs morales fondamentales sont en conflit. Pour le dire techniquement, le désaccord persisterait en raison de sa teneur axiologique.
Cette façon d’aborder la question paraît frappée au coin du bon sens. Cependant, elle ne doit pas masquer le fait que, même en matière éthique, il est possible d’avancer des raisons objectives. Cette possibilité que nous défendons ne découle absolument pas d’une prise de position en faveur du cognitivisme éthique selon lequel les valeurs sont connaissables. Bien au contraire, nous soutenons que les valeurs sont en soi inconnaissables. Elles peuvent se déclarer, se prescrire mais non se connaître56J.-F. Lyotard ; J.-L. Thébaud, Au juste, Christian Bourgeois éditeur, 2006, p. 68-69..
Cependant, le droit peut trancher un litige éthique sans être lui-même une éthique. Cet apparent paradoxe s’explique simplement par le fait que la teneur éthique du débat ne modifie pas fondamentalement la structure de l’argumentation juridique. Il s’agira toujours de traiter les cas semblables de façon identique57F. Rouvière « Le fondement du savoir juridique », RTD civ. 2016, n° 8, p. 286 ; F. Rouvière, « Traiter les cas semblables de façon identique : un aspect méthodologique de l’idée de justice », Jurisprudence. Revue critique, 2012, p. 95 et p. 100. ; il s’agira toujours corrélativement d’admettre des solutions différentes si les cas sont essentiellement ou substantiellement différents. Il s’agira toujours de faire face et de gérer les cas inédits comme en témoigne l’un des derniers arrêts que la Cour européenne des Droits de l’Homme a rendu en matière d’euthanasie58CEDH 5 juin 2015, requête n° 46043/14, Lambert c. France.
À notre sens, le piège à éviter est de croire que le droit est éthique parce qu’il peut porter sur des valeurs éthiques. En réalité, nous pouvons discuter de problèmes éthiques (par le contenu) de façon purement juridique (par la méthode). En cela nous entendons que la discussion juridique, à la différence de la discussion éthique, se refuse à se prononcer de façon absolue sur la meilleure solution à apporter aux dilemmes éthiques59S. Boarini, Qu’est-ce qu’un cas moral ? Vrin, 2013, p. 18-21.. L’objectif du droit est (hélas ou heureusement) bien plus modeste. Il consiste à trancher un litige hic et nun, ici et maintenant, en essayant pour cela de respecter les précédents et les lois déjà institués. Le droit ne propose qu’une solution imparfaite pour un monde imparfait60Ph. Rémy, « Les civilistes français vont-ils disparaître ? », Revue de droit de McGill, vol. 32, 1986, p. 154.. Mais ce qui fait son originalité, et osons le dire sa puissance, est qu’il tranche dans le temps du procès61Ch. Perelman, « De la temporalité comme caractère de l’argumentation », Le champ de l’argumentation, Presses Universitaires de Bruxelles, 1970, p. 41-63. des dilemmes moraux qui, en tant que tels, appellent pourtant un temps infini de résolution. C’est bien l’un des traits qui différencie l’argumentation juridique de l’argumentation éthique. Dans l’affaire Vincent Lambert, la Cour européenne des Droits de l’Homme l’a d’ailleurs reconnu sans détour : « La Cour n’a jamais statué sur la question qui fait l’objet de la présente requête, mais elle a eu à connaître d’un certain nombre d’affaires qui portaient sur des problèmes voisins »62CEDH précité, n° 136 : Nous soulignons. Cette déclaration qui pourrait passer pour anodine dit pourtant en peu de mots le rôle que s’assigne la Cour européenne des Droits de l’Homme : dire le droit en l’espèce au regard des solutions déjà admises pour des problèmes voisins c’est-à -dire similaires. Il s’agit toujours de se fonder sur des précédents admis et de raisonner par assimilation.
En adoptant ce point de vue, on comprend mieux pourquoi les notions et concepts juridiques sont soumis à une perpétuelle révision et une perpétuelle transformation63V. Sur ce point, F. Rouvière (dir.), L’évolution et la révision des concepts juridiques, Cahiers de Méthodologie juridique. RRJ, PUAM, 2014.. L’objet même de l’argumentation juridique est de discuter, et au besoin de reconstruire, les identités admises entre les cas. L’existence en arrière-plan de valeurs difficiles à appréhender donne bien entendu un aspect particulièrement tendu au débat mais elle n’en change pas la nature et la structure. Les raisons sont toujours objectivables même si la tentation est grande de faire constamment basculer le problème dans une discussion purement éthique. Bien entendu, la conscience des enjeux éthiques et moraux est un pré-requis nécessaire pour discuter du problème mais il ne forme pas le cœur même de la discussion.
Le caractère moral du problème agit bien comme un facteur de résistance au sens propre, c’est-à -dire comme un appel à refuser de subir les contraintes d’une argumentation proprement juridique. Mais le cadre même du débat, à savoir le procès, doit normalement conduire les juges à objectiver leurs raisons sous la forme d’une motivation qui s’inscrit dans la chaîne des précédents. Autrement dit, le caractère moral du débat et sa subjectivité corrélative rendent plus difficile l’objectivation des raisons. Mais cette objectivation n’est pas impossible : cette nuance fait toute la différence.
8. La position incorrecte du problème
Si le problème à traiter est juridiquement mal posé, la réponse à donner ne pourra pas être trouvée. La position incorrecte du problème est ainsi un obstacle à la possibilité d’objectiver des raisons.
Un premier exemple très significatif est le débat persistant qui existe toujours entre juges pour savoir si un tiers au contrat peut se prévaloir de l’inexécution contractuelle. En d’autres termes, même si je n’ai pas conclu le contrat, puis-je demander à la partie qui ne l’a pas respecté et m’a causé indirectement un dommage de le réparer mais en rapportant seulement la preuve de l’inexécution du contrat ? Si l’inexécution du contrat est en même temps une faute, la réponse est évidemment positive. Si l’inexécution est autre chose qu’une faute, par exemple un dommage, la demande n’a alors plus de sens. Les juges ont décidé, dans une affaire où une petite fille avait eu un œil crevé en raison de l’éclatement d’un cerceau que les parents (tiers au contrat de vente) pouvaient agir à l’encontre du vendeur pour défaut de sécurité64Civ. 1re 17 janvier 1995, Bull. I, n° 43, D. 1995, jur., p. 350, note P. Jourdain, RGAT 1995, p. 529, obs. P. Rémy.. Une décision similaire a été prise dans le cas du suicide d’une personne alors surveillée en hôpital psychiatrique : le mari, tiers au contrat, a pu engager la responsabilité de l’établissement car « les tiers à un contrat sont fondés à invoquer l’exécution défectueuse de celui-ci lorsqu’elle leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d’autre preuve »65Civ. 1re 18 juillet 2000, Bull. I, n° 221, JCP 2000, II, 10415, rapport P. Sargos, RTD civ. 2001, p. 146, obs. P. Jourdain. Pourtant, ces solutions ont été le début d’une vive controverse jurisprudentielle car depuis les années 193066Civ. 22 juillet 1931, D. H. 1931, jur., p. 506 ; Req. 28 juin 1938, D. H. 1938, jur., p. 562., les juges décidaient au contraire que les tiers au contrat devaient établir une « faute envisagée en elle-même et indépendamment de tout point de vue contractuel »67J. Huet, obs. à la RTD civ. 1984, p. 504. Égal. M. Tchendjou, « La faute extra-contractuelle », Gaz. Pal. 2000, doctr., n° 6 et s., p. 615 et s. V. par ex. civ. 1re 13 octobre 1992, Bull. I, n° 250 ; civ. 23 juillet 1986, Bull. III, n° 129. ou bien « détachable du contrat »68G. Viney, Traité de droit civil. Introduction à la responsabilité, Paris, LGDJ, 2e éd., 1995, n° 213, p. 394. V. par ex. com. 17 juin 1997, Bull. IV, n° 187 : « si la faute contractuelle d’un mandataire à l’égard de son mandant peut être qualifiée de faute quasi-délictuelle à l’égard d’un tiers, c’est à la condition qu’elle constitue aussi la violation d’une obligation générale de prudence et de diligence ».. Bien que l’assemblée plénière soit intervenue pour trancher en faveur de l’identité de l’inexécution et de la faute69Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage. Cass., ass. plén., 6 oct. 2006 : Bull. civ. n° 9 ; R., p. 398 ; BICC 1er déc. 2006, note et rapp. Assié, concl. Gariazzo ; D. 2006. 2825, note Viney ; préc. IR 2484, obs. Gallmeister ; D. 2007. Pan. 2900, obs. Jourdain, et 2976, obs. Fauvarque-Cosson ; JCP 2006. II. 10181, concl. Gariazzo, note Billiau ; préc. 2007. I. 115, n° 4, obs. Stoffel-Munck ; JCP E 2007. 1523, nos 15 s., obs. Kenfack ; CCC 2007, n° 63, note Leveneur ; AJDI 2007. 295, obs. Damas ; LPA 22 janv. 2007, note Lacroix ; préc. 16 mai 2007, note Depadt-Sebag ; RCA 2006, Étude 17, par Bloch ; RLDC 2007/34, n° 2346, note Brun ; RDI 2006. 504, obs. Malinvaud ; RDC 2007. 269, obs. D. Mazeaud, 279, obs. Carval, et 379, obs. Seube ; RTD civ. 2007. 61, obs. Deumier, 115, obs. Mestre et Fages, et 123, obs. Jourdain., certains juges hésitent encore70Civ. 3e, 22 oct. 2008, n° 07-15.583, D. 2008. 2793 ; RTD civ. 2009. 121, obs. P. Jourdain ; JCP 2009 I. 123, obs. P. Stoffel-Munck, arrêt interdisant à un expert fautif de se prévaloir de la faute d’information du vendeur à l’égard de son propre acheteur et imposant à la cour d’appel de « rechercher si le manquement contractuel qu’elle relevait constituait une faute quasi délictuelle à l’égard de (l’expert) ». Également, manifestant la persistance du désaccord : civ. 1re, 15 déc. 2011 n° 10-17.691, D. 2012. 659, note D. Mazeaud ; RTD com. 2012. 393, obs. B. Bouloc et le Conseil d’État adopte lui-même la position inverse71CE 11 juill. 2011, n° 339409, D. 2012. 653, note G. Viney ; AJDA 2011. 1404, et 1949, chron. X. Domino ; RDI 2011. 508, obs. N. Foulquier ; AJCT 2011. 576, obs. A. Burel ; RFDA 2012. 692, note L. Janicot.. Aussi, le projet de réforme de la responsabilité prévoit d’imposer au tiers victime d’une inexécution de rapporter la preuve d’un fait générateur distinct de l’inexécution72M. Bacache, « Relativité de la faute contractuelle et responsabilité des parties à l’égard des tiers », D. 2016, p. 1454. ce qui constituerait un renversement de la jurisprudence de l’assemblée plénière.
On le voit, le débat est très loin d’être clos. Mais on peut légitimement se poser la question de savoir comment l’investissement de tant d’intelligence pour répondre à cette question n’a produit que de si maigres fruits. En effet, le désaccord tend à disparaître bientôt non plus par des raisons objectives mais plutôt par des affirmations de pouvoir : recours à l’assemblée plénière puis recours au législateur.
Aussi, nous pensons en pareille hypothèse que la difficulté à produire des raisons objectives pour résoudre le problème provient d’une insuffisance structurelle du problème. La façon dont est posée la question produit une forme d’antinomie qui permet de discuter à perte de vue. Si l’inexécution est en même temps une faute il est alors à la fois cohérent de permettre aux tiers de s’en prévaloir (c’est une faute) tout comme il est cohérent de la limiter aux parties au contrat (elle est contractuelle). Posée ainsi, la question est insoluble car elle revient à se demander si une pièce de monnaie est représentée par son côté pile ou son côté face. Autant dire que cela revient à tirer à pile ou face !
L’origine du problème est donc nichée dans la structure de la conceptualisation elle-même73G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Vrin, 1938, p. 13 : « il ne s’agit pas de considérer des obstacles externes, comme la complexité et la fugacité des phénomènes, ni d’incriminer la faiblesse des sens et de l’esprit humain : c’est dans l’acte même de connaître, intimement, qu’apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles ».. C’est parce que la faute a une double qualité (délictuelle pour les tiers et contractuelle pour les parties) que tout solution est insatisfaisante. D’un point de vue méthodologique, il faudrait alors admettre une reconceptualisation de l’inexécution. Le point de vue de la faute est en soi générateur d’une contradiction. Peut-on alors poser le problème de façon à ce que la réponse entre le délictuel et le contractuel ne soit pas « les deux » mais soit l’un, soit l’autre ? C’est précisément ce que nous avons jadis proposé : considérer l’inexécution comme un dommage74F. Rouvière, Le contenu du contrat : essai sur la notion d’inexécution, PUAM, 2005, n° 265, p. 217, comme un défaut de la prestation attendue par les parties au contrat. Dès lors, les parties ne peuvent jamais se prévaloir de l’inexécution mais seulement de la cause de l’inexécution. Il faut rechercher in casu si l’inexécution a été causée ou non par une faute. Si telle est le cas, la faute pourra être invoquée par un tiers. Sinon, il devra établir une faute en sus de l’inexécution du contrat. L’alternative est maintenue mais elle ne dépend plus de la qualité de partie ou de tiers mais du seul critère de l’inexécution comme dommage.
Le problème de cette solution est qu’elle possède un coût épistémologique. Il faut admettre une mutation de notre représentation théorique de l’inexécution. Cela va à l’encontre des habitudes admises, de l’autorité de prestigieux traités et manuels et à l’encontre même d’une tradition parfois centenaire. Mais l’objectivité du droit n’est-elle pas parfois à ce prix ? Si la question de la portée de l’inexécution à l’égard des tiers se pose depuis bientôt cent ans, c’est peut-être que le ver est dans le fruit.
Le même constat pourrait être fait à propos de la distinction adoptée par la jurisprudence entre les obligations de moyens et de résultat. Cette distinction paraît si intuitive et si simple que toutes les tentatives de critiques ont nettement échoué75J. Bellisent, Contribution à l’analyse de la distinction des obligations de moyens et des obligations de résultat, LGDJ, Bibl. dr. privé, 2001.. Et pourtant, il existe un désaccord extrêmement persistant sur certains types d’obligations dont il semble impossible de savoir si elle sont de moyens ou de résultat c’est-à -dire si le créancier doit établir une faute ou bien s’il peut se contenter de montrer que le résultat n’a pas été atteint.
Deux cas de figure sont particulièrement significatifs. Le premier est celui de l’obligation de sécurité des exploitants de remonte-pentes. L’exploitant est-il tenu d’une obligation de moyens ou de résultat ? Les réponses des juges semblent aussi variables que la température ambiante ou l’épaisseur de la neige. Tous les trois ou quatre ans la qualification se renverse comme une crêpe76Sur la discussion : P. Jourdain, obs. à la RTD civ. 1993, p. 364 et Ph. Brun « L’obligation de sécurité de l’exploitant d’un remonte-pente est une obligation de moyens », D. 1994, p. 45. Pareillement, l’obligation du teinturier77Par ex. Cass. civ. 1re 20 déc. 1993, Bull. I, n° 376. fait partie des cas définitivement insolubles : s’est-il obligé au résultat de rendre un vêtement propre ou d’employer les meilleurs moyens pour le faire ? C’est une discussion qui n’a rien à envier à celle du sexe des anges ou de l’âge du capitaine.
L’origine de la difficulté tient encore dans la position du problème : aucun critère de distinction satisfaisant n’a jamais été trouvé pour qualifier les obligations de moyens et les obligations de résultat. Ni l’aléa, ni le comportement de la victime ne sont suffisant pour décider des hypothèses. Pire, les juges ont été obligés d’inventer des obligations de résultat « allégées » ou de moyens « renforcés » qui brouillent une distinction déjà peu claire en soi.
Une fois encore, la solution d’une telle difficulté est d’ordre méthodologique. Toute obligation comporte pour partie un résultat à atteindre et des moyens à employer pour le faire. Il est quasiment impossible de séparer ces deux aspects si bien que l’exactitude descriptive de la distinction n’est d’aucun secours pour trancher les litiges. D’un point de vue épistémologique, on peut ainsi souligner que la valeur des concepts juridiques ne se mesure pas à leur aptitude à décrire correctement la réalité factuelle mais bien plutôt à trancher le litige.
La possibilité même de poser des questions structurellement insatisfaisantes explique la persistance de certains désaccords. Ce qui peut paraître comme une faiblesse est en réalité une force. En effet, cela signifie que les réflexions théoriques les plus pointues peuvent avoir un rôle à jouer dans la compréhension des difficultés qui affectent la résolution de litiges tout à fait banals et quotidiens. Le juriste peut-il ainsi rêver mieux ? Il a à la fois les mains dans la boue mais les yeux fixés vers les étoiles. Au-delà de cette imparfaite métaphore, cela signifie qu’il pourra toujours trouver l’objectivité du droit non pas dans un arrière-monde idéal, un paradis des concepts, mais au contraire dans la refonte audacieuse de ses propres concepts.
En effet, ce sont bien les catégories juridiques qui sont à la fois sources de réponses et de questions c’est-à -dire à la fois alpha et omega de tout désaccord.
Si le litige se déploie nécessairement sur la base d’un désaccord (sans quoi le litige même n’existerait pas), ce désaccord sur les faits peut devenir un désaccord sur le droit voire un désaccord dans le droit c’est-à -dire dissimulé dans sa structure même. Cette dernière remarque peut en définitive être vue comme un appel à l’humilité pour le juriste : si le désaccord est persistant et si les questions lui paraissent insolubles, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même : à lui de trouver les questions qui construiront un droit objectif, car vouloir la vérité, c’est souvent avouer son impuissance à la créer78F. Nietzsche, Volonté de puissance, Tel, Gallimard, 1995, tome II, § 6, p. 10.